LE NAUFRAGE UNIVERSEL
★★★ LE MÂLE BLANC, de Stéphane Denis, Grasset, 138 p., 15 €.
Rien ne va plus en Morénie, petit État européen prospère mais hors de l’Union : le prince Albéric, qui considère que « les meilleurs régimes sont ceux
qui gouvernent peu », ne fait pas grand-chose. Sa mère souhaite qu’il se marie enfin, mais le jeune homme aime déjà la fille du boulanger. Or, en Morénie, il est impossible pour un prince d’épouser une fille du pays. Au même moment, un « publiciste »
(c’est ainsi qu’on nomme les journalistes en Morénie) diffuse de curieuses idées : il est « pour l’interdiction des voitures, la généralisation des bicyclettes, le
véganisme, l’éolien, la repentance
et l’universel ». Afin d’échapper à une union qu’il ne souhaite pas et pour mieux calmer les esprits, Albéric a une idée : introduire le suffrage universel dans sa petite monarchie. Instantanément, tout part en vrille : certains Moréniens deviennent progressistes, d’autres conservateurs, un parti mahométan est créé, suivi par d’autres, des boucheries sont attaquées, « la population reste chez elle suivre les débats de la chaîne d’infos en continu », il y a « dix pétitions par jour » et « la fréquentation des églises, le dimanche, s’est réduite de
moitié ».
Rapidement, tout le monde convient qu’en fin de compte, la démocratie n’est pas une solution viable… Lorsque Stéphane Denis décide de s’amuser, ça ramone sec. Sa fable – délicieuse d’autant qu’elle est écrite comme un récit très sérieux avec des notes en bas de page hilarantes – évoquera aux lecteurs attentifs un pays qu’ils connaissent bien. Il y a du Voltaire, du Molière ou du Rabelais dans cette fantaisie : c’est l’esprit français qui resurgit.