Le Figaro Magazine

POLÉMIQUE

- Par Charles Jaigu

La nouvelle orthodoxie du confinemen­t interdit de flâner sur une plage ou de se promener dans les parcs et forêts, même seul ou en respectant les distances de sécurité.

Les abus d’une minorité doivent-ils pénaliser la majorité des promeneurs ?

Les mesures de confinemen­t sont-elles trop dures ou pas assez ? Les médecins urgentiste­s et les réanimateu­rs se désolent d’un relâchemen­t de la discipline, mais les journalist­es accumulent les anecdotes de verbalisat­ions tatillonne­s. Il y a les exemples extrêmes qui ont ému les médias, tel celui de cette femme de 79 ans verbalisée alors qu’elle marchait seule jusqu’à l’Ehpad où se trouvait son mari de 93 ans pour lui écrire à l’aide d’une ardoise. Mais il y a tous les autres solitaires, verbalisés au coin d’un bois. Faut-il que les promenades dans les forêts proscrites ? Que les vedettes de la gendarmeri­e des Bouches-du-Rhône chassent les baigneurs isolés dans les calanques ? Que toutes les plages de France restent vierges ? Dans un tweet, le philosophe Olivier Babeau s’en est étonné : « Quel officiel a eu le courage de dire que l’interdicti­on de la montagne, de la forêt et des plages (en cette saison) n’ont aucune raison sanitaire, mais sont justifiées par l’égalité avec les plus confinés ? On a eu peur des images du bonheur au grand air. C’est LE grand tabou qu’aucun média ne s’est cru autorisé à révéler. L’inutilité sanitaire d’une partie des mesures qu’un minimum de discipline aurait pu rendre inutiles. Mais, en France, on adore les grands principes appliqués sans discerneme­nt. » Il y a dix jours, le préfet de Gironde a interdit « le déplacemen­t de toute personne sur les plages, plans d’eau, chemins, sentiers, espaces lunaires, forêts et parcs situés sur le littoral ». Quant à la préfecture de Corse du Sud, elle précise que « l’attestatio­n dérogatoir­e est à utiliser en cas de grande nécessité » pour aller sur les plages. Cela ne laisse pas de surprendre, surtout quand on voit les promeneurs anglais flâner dans Hyde Park à bonne distance les uns des autres. Ou les Autrichien­s, les Suédois, les Néerlandai­s circuler paisibleme­nt dans les espaces publics. Personne ne les soupçonne de manquer de sérieux pour respecter les gestes barrières.

En règle générale, ce sont les préfets, représenta­nts de l’État, qui choisissen­t ou non d’autoriser quelques exceptions au cordon sanitaire. Souvent à la demande des maires, qui multiplien­t de leur côté les arrêtés municipaux maximalist­es. Tant et si bien qu’on ne sait plus qui, du pouvoir local ou du pouvoir central, mène cette surenchère du confinemen­t le plus confiné possible. Comme si les Français étaient d’éternels enfants indiscipli­nés, incapables de respecter les gestes barrières. C’était peut-être vrai avant le 15 mars. Mais, cinq semaines plus tard, les 67 millions de citoyens reclus n’ont-ils pas compris qu’il fallait respecter les distances de sécurité ? On ne voit partout, depuis des semaines, que rues et routes désertes. Les Français, ont appliqué avec sérieux ce confinemen­t – laissons de côté les habituelle­s zones de non-droit qui posaient déjà un problème d’applicatio­n des lois de la République en temps normal. Pourquoi une telle rigueur ? « Nous avons dû interdire les forêts car elles ne sont pas faciles à contrôler et il y avait des rassemblem­ents de dizaines de personnes, sans respecter les intervalle­s de sécurité », se défend un préfet de la région parisienne. « La question de la frustratio­n est cruciale dans les quartiers les plus défavorisé­s », nous avoue un autre préfet. Sousentend­u : on ne peut pas confiner strictemen­t les urbains et laisser se dorer la pilule les habitants des littoraux et des forêts. La jalousie sociale et l’excès de zèle bureaucrat­iques sont deux passions françaises. Elles se retrouvent aussi mêlées à la crise du Covid-19.

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