LE GRAND DÉNI CHINOIS.
Le régime n’a pas dit la vérité sur l’émergence, l’ampleur et le bilan de la pandémie.
Depuis l’apparition du Covid-19 à Wuhan, en décembre dernier, le régime chinois n’a jamais dit la vérité sur, au moins, trois points : l’émergence, l’ampleur et le bilan de la pandémie.
Les « zones d’ombre » sont nombreuses et les critiques contre Pékin commencent à fuser un peu partout dans le monde.
Au commencement était le Verbe. En l’occurrence, celui du président de la République, Emmanuel Macron, s’exprimant dans une interview accordée au Financial Times et publiée le 16 avril : « Il y a manifestement des choses qui se sont passées qu’on ne sait pas. Il appartient à la Chine de les dire. » Le chef de l’État évoquait dans cette très sibylline formulation la gestion de la crise sanitaire dans l’exempire du Milieu, épicentre de la pandémie de Covid-19. Il n’en a pas fallu plus pour relancer toutes les spéculations circulant depuis un trimestre sur internet et concernant les véritables origines du Sars-CoV-2, nom savant du virus qui provoque le Covid-19 et affole la planète. Confinés dans une atmosphère anxiogène et face à un scénario dystopique en diable, les adeptes de la théorie du complot s’en donnent à coeur joie. Disons-le d’emblée : ledit virus n’est pas une arme bactériologique fabriquée à dessein par des Frankenstein asiatiques pour l’industrie de l’armement.
LE LABORATOIRE DE LA DISCORDE
Le génome du virus, dont le séquençage a été communiqué à l’étranger le 7 janvier par les Chinois, indique qu’il est d’origine naturelle. En revanche, il demeure bien des zones d’ombre autour de son émergence. On connaît le narratif officiel : celui du marché aux animaux de Wuhan, où l’on trouve un bestiaire exotique destiné à la pharmacopée ou à l’alimentation des autochtones. Dans le lot, un pangolin qui aurait été infecté par une chauve-souris, l’animal-hôte du virus, et qui l’aurait ensuite transmis à l’homme. De plus en plus de voix s’élèvent pour contester cette version, qui a le mérite de donner une explication à l’inexplicable, mais qui ne satisfait pas toute la communauté scientifique. Ainsi que le résume le Bulletin of the Atomic Scientists : « Les experts savent que le nouveau coronavirus n’est pas une arme biologique mais ils ne s’entendent pas sur le fait qu’il aurait pu fuir d’un laboratoire de recherche. »
Et, dans cette hypothèse de la libération accidentelle du virus (soutenue entre autres par le Pr Luc Montagnier, prix Nobel 2008 pour la découverte du VIH), tous les regards se portent sur le laboratoire P4 (pathogène de classe 4, le nec plus ultra en matière de sécurité) qui se trouve dans la périphérie de Wuhan, à une quinzaine de kilomètres du centre-ville et à proximité de l’Institut de virologie.
Le 14 avril, le Washington Post révélait que des câbles diplomatiques avaient alerté en janvier 2018 sur les failles de sécurité de cet établissement. Après l’avoir visité, les responsables science et santé de l’ambassade américaine à Pékin notaient qu’il « manquait sérieusement de techniciens et d’enquêteurs suffisamment formés pour le faire fonctionner en toute sécurité ». Et d’exhorter les ÉtatsUnis à augmenter leur aide (1), avec l’argument suivant : « Les recherches menées sur les coronavirus de chauvesouris sont importantes mais dangereuses. » Le lende
main, la très conservatrice chaîne Fox News diffusait un reportage laissant entendre que les services de renseignement étudiaient très sérieusement l’hypothèse de la fuite accidentelle. Interrogé sur le sujet, Donald Trump commentait : « Nous sommes en train de mener une enquête très complète sur cette chose horrible. » Déclaration confirmée le 15 avril par le patron de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, qui annonce une « enquête exhaustive ».
Dans cette optique, et à condition que les autorités chinoises donnent un feu vert (ce qui semble peu probable), ses limiers pourront toujours demander l’aide de Paris… Car le laboratoire incriminé est le résultat d’une coopération franco-chinoise lancée en 2004 par le gouvernement Raffarin (2) et concrétisée en 2017. Lors des cérémonies organisées pour son accréditation en février 2017, en présence d’Yves Lévy, alors président de l’Inserm (et époux d’Agnès Buzyn), le premier ministre Bernard Cazeneuve l’affirmait sans ciller : « Ce laboratoire sera le fer de lance de notre lutte contre les maladies émergentes (…). Afin de soutenir cette dynamique de coopération, l’État français mettra à disposition un budget
d’un million d’euros sur cinq ans. » Copié sur le laboratoire P4 de Lyon, il a été construit par une quinzaine d’entreprises françaises, avec le soutien actif de la Fondation Mérieux et de l’Institut Pasteur. En fait, une fois le bébé livré, il semblerait que l’idylle entre Paris et Pékin ait fait long feu. En tout cas, les 50 chercheurs français qui devaient venir épauler leurs collègues chinois n’y ont jamais mis les pieds…
Pour compliquer encore ce dossier délicat, il faut citer la seconde hypothèse. Elle concerne un autre laboratoire, classé P2, donc avec des normes de sûreté-sécurité plus lâches qu’au P4 : le Centre de contrôle et de prévention des maladies (CCPM) de Wuhan, situé à quelques centaines de mètres du marché d’où tout serait parti. Selon une étude publiée en février (3) sur le site ResearchGate (mais retirée depuis), par deux universitaires (l’un de Canton, l’autre de Wuhan), Botao Xiao et Lei Xiao, le marché-cluster n’a jamais vendu de chauve-souris, laquelle n’entre pas dans les habitudes alimentaires de la province.
Les auteurs rappellent aussi les résultats d’une enquête parue en janvier dans la prestigieuse revue Lancet. Elle portait sur 41 malades du Covid-19 : 13 d’entre eux n’avaient jamais eu aucun contact, direct ou indirect, avec le marché animalier ! En revanche, le laboratoire du CCPM abrite 600 chauves-souris capturées à 1 000 kilomètres de Wuhan, dans le Yunnan et le Zhejiang. Elles servent à tester des vaccins contre les différentes formes de coronavirus. Se fondant sur les témoignages des employés, ils n’excluent pas une possible contamination par un chiroptère d’un laborantin, qui aurait ensuite « exporté » le virus dans le reste de cette mégapole de 15 millions d’habitants ! Sollicité par BFM le 20 avril, l’ambassadeur de Chine à Paris, Lu Shaye, rejette les accusations : « Il n’y a aucun problème au niveau du laboratoire P4 de Wuhan. Ceux qui diffusent ces rumeurs, ce sont tous des journalistes ou des politiciens, mais pas des scientifiques. » Dont acte. Le régime communiste chinois n’a jamais brillé par sa transparence. Pour le Parti, reconnaître un « accident industriel » aux conséquences effroyables lui ferait perdre la face. Ce qu’il abhorre par-dessus tout, comme il l’a déjà montré à deux reprises dans cette crise sanitaire.
ARRESTATIONS POUR “FAUSSES NOUVELLES”
Revenons en effet à la genèse de l’affaire. Le premier cas avéré de Covid-19 date du 8 décembre 2019 mais il a fallu attendre le 23 janvier 2020 pour que la ville de Wuhan soit placée en confinement. Un confinement drastique, mais tardif : pendant ces quarante-six jours, le virus a eu tout loisir de se développer et de se propager. Premier mensonge : avoir fait croire à la population que le Covid-19 était d’origine alimentaire et ne se transmettait pas d’homme à homme, tout en maintenant ouvert le fameux marché jusqu’au 31 décembre ! La « mystérieuse pneumonie » ne sera qualifiée de maladie infectieuse (à transmission interhumaine) que le 20 janvier. Les lanceurs d’alerte, qui évoquent immédiatement un nouveau Sras en plus fulgurant, sont muselés, voire arrêtés, pour
Médecins et journalistes sont visés par la censure, qui surveille les réseaux sociaux et ferme
les comptes trop bavards
diffusion de « fausses nouvelles ». C’est le cas, iconique et médiatique, du Dr Li Wenliang, ophtalmologue à l’hôpital de Wuhan, qui sera finalement emporté par le mal le 7 février. Médecins et journalistes sont visés par la censure, qui surveille les réseaux sociaux et ferme les comptes trop bavards. Même les apparatchiks sont tenus à la réserve et au déni. C’est ce que révélera Ma Guoqiang, secrétaire général du parti communiste de Wuhan, dans un mea culpa du 31 janvier où il expliquera avoir été contraint au silence par les consignes du gouvernement (cet accès de franchise lui vaut un limogeage le 13 février).
PÉKIN ACCUSÉ DE TRUQUER LES CHIFFRES
Au même moment, la vie continue normalement. Le 18 janvier, on célèbre même la « fête des 10 000 Familles » à Wuhan, un rassemblement géant qui défie toutes les lois de la prévention. À l’approche du Nouvel An lunaire, 5 millions de personnes quittent la province du Hubei pour rejoindre leurs proches dans d’autres régions chinoises, emportant parfois le virus en guise de cadeau… Et pourtant, comparé à celui de l’Europe, le bilan officiel est ridiculement faible pour une nation de 1,4 milliard d’habitants. Accusé de truquer les chiffres, Pékin vient d’ailleurs de revoir symboliquement à la hausse le nombre des victimes. Il serait désormais de 3 869 décès à Wuhan (au lieu de 2 579 avant le 17 avril) et donc de 4 632 dans tout le pays. Bel effort (+ 50 % à Wuhan : des personnes âgées mortes à domicile, dit-on) ! Un rapide calcul (nombre des décès en France et en Chine rapportés aux populations respectives) permet de mesurer l’énormité de ce décompte : c’est comme si la France avait un taux de mortalité lié au Covid-19 quatre-vingt-dix fois supérieur à celui de la Chine !
Selon Mathieu Duchâtel, directeur du programme Asie de l’Institut Montaigne et auteur d’un volumineux rapport sur le sujet (4), il ne s’agit ni plus ni moins que d’une « aberration statistique ». Si l’on en croit le média chinois Caixin et les images publiées sur son site avant la fête des Morts du 4 avril, le bilan serait bien plus élevé. On y voit des milliers de personnes faire la queue pour aller récupérer les cendres de leurs parents ou amis dans les funérariums locaux. Les extrapolations de ses reporters, se fondant sur le fonctionnement 19 heures sur 24 des crématoriums pendant deux mois ainsi que sur les livraisons quotidiennes des urnes funéraires au cours de la période, donnent un total de 46 000 morts pour la seule Wuhan. Chiffre qui semble un peu plus crédible que 4 632. « On nous cache tout, on nous dit rien », chantait Jacques Dutronc. Est-il traduit en mandarin ? ■ (1) Le laboratoire P4 de Wuhan était déjà subventionné à hauteur de 3,5 millions d’euros par les NIH (National Institutes of Health), l’équivalent américain de l’Inserm en France. Il compte de nombreuses universités américaines (dont Harvard) parmi ses partenaires officiels. (2) Contre l’avis du SGDN (secrétariat général à la Défense nationale), devenu le SGDSN (secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale) en 2010, qui craignait qu’il puisse être ensuite transformé et utilisé pour produire des agents bactériologiques.
(3) « The possible origins of 2019-nCoV coronavirus ».
(4) « Covid-19 : l’Asie orientale face à la pandémie », avec François Godement et Viviana Zhu, 150 p.