XI JINPING, CHAMPION D’UNE CHINE “ROUGE VIF” En couverture
La pandémie du Covid-19 a révélé au grand jour le vrai visage de la Chine : un régime nationaliste et autoritaire qui contrôle tous les leviers du pouvoir et les moindres faits et gestes de son peuple.
Al’heure de la « Toussaint » chinoise, Zhang Hai a brûlé de frêles bâtons d’encens devant la photo de son père. « Papa, je regrette tant de t’avoir emmené à Wuhan. Ce voyage t’a emporté », a murmuré, ce 4 avril, ce quinquagénaire meurtri. Deuil frugal à l’occasion de Qingming, cette fête annuelle où les Chinois viennent « épousseter » les tombes de leurs ancêtres, dans un geste de piété confucéenne traversant les siècles. Hai n’a qu’une photo pour pleurer. Cet ancien employé dans l’immobilier n’a pu récupérer les cendres de son père Lifa, décédé du Covid-19, le 1er février, dans un hôpital de Wuhan. Lorsqu’il a voulu recueillir la précieuse urne funéraire, dans la capitale du Hubei, un comité d’accueil l’attendait. Les autorités obligent chaque parent de défunt à être escorté au funérarium par deux membres du comité local du Parti, ou de leur entreprise. Même les larmes sont sous surveillance. Zhang Hai a refusé cette intrusion dans l’intime. « Je ne veux pas de leur présence. Je veux récupérer les cendres de mon père seul. J’ai beaucoup de choses à lui dire ! Les funérailles, c’est réservé aux intimes », explique-t-il, en bravant la censure.
UN RÉGIME SUR LA DÉFENSIVE
« Mon téléphone est surveillé », raconte l’homme qui a eu droit à deux visites d’officiels lui intimant de ne pas parler aux médias étrangers, illustrant la nervosité du régime à la veille de cette première « fêtes des Morts » depuis l’épidémie. Sur la messagerie WeChat, il épanchait son chagrin avec d’autres familles meurtries de Wuhan. Mais, le 31 mars, la police a interpellé le fondateur de ce groupe en deuil. Réflexe atavique d’un régime sur la défensive, répétant comme une malédiction le drame qui a permis à l’épidémie de se répandre : la mise au pas, début janvier à Wuhan, des médecins lanceurs d’alerte comme Li Wenliang ou Ai Fen, qui avaient détecté avec effroi une forte augmentation de pneumonies dans leur hôpital, dès la fin 2019. Pendant trois semaines supplémentaires, le pouvoir communiste va étouffer la nouvelle, laissant la maladie se propager en silence.
Ce retard crucial sera fatal au père de Zhang. Ce septuagénaire handicapé avait fait une mauvaise chute le 15 janvier, à Shenzhen, dans le sud de l’empire du Milieu, où il résidait avec son fils. Celui-ci décida de l’emmener dans sa ville natale, à Wuhan, à 1 000 kilomètres au nord, où ce vétéran des programmes nucléaires avait droit à des soins gratuits dans un hôpital militaire. Aujourd’hui, Zhang regrette amèrement cette décision. Quelques jours après l’opération réussie, le vieil homme
est pris de fièvre, et finalement diagnostiqué positif au Covid-19, le 30 janvier. Il décède deux jours plus tard. « Mon père a été contaminé à l’hôpital ! Cela me met en colère. S’ils avaient publié la vérité, jamais je ne serais rentré à Wuhan », dénonce-t-il, en demandant des comptes. La tragédie écorche le « rêve chinois » de Xi Jinping, champion d’une renaissance nationaliste décomplexée depuis son arrivée au pouvoir en 2013. La mort du médecin lanceur d’alerte Li Wenliang, le 7 février, a déclenché un torrent de colère en ligne, débordant un instant l’armée des censeurs qui veille minutieusement sur l’internet chinois. « La crise est un test politique sans précédent pour Xi Jinping », juge Zhang Lifan, historien indépendant à
Pékin. Depuis la fondation de la Chine communiste en 1949 (voir page 36), beaucoup savaient lire entre les lignes de la propagande et se méfiaient des annonces officielles, mais, cette fois, la censure a fauché des milliers de vies innocentes, souvent d’honnêtes « patriotes » comme Zhang Lifa, vétéran de l’Armée populaire de libération (APL). Mais, le « prince rouge » a senti le danger, et a rapidement repris en main la gestion de la crise, se posant en chef de « guerre patriotique » face au « démon du virus », à grand renfort de propagande. Le grand centralisateur, dont la « pensée » est inscrite dans la Constitution, affirme a posteriori avoir donné des directives dès le 7 janvier. Il « sort le sabre » pour faire tomber les têtes parmi les cadres du Hubei, boucs émissaires désignés. « Xi reprend avec succès les vieilles ficelles des empereurs, qui ont toujours fait porter le chapeau aux cadres provinciaux », estime Richard McGregor, de l’Institut Lowy, à Sydney. Même Zhang Hai, l’endeuillé, juge que « l’épidémie a été bien gérée par le pouvoir central », rejetant la faute sur l’échelon provincial.
AUTORITARISME ET RÉPRESSION
Dans l’adversité, Xi, chantre d’une Chine « rouge vif »,
selon la formule de la sinologue Alice Ekman, redouble d’autoritarisme et de nationalisme, exacerbant le remède idéologique qu’il impose au pays le plus peuplé du monde depuis sept ans. Sur le front intérieur, la répression s’accentue, à l’image de l’arrestation de Ren Zhiqiang, impertinent membre du Parti soupçonné d’avoir comparé le timonier à un « clown nu », dans un brûlot en ligne. L’appareil est au garde à vous. « La crise a renforcé son autorité au sein du Parti. Il n’y a aucune contestation hormis quelques intellectuels libéraux »,
juge Chen Daoyin, politologue indépendant. La censure en ligne est encore renforcée et la propagande mène la contre-offensive en surfant sur le chaos en Occident à l’heure du Covid-19 pour mettre en valeur la supériorité du modèle « socialiste aux caractéristiques chinoises ». « Xi tente de transformer sa défaite en victoire, en se profilant comme un leader mondial. Mais, l’épidémie risque d’entraîner une crise économique et sociale intérieure, qui peut ébranler, à terme, la domination du Parti »,
prévient Zhang Lifan. Au premier trimestre, le PIB chinois a enregistré une contraction de 6,8 % sans précédent depuis Mao, et le spectre du chômage rôde. À la veille de son centenaire, en 2021, le Parti détient encore une périlleuse carte maîtresse pour faire diversion : la fierté patriotique largement partagée par des centaines de millions de chinois, travaillée au corps par la propagande, et privée d’information libre, comme Zhang Hai. Avec, en ligne de mire, l’Amérique de Trump. Sous pression, Pékin montre ses muscles en multipliant les manoeuvres militaires au large de Taïwan ou en arrêtant en masse des partisans de la démocratie à Hongkong. Comme si le Covid-19 était l’ultime coup de gong annonçant une nouvelle guerre froide. ■