Le Figaro Magazine

XI JINPING, CHAMPION D’UNE CHINE “ROUGE VIF” En couverture

La pandémie du Covid-19 a révélé au grand jour le vrai visage de la Chine : un régime nationalis­te et autoritair­e qui contrôle tous les leviers du pouvoir et les moindres faits et gestes de son peuple.

- Par Sébastien Falletti, correspond­ant à Pékin

Al’heure de la « Toussaint » chinoise, Zhang Hai a brûlé de frêles bâtons d’encens devant la photo de son père. « Papa, je regrette tant de t’avoir emmené à Wuhan. Ce voyage t’a emporté », a murmuré, ce 4 avril, ce quinquagén­aire meurtri. Deuil frugal à l’occasion de Qingming, cette fête annuelle où les Chinois viennent « épousseter » les tombes de leurs ancêtres, dans un geste de piété confucéenn­e traversant les siècles. Hai n’a qu’une photo pour pleurer. Cet ancien employé dans l’immobilier n’a pu récupérer les cendres de son père Lifa, décédé du Covid-19, le 1er février, dans un hôpital de Wuhan. Lorsqu’il a voulu recueillir la précieuse urne funéraire, dans la capitale du Hubei, un comité d’accueil l’attendait. Les autorités obligent chaque parent de défunt à être escorté au funérarium par deux membres du comité local du Parti, ou de leur entreprise. Même les larmes sont sous surveillan­ce. Zhang Hai a refusé cette intrusion dans l’intime. « Je ne veux pas de leur présence. Je veux récupérer les cendres de mon père seul. J’ai beaucoup de choses à lui dire ! Les funéraille­s, c’est réservé aux intimes », explique-t-il, en bravant la censure.

UN RÉGIME SUR LA DÉFENSIVE

« Mon téléphone est surveillé », raconte l’homme qui a eu droit à deux visites d’officiels lui intimant de ne pas parler aux médias étrangers, illustrant la nervosité du régime à la veille de cette première « fêtes des Morts » depuis l’épidémie. Sur la messagerie WeChat, il épanchait son chagrin avec d’autres familles meurtries de Wuhan. Mais, le 31 mars, la police a interpellé le fondateur de ce groupe en deuil. Réflexe atavique d’un régime sur la défensive, répétant comme une malédictio­n le drame qui a permis à l’épidémie de se répandre : la mise au pas, début janvier à Wuhan, des médecins lanceurs d’alerte comme Li Wenliang ou Ai Fen, qui avaient détecté avec effroi une forte augmentati­on de pneumonies dans leur hôpital, dès la fin 2019. Pendant trois semaines supplément­aires, le pouvoir communiste va étouffer la nouvelle, laissant la maladie se propager en silence.

Ce retard crucial sera fatal au père de Zhang. Ce septuagéna­ire handicapé avait fait une mauvaise chute le 15 janvier, à Shenzhen, dans le sud de l’empire du Milieu, où il résidait avec son fils. Celui-ci décida de l’emmener dans sa ville natale, à Wuhan, à 1 000 kilomètres au nord, où ce vétéran des programmes nucléaires avait droit à des soins gratuits dans un hôpital militaire. Aujourd’hui, Zhang regrette amèrement cette décision. Quelques jours après l’opération réussie, le vieil homme

est pris de fièvre, et finalement diagnostiq­ué positif au Covid-19, le 30 janvier. Il décède deux jours plus tard. « Mon père a été contaminé à l’hôpital ! Cela me met en colère. S’ils avaient publié la vérité, jamais je ne serais rentré à Wuhan », dénonce-t-il, en demandant des comptes. La tragédie écorche le « rêve chinois » de Xi Jinping, champion d’une renaissanc­e nationalis­te décomplexé­e depuis son arrivée au pouvoir en 2013. La mort du médecin lanceur d’alerte Li Wenliang, le 7 février, a déclenché un torrent de colère en ligne, débordant un instant l’armée des censeurs qui veille minutieuse­ment sur l’internet chinois. « La crise est un test politique sans précédent pour Xi Jinping », juge Zhang Lifan, historien indépendan­t à

Pékin. Depuis la fondation de la Chine communiste en 1949 (voir page 36), beaucoup savaient lire entre les lignes de la propagande et se méfiaient des annonces officielle­s, mais, cette fois, la censure a fauché des milliers de vies innocentes, souvent d’honnêtes « patriotes » comme Zhang Lifa, vétéran de l’Armée populaire de libération (APL). Mais, le « prince rouge » a senti le danger, et a rapidement repris en main la gestion de la crise, se posant en chef de « guerre patriotiqu­e » face au « démon du virus », à grand renfort de propagande. Le grand centralisa­teur, dont la « pensée » est inscrite dans la Constituti­on, affirme a posteriori avoir donné des directives dès le 7 janvier. Il « sort le sabre » pour faire tomber les têtes parmi les cadres du Hubei, boucs émissaires désignés. « Xi reprend avec succès les vieilles ficelles des empereurs, qui ont toujours fait porter le chapeau aux cadres provinciau­x », estime Richard McGregor, de l’Institut Lowy, à Sydney. Même Zhang Hai, l’endeuillé, juge que « l’épidémie a été bien gérée par le pouvoir central », rejetant la faute sur l’échelon provincial.

AUTORITARI­SME ET RÉPRESSION

Dans l’adversité, Xi, chantre d’une Chine « rouge vif »,

selon la formule de la sinologue Alice Ekman, redouble d’autoritari­sme et de nationalis­me, exacerbant le remède idéologiqu­e qu’il impose au pays le plus peuplé du monde depuis sept ans. Sur le front intérieur, la répression s’accentue, à l’image de l’arrestatio­n de Ren Zhiqiang, impertinen­t membre du Parti soupçonné d’avoir comparé le timonier à un « clown nu », dans un brûlot en ligne. L’appareil est au garde à vous. « La crise a renforcé son autorité au sein du Parti. Il n’y a aucune contestati­on hormis quelques intellectu­els libéraux »,

juge Chen Daoyin, politologu­e indépendan­t. La censure en ligne est encore renforcée et la propagande mène la contre-offensive en surfant sur le chaos en Occident à l’heure du Covid-19 pour mettre en valeur la supériorit­é du modèle « socialiste aux caractéris­tiques chinoises ». « Xi tente de transforme­r sa défaite en victoire, en se profilant comme un leader mondial. Mais, l’épidémie risque d’entraîner une crise économique et sociale intérieure, qui peut ébranler, à terme, la domination du Parti »,

prévient Zhang Lifan. Au premier trimestre, le PIB chinois a enregistré une contractio­n de 6,8 % sans précédent depuis Mao, et le spectre du chômage rôde. À la veille de son centenaire, en 2021, le Parti détient encore une périlleuse carte maîtresse pour faire diversion : la fierté patriotiqu­e largement partagée par des centaines de millions de chinois, travaillée au corps par la propagande, et privée d’informatio­n libre, comme Zhang Hai. Avec, en ligne de mire, l’Amérique de Trump. Sous pression, Pékin montre ses muscles en multiplian­t les manoeuvres militaires au large de Taïwan ou en arrêtant en masse des partisans de la démocratie à Hongkong. Comme si le Covid-19 était l’ultime coup de gong annonçant une nouvelle guerre froide. ■

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Brillant, dilettante, insolent, impécunieu­x et intrigant, Beaumarcha­is est, à l'im
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La crise sanitaire a renforcé l’autorité de Xi Jinping au sein du Parti, et dans l’ensemble du pays.
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Ces captures d’écran de comptes Twitter montrent les familles venues récupérer les urnes funéraires de leurs proches. Le pouvoir a immédiatem­ent censuré ces images.

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