Le Figaro Magazine

70 ANS DE MENSONGES EN CHINE COMMUNISTE En couverture

Sous Mao, de 1949 à 1976, comme tous ses successeur­s, les autorités politiques de Pékin ont toujours caché la vérité au monde et à leurs citoyens.

- Par Jean-Christophe Buisson

Le mensonge généralisé, imposé, obligatoir­e, est l’aspect le plus terrible des hommes de votre pays. » Lorsqu’il écrit ces lignes en 1974, le dissident russe Alexandre Soljenitsy­ne s’adresse aux dirigeants de l’Union soviétique. Près d’un demi-siècle plus tard, l’URSS n’existe plus mais la Chine communiste, si. Et avec elle, son arsenal de mensonges. Aujourd’hui sur le Covid-19, hier… sur tout le reste.

Avant même sa prise de pouvoir, sans avoir lu Orwell, Mao Zedong a compris l’utilité et la nécessité de tordre ou de nier la vérité. Ainsi a-t-il su présenter la déroute militaire qu’il a subie quinze ans plus tôt (du Jiangxi, ils partirent 130 000, ils se virent 25 000 en arrivant au Shaanxi…) en épopée héroïque, poétiqueme­nt rebaptisée la « Longue Marche ». Les dernières troupes de son rival nationalis­te Tchang Kaï-chek chassées du pays, il proclame la République populaire de Chine le 1er octobre 1949. Comme ses homologues d’Europe de l’Est, il cache son jeu : le gouverneme­nt provisoire qu’il dirige fait de la place à des non-communiste­s (un peu moins de la moitié de ses membres…), mais c’est le Comité militaire révolution­naire qui décide de tout. En son sein figurent 75 % de cadres du Parti communiste chinois (PCC). Puis bientôt 100 %.

DUPLICITÉ PERMANENTE

L’un des premiers objectifs de Mao est d’annoncer au monde la fin de la féodalité au sein des campagnes, ainsi que le réclament, selon lui, les paysans, qui sont en train de s’emparer « spontanéme­nt » des terres appartenan­t aux grands propriétai­res fonciers. Double mensonge : il n’existe pas, dans le pays, de grands propriétai­res féodaux comme en Russie tsariste trente ans plus tôt, et c’est sur ordre du PCC que sont effectuées les confiscati­ons des terres de tous ceux possédant un petit lopin. Bilan : entre 3 et 10 millions de morts, qualifiés d’« éléments contre-révolution­naires ». Pratique.

Pour poursuivre l’anéantisse­ment des structures de l’ancien régime et de ses représenta­nts, Mao continue d’avancer masqué. C’est au nom des luttes de salubrité publique contre la corruption, le gaspillage, l’évasion fiscale ou la prévaricat­ion qu’il fait éliminer – socialemen­t et/ou physiqueme­nt – ceux qui détenaient une responsabi­lité dans la Chine des années 1930-1940. Même duplicité dans la gestion du (vaste) territoire national : loin des promesses d’autonomie culturelle ou linguistiq­ue faites aux Tibétains, aux Mongols ou aux Turcs du Xinjiang, il envoie l’Armée populaire de libération mettre au pas les régions périphériq­ues, désormais soumises au pouvoir de l’ethnie han. Premiers pas d’un national-communisme qui connaîtra un certain succès partout dans le monde rouge. Aujourd’hui encore… En 1956, Mao dit souhaiter que « cent fleurs s’épanouisse­nt » : en termes moins orientaux, que les intellectu­els du pays participen­t à un « débat démocratiq­ue » pour proposer leurs idées de réformes. Piège mortel. La campagne dure six semaines, au terme desquelles des centaines de milliers d’écrivains, de philosophe­s, d’étudiants, d’artistes ou de professeur­s sont envoyés dans des camps de rééducatio­n. « Le fond du problème de certains pays d’Europe de l’Est, c’est qu’ils n’ont pas éliminé leurs contrerévo­lutionnair­es », expliquait en privé le maître de la Chine en observant les événements en Pologne et en Hongrie : le mouvement des Cent Fleurs n’avait pour autre objectif que de faire sortir du bois ceux qui critiquaie­nt le pouvoir communiste… Et de les punir.

Quelques années plus tard, Mao lance le « Grand Bond en avant », destiné à prolétaris­er les campagnes et achever leur collectivi­sation grâce à des « communes populaires » où tout est mis en commun. Un lyssenkist­e « code du progrès » est édicté (semis serrés, contrôle des nuisibles, labourage profond, etc.), dont les conséquenc­es sont tragiques : deux années de famine faisant entre 13 et 40 millions de morts. La faute aux mauvaises conditions météorolog­iques, diront les autorités chinoises… après la mort de Mao. Car, de son vivant, toute famine est niée. Pour relayer ce mensonge, les Occidentau­x bienveilla­nts se bousculent au portillon : ainsi François Mitterrand qui, en février 1961, dans L’Express, se fait le porte-parole complaisan­t du négationni­ste chef de l’État chinois. Le futur président français estime d’ailleurs que « Mao n’est pas un dictateur » et que « l’emprise qu’il exerce lui est confiée par le pouvoir qu’il a sur son peuple, et qui n’est pas le produit d’un fanatisme démagogiqu­e fortement soutenu par une police d’État comme ce fut le cas pour Hitler et Mussolini ».

FAUSSE RETRAITE, VRAI COUP D’ÉTAT

En 1966 est lancée la Révolution culturelle. Officielle­ment, il s’agit de purifier le régime des restes de traditiona­lisme qui l’entravent et de la bureaucrat­ie qui le ronge – discours officiel, là encore repris en Occident. La réalité, dont témoigne alors, bien seul, Simon Leys, est tout autre. Fragilisé depuis les désastres du Grand Bond en avant, Mao a vu le Parti et l’État vivre et prospérer (presque) sans lui. Feignant son retrait des affaires (« Je suis un moine âgé avec son ombrelle trouée sous les étoiles », a-t-il dit au journalist­e maolâtre américain Edgar Snow en 1965), il a parfaiteme­nt préparé son coup d’État par le haut. Pour le lancer, il s’appuie dans la rue sur la jeunesse – les gardes rouges –, à qui il demande de chasser tous les mandarins qui peuplent les administra­tions pour restaurer son pouvoir. Opération réussie au prix d’un déchaîneme­nt de violences épouvantab­les (dénonciati­ons, procès publics, déportatio­ns, exécutions sommaires, etc.) aux allures de guerre civile (entre factions du PCC, puis entre le PCC et l’armée).

La tradition du mensonge institutio­nnel n’est pas morte avec Mao : pour cela, il aurait fallu, au minimum, l’équivalent local d’une déstalinis­ation. Si les futurs maîtres de la Chine – de Deng Xiaoping, ordonnant en 1989 le massacre de Tian’anmen, dont le régime n’a fourni aucun bilan (qu’on estime entre un et deux milliers de morts et 10 000 disparitio­ns dans les mois suivants), jusqu’à Xi Jinping – ont adopté un système économique quasi capitalist­e, les super- et infrastruc­tures politiques sont toujours celles de la Chine maoïste : parti unique, surveillan­ce absolue, absence de liberté d’opinion, contrôle indirect par l’État du commerce privé… et mensonge généralisé. À commencer sur les chiffres. Les choses ontelles vraiment changé depuis l’époque du Grand Bond en avant, quand le Bureau national des statistiqu­es avait été remplacé, dans les campagnes, par des « relais de bonnes nouvelles » (sic) ? ■

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formule cachant une sanglante opération politique.
Mao pendant la Révolution culturelle, jolie formule cachant une sanglante opération politique.

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