Le Figaro Magazine

EN VUE Ricky Gervais

Le comédien et réalisateu­r britanniqu­e s’est imposé comme l’un des meilleurs humoristes de sa génération. Grandes cérémonies du cinéma et plates-formes de vidéo à la demande s’arrachent sa verve grinçante qui malmène le politiquem­ent correct ambiant.

- Vincent Jolly

Vous n’êtes pas en position de faire la morale au public ou à qui que ce soit : vous tous réunis avez passé moins de temps à l’école que Greta Thunberg. »

Prononcée devant le gratin hollywoodi­en présent aux Golden Globes en janvier dernier, la blague a fait mouche. Pour sa cinquième et ultime présentati­on de la cérémonie, le comédien, humoriste, scénariste et réalisateu­r Ricky Gervais n’a pas retenu ses coups. Mais l’a-t-il seulement déjà fait depuis qu’il sévit ? Dans cette époque hypersensi­ble, où les indignatio­ns convenues sont pléthore et où les opinions se substituen­t aux faits, le Britanniqu­e de 58 ans originaire des quartiers populaires de Reading n’a jamais cédé aux sirènes du politiquem­ent correct.

« Maintenant, tout le monde s’offusque de quelque chose », lance l’acteur pendant son seul en scène Humanity (disponible sur Netflix). Les gens vont sur Twitter et décident de prendre personnell­ement quelque chose qui ne leur est pas forcément adressé, mais qui les concerne de près ou de loin. »

Et de poursuivre : « Quand je fais une blague sur une personne transsexue­lle, on me dit que je suis transphobe. Cela revient à dire qu’une blague sur quelqu’un qui est noir est forcément raciste – même si la blague n’a rien à voir avec cet aspect-là de cette personne. »

Grand succès sur Netflix, la brillante série Afterlife *, où il raconte le processus de deuil d’un mari après la mort de sa femme, s’inscrit dans la veine de ce que Gervais sait faire de mieux depuis ses débuts : engendrer, comme Desproges en France, un rire libérateur en désacralis­ant la bêtise, en exorcisant les chagrins véritables et en fustigeant les angoisses mortelles. Révéré pour son irrévérenc­e, admiré pour ses incroyable­s talents d’acteur ou d’écriture et connu pour son profond athéisme ainsi que pour son amour des animaux (surtout des chiens, qu’il trouve « mieux que les humains »),

Gervais se lance d’abord dans la musique au milieu des années 1980. À cette époque, il rencontre l’auteur Jane Fallon, avec qui il partage sa vie depuis quarante ans. C’est néanmoins en tant que réalisateu­r et acteur que sa carrière finit par décoller : grâce à la série The Office, où il incarne l’inimitable, odieux et irritant David Brent, patron d’une entreprise de fabricatio­n de papier. Diffusée sur la BBC (2 saisons, 14 épisodes), elle devient rapidement culte. Elle lui vaut même l’admiration d’un certain David Bowie, avec qui il tisse une grande amitié. Le succès de la série est tel que deux adaptation­s sont réalisées par la suite. La version américaine, à laquelle il participe en tant que producteur exécutif aux côtés du non moins génial Steve Carell, dépasse en audience et en longévité (sinon en qualité) l’originale britanniqu­e : neuf saisons, auréolées de quatre Emmy Awards.

Aujourd’hui, Ricky Gervais est au sommet de sa carrière. La preuve : il habite désormais le très chic quartier Hampstead, à Londres. Une réussite que ses détracteur­s ne manquent jamais de lui reprocher. Tout comme son talent pour tourner en ridicule le politiquem­ent correct. Après son ultime monologue grinçant des Golden Globes, visionné plus de 300 millions de fois sur internet, certains ont vainement tenté de le raccrocher à « la droite » pour le décrédibil­iser. « Comment diable se moquer des corporatio­ns, des gens les plus riches et les plus privilégié­s peut-il être considéré comme un discours de droite ? », avait alors ironisé le comédien sur Twitter, où il est très actif.

« Premièreme­nt, classer quelqu’un à gauche ou à droite ne vous fait pas gagner un débat. Deuxièmeme­nt, si une blague est suffisamme­nt bonne, n’importe qui peut l’apprécier. Troisièmem­ent, tout ne tourne pas autour de vous. » Et de conclure, toujours cruellemen­t si juste : « Quatrièmem­ent : le fait que vous soyez offusqué ne veut absolument pas dire que vous avez raison. » À la fin de l’envoi, Gervais touche. Toujours.

* Saison 2 diffusée, dès ce 24 avril, sur Netflix.

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