LA VOLONTÉ DE TOUTE-PUISSANCE
Se réinventer ? » C’est la tâche qu’un grand de ce monde s’est récemment imposée. L’emploi du verbe réinventer est devenu commun. Ses usagers sont multiples et divers ; ses objets, innombrables : « l’amour » (Rimbaud), « une humanité » (Line Renaud), « le chemin » (Edwy Plenel), « nous-mêmes » (Nicolas Sarkozy), « le monde » (Yasmina Khadra). Alain Badiou a même proposé un audacieux « réinventer cette réinvention ». Mais pour être répandu, cet usage n’en reste pas moins obscur. Selon Littré, qui ne ment jamais, « inventer », c’est « créer quelque chose de nouveau par la force de son esprit ». « S’inventer » consisterait dès lors à se créer soi-même, tel que jamais on ne fut, tel que jamais nul ne fut. Il en faut, de l’esprit, pour oeuvrer de la sorte ! Mais, cela ne suffit pas. Pour Littré, qui ne cesse de nous embarrasser, « créer », c’est « tirer quelque chose du néant ». « S’inventer » supposerait donc que l’on puisse s’arracher à son propre néant. Passer du « rien » au « quelque chose ». S’autoproduire absolument. Bref, quitter la logique pour entrer dans le miracle. On est très loin d’une banale ambition démiurgique consistant à faire du neuf avec du vieux. Mais très près d’une volonté de puissance rêvant de s’accomplir dans l’autodivinisation. Dès lors, l’Être suprême ne connaissant aucun
« n + 1 », on voit mal ce que gagnerait une créature devenue céleste à réitérer l’opération, à
« se réinventer ».