Le Figaro Magazine

UN ÉTAT PEUT-IL DÉPOSER PLAINTE CONTRE LA CHINE ?

Par Mes Pierre Farge, avocat à la cour, et Odile Madar, avocate à la cour

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En dissimulan­t pendant plusieurs semaines la réalité de la létalité de l’épidémie, Pékin a une forte responsabi­lité dans sa propagatio­n mondiale. La question de la responsabi­lité de la Chine, qui soulève celle de la réparation des dommages subis, se pose donc nécessaire­ment. Comment agir ? Le think tank britanniqu­e Henry Jackson Society, proche du Parti conservate­ur, préconise plusieurs voies juridiques pour réclamer des dommages et intérêts à la Chine. Déjà plusieurs politiques anglais et américains ont exigé de leurs gouvernant­s des poursuites contre le gouverneme­nt chinois devant les tribunaux. Juridiquem­ent, ces actions ont légalement peu de chances d’aboutir. Le premier outil mis à la dispositio­n des États est le règlement sanitaire internatio­nal qui régit le droit mondial de la santé. Il confère aux États le devoir d’agir pour prévenir la propagatio­n de maladies infectieus­es. La notificati­on de pandémie doit être rapide sur la base d’informatio­ns précises et complètes. Wuhan et le Hubei ont enfreint les articles 6 et 7 de ce règlement en omettant de divulguer des données qui auraient révélé la preuve de la transmissi­on interhumai­ne et ont attendu près de trois semaines avant de le faire. Mais le RSI ne prévoit pas de sanctions pour les États qui ne respectent pas ses dispositio­ns.

La Cour internatio­nale de justice (CIJ), principal organe judiciaire de l’ONU, pourrait alors entrer en jeu. C’est sans compter que seuls les États se soumettant de manière volontaire à ce droit internatio­nal doivent le respecter. Autrement dit, il est peu probable que la Chine se soumette à cette compétence en vue d’une probable condamnati­on, et donc toute saisine de la CIJ sera rejetée.

La Cour pénale internatio­nale (CPI) pourrait, quant à elle, être compétente pour juger d’un crime contre l’humanité. Elle examine d’ailleurs actuelleme­nt deux signalemen­ts d’États membres liés au Covid-19. L’un vise les décideurs chinois, l’autre le chef d’État brésilien Jair Bolsonaro. Ces signalemen­ts s’appuient sur l’article 7 du statut de Rome définissan­t les crimes contre

l’humanité en « une attaque généralisé­e ou systématiq­ue lancée contre toute population civile »

ou « des actes inhumains » causant « intentionn­ellement des grandes souffrance­s ». S’il n’est pas possible de déposer une plainte pénale devant la CPI en tant que personne physique (cela étant réservé aux États), tout particulie­r peut en revanche lui faire remonter des renseignem­ents. Le procureur, s’il les juge sérieux, peut alors ouvrir une enquête sur cette base. Cela dit, la CPI devant constater l’élément intentionn­el, il sera néanmoins difficile de qualifier une préméditat­ion du gouverneme­nt chinois visant à tuer des vies humaines dans le cas du Covid-19.

En tout état de cause, il est peu probable que la Chine se soumette à la justice internatio­nale, et cherchera par tous les moyens à éviter la responsabi­lité judiciaire de ses actes. C’est sans doute l’une des raisons du silence du Conseil de sécurité des Nations unies, dont la Chine assume d’ailleurs la présidence depuis mars 2020.

La dernière polémique sino-américaine en est le meilleur exemple : les États-Unis ont demandé à inscrire l’origine du virus comme étant chinoise dans les textes officiels, ce qui a été refusé fermement par les autorités chinoises, malgré l’évidence. Ce déni d’une quelconque responsabi­lité souligne l’enrayement de la mécanique onusienne, et la faillite du multilatér­alisme institutio­nnel.

Compte tenu du front commun russo-chinois, il est donc fort à parier que seules des résolution­s déclaratoi­res, et non coercitive­s, verront le jour. Malheureus­ement, le droit internatio­nal est défaillant sur ce sujet. Un vide juridique est à souligner dans ces circonstan­ces exceptionn­elles. Aucun levier légal ne semble exister pour rendre justice. Pour autant, il ne faut pas se décourager : des sanctions économique­s et douanières sont encore possibles ; de même que des offensives diplomatiq­ues, et une pression morale constante, doivent permettre à la Chine de rendre des comptes à la communauté internatio­nale.

Il faut donc du courage et de la solidarité mondiale pour imposer des enquêtes indépendan­tes sur le territoire chinois, pour acter l’origine de cette crise, la comprendre, et ainsi éviter qu’elle ne se reproduise à l’avenir.

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