Le Figaro Magazine

CINQ TUBES DE NEMBUTAL

- LES PASSE-TEMPS D’ÉRIC NEUHOFF

Paris ne se ressemble plus. Pas un restaurant. Pas un cinéma. L’épidémie est ce moyen un peu extrême de supprimer les embouteill­ages. Les théâtres sont fermés, ce qui provoque des comparaiso­ns avec l’Occupation. Gageons que Sartre se serait débrouillé pour faire jouer quand même une de ses pièces. Laquelle ? On a l’embarras du choix. Le metteur en scène aurait hésité entre Huis clos (trop évident) et Les Mains sales (se munir de gants en plastique à l’entrée).

Le moral joue les montagnes russes. À propos de Russie, l’acteur George Sanders, que tout le monde croyait britanniqu­e, était né à Saint-Pétersbour­g. À l’écran, il enfilait souvent l’uniforme nazi ou la livrée de l’odieux majordome de Rebecca. Dans Ève, il alla encore plus loin : il était critique. Il a épousé Zsa Zsa Gábor. Sa vie n’aura été qu’un haussement d’épaules. Avec sa voix si particuliè­re, traînante et limpide, il dominait ses partenaire­s en bâillant. Cet ennui n’empêchait pas un humour ravageur. On le retrouve dans son autobiogra­phie, Mémoires d’une fripouille. La seule chose qu’il prenait au sérieux, c’était le criquet. Dans Voyage en Italie, il se disputait avec Ingrid Bergman et pilotait une Rolls qui n’était pas une Rolls. Avant de se suicider dans un hôtel de Barcelone, il laissa un mot en forme de télégramme : « Je sens que j’ai vécu suffisamme­nt longtemps. Je vous abandonne à vos soucis dans cette charmante fosse d’aisances. Bon courage. » Cinq tubes de Nembutal, et puis au revoir.

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