LES PONEYS SAUVAGES, de Michel Déon (1970), Gallimard/Folio, 563 p., 9,70 €.
ILLUSIONS PERDUES
Voici un classique, l’un de ces romans que l’on peut lire ou relire à n’importe quel âge de sa vie et en tirer de vifs bonheurs. Prix
Interallié 1970, l’oeuvre Les Poneys sauvages brasse quasiment un demisiècle d’histoire à travers les destins croisés de quatre amis. De la Seconde
Guerre à la guerre froide en passant par la guerre d’Algérie, ce gros roman polyphonique se déploie en donnant chair et sang aux chocs des idéologies et des civilisations. Michel Déon fait souffler ici l’air du large, mais n’occulte aucune des guerres fratricides hexagonales de son temps. La Résistance, l’épuration, le drame algérien et les promesses non tenues ainsi que l’évocation du massacre de Katyn ancrent le récit dans la tragédie sans que l’écrivain ne néglige la petite musique du désenchantement et de la mélancolie distillée par l’intuition que vient un monde « où il y aura de moins en moins de poneys sauvages ».
Avec cette méditation sans illusions sur les idéologies au coeur d’une époque et d’une génération qui fut aimantée par la double attraction du fascisme et du communisme, Déon fait entendre la voix d’un homme singulièrement libre écartant l’hémiplégie partisane :
« Le souci d’aimer ou de dire la vérité vous place tantôt à droite, tantôt à gauche. On reconnaît les hommes malhonnêtes à ce qu’ils sont constamment à gauche ou constamment à droite. Inscrit à un parti, fidèle à ce parti et à ses chefs, vous acceptez implicitement de truquer ou de mentir par omission. La gauche et la droite ne sont plus des notions abstraites, ce sont des cages, des prisons et il se pourrait bien que la plus sectaire des deux soit la gauche, celle-là même qui s’est élevée autrefois avec le plus de courage contre le sectarisme de la droite appuyée par le clergé et l’armée. » En 2020, Les Poneys sauvages conserve tout son pouvoir d’attraction, ses audaces, ses beautés.