Le Figaro Magazine

L’ESPRIT DE RENARD

JOURNAL 1887-1910, de Jules Renard, Robert Laffont/Bouquins, 1 030 p., 31 €.

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Je suis le monsieur qui a toujours, hélas ! le petit mot pour rire. » Jules Renard n’avait pas la méchanceté vicieuse des Goncourt mais était le champion du sarcasme et de l’ironie, ce qui est toujours un moyen commode pour cacher sa vraie nature

(la tendresse de son grand succès

Poil de carotte en témoigne). Son Journal est singulier. Le cofondateu­r de Mercure de France n’avait pas l’obsession du détail ni la graphomani­e galopante de Léautaud. On y trouve quelques passages assez développés, une majorité d’aphorismes, ainsi que des groupes de courtes phrases contemplat­ives qui se lisent comme des haïkus...

Il avait un talent sans égal pour décrire le physique de ceux qu’il croisait (« Jean Lorrain avec ses yeux enflés, et dont les paupières ressemblen­t à des capotes de diligence, lâches, et qui retombent

toujours »), raillait la poésie de son temps (« Un poète, parfois

peut écrire en français »), et ses nombreuses saillies misogynes sont tellement outrées qu’elles en deviennent peu crédibles. Ce Républicai­n anticléric­al était sans doute amer d’avoir eu une mère qui ne l’avait jamais aimé : Renard avait besoin de reconnaiss­ance. Il s’est battu comme un diable pour obtenir la Légion d’honneur et a fini, ravi, par entrer à l’académie

Goncourt, y remplaçant Huysmans.

Le grand spécialist­e de l’écrivain, Henry Bouillier, explique que l’auteur doutait de son talent et qu’il dissimulai­t ce doute derrière ses éternels bons mots. Lesquels lui venaient parfois dans les lieux les plus saugrenus : « “Ah !” me dit le noble vieillard en sortant de la vespasienn­e. “L’homme est comme un temple. Quand la colonne est brisée, il tombe, et les femmes n’y portent plus leurs dévotions.”»

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