LA TENDRE IRONIE DE MARCEL AYMÉ
URANUS, de Marcel Aymé (1948), Gallimard/Folio, 384 p., 8,90 €.
Tout est bon dans Marcel Aymé : ses classiques pour la jeunesse (Les Contes du chat perché), son théâtre
(La Tête des autres, plaidoyer contre la peine de mort), ses essais (Le Confort intellectuel), ses nouvelles (Le Passe-muraille), ses romans fantastiques
(La Vouivre), ruraux (La Table-auxcrevés, Le Moulin de la Sourdine) ou parisiens (Travelingue, Le Chemin des écoliers).
Uranus est l’un de ses romans les plus réjouissants car il synthétise l’ensemble de son oeuvre : dans un bourg de province, juste après la Libération, la vie reprend, mais l’harmonie n’est pas au rendez-vous. Il y a des FFI zélés, des communistes qui se pensent tout-puissants et tentent de faire régner la terreur, un fasciste en cavale, un père de famille sympathique mais mou et indécis (comme tous les personnages de père chez Marcel Aymé), un professeur rêveur qui s’émeut devant les insectes, un bourgeois qui s’est engraissé pendant la guerre et son fils idiot (« Quand
je te vois, je me dégoûte ! » lui dit son géniteur), et un personnage extraordinaire : Léopold le cafetier. C’est un colosse porté sur la bouteille qui pleure lorsqu’on enseigne la poésie dans son bistrot, l’école ayant été bombardée. Il se passionne pour Racine et Andromaque en particulier, puis devient poète, a des « vers » qui lui
« sortent de partout », et compose :
« Passez-moi Astyanax, on va filer en douce. Attendons pas d’avoir les poulets à nos trousses. Mon Dieu, c’est-il possible. Enfin voilà un homme. Voulez-vous du vin blanc ou voulez-vous du rhum ? » Comme toujours, Marcel Aymé se régale à croquer la lâcheté et l’hypocrisie, avec son ironie légère, discrète, et cette plume chirurgicale qui n’a jamais connu aucun équivalent.