LA CONSOLATION
Comment tempérer la tristesse d’une année sans Festival de Cannes ? En songeant aux films auxquels nous avons échappé – provisoirement.
CHERS CINÉPHILES AVERTIS, comme Éric Neuhoff dans sa chronique voisine, vous pleurez sans doute l’annulation du Festival de Cannes qui aurait dû débuter cette semaine. Comme lui, vous auriez aimé savoir de quoi retournait exactement le nouveau film de Wes Anderson, French Dispatch, avec son casting baroque – une dizaine de comédiens français de premier et second choix autour des merveilleux Bill Murray, Elisabeth Moss,
Owen Wilson et Tilda Swinton. Certes.
Mais avez-vous pensé à tous les films auxquels nous allons échapper ce printemps ? Doit-on se plaindre de ne pas avoir à subir, sous le soleil de mai, les gémissements des actrices (puis, après la projection, ceux de son réalisateur) du deuxième volet de Mektoub My Love, d’Abdellatif Kechiche ? Faut-il regretter le report du énième retour de Leos Carax qui, après le désastreux Holy Motors, devait présenter un film intitulé Annette – auquel on a tant envie d’ajouter un D ?
Est-il raisonnable de s’attrister à la perspective d’être privé d’une oeuvre d’Apichatpong Weerasethakul, palme d’or il y a dix ans avec un trop long-métrage peuplé de fantômes et de peluches velues noires aux yeux rouges ?
Pleurera-t-on vraiment de ne pas voir tout de suite ce film français tourné en seize jours contant le voyage d’une femme qui, au moment d’enterrer sa vie de jeune fille en Roumanie, tombe amoureuse d’un gitan local ? Ou cet autre, suédois, évoquant la sexualité comme reflet des passions sociales à travers le destin d’une actrice porno aspirante (non, non, il n’y a pas de jeu de mots) ? Ou encore ce film kosovar narrant les aventures de trois jeunes Albanaises créant un gang pour tromper leur ennui ? Ou, signé du cinéaste queer Bruce LaBruce, ce récit de retrouvailles sensuelles de frères siamois séparés à leur naissance ? Avait-on envie de découvrir le nouveau film de Samuel Benchetrit ?
Désirait-on réellement voir ces films aux thématiques aussi alléchantes que le harcèlement scolaire, le trafic de drogue, la fin du monde, l’avortement, l’éveil adolescent à la sexualité (ou plutôt : aux sexualités), la vie bien difficile des migrants en Europe et celle des délinquants dans les prisons ivoiriennes… ?
Toutes ces questions méritent-elles une autre réponse que : NON ?