AU PUY DU FOU, PHILIPPE DE VILLIERS REPART À L’OFFENSIVE
Le Puy du Fou va rouvrir ses portes le 11 juin. Une décision qui ravit Philippe de Villiers, qui nous a accueillis en Vendée à l’occasion de la sortie de son nouveau livre-réquisitoire, « Les Gaulois réfractaires demandent des comptes au Nouveau Monde ». Chantre déterminé de l’Ancien Monde, il nous explique pourquoi la France ne pourra se « réinventer », selon lui, qu’en revenant aux fondamentaux de la souveraineté nationale.
C’est peu dire que Philippe de Villiers est content : il exulte. Après deux mois de fermeture, le Puy du Fou va rouvrir le 11 juin. Pas à 100 % et, évidemment, avec les précautions sanitaires que nous ne détaillerons pas ici tant elles nous sont répétées quotidiennement. Mais il a sauvé l’oeuvre de sa vie, qui, à défaut, eût été menacée à plus ou moins long terme de dépôt de bilan (le parc a perdu 30 millions d’euros de chiffre d’affaires depuis le 4 avril, date à laquelle il aurait dû commencer la saison). Son bébé a beau être aujourd’hui un athlète multicapé, ainsi qu’en témoignent les trophées internationaux (1) qui trônent dans le bureau du vicomte, il continue de le bichonner avec une affection paternelle, voire maternelle. Monté sur ressorts, plus agité et volubile que jamais, il arpente son fief, bondissant du stadium gallo-romain au drakkar viking, de l’académie de fauconnerie au chantier du Grand Siècle, le dernier-né de ses hôtels (bâti sur le modèle du château disparu de Marly). Répétitions, entraînements, ajustements, finitions : chacun s’active afin d’être prêt pour le jour J. Il salue les uns, plaisante avec les autres. Pour eux comme pour lui, c’est une résurrection.
LE COUP DE POUCE PRÉSIDENTIEL
Une résurrection venue du Ciel (et d’ailleurs annoncée le 21 mai, jour de l’Ascension !) et décidée par Jupiter en personne, puisque c’est le président de la République qui a tranché en faveur de l’ouverture des parcs à thème en zone verte à compter du 2 juin, contre l’avis du premier ministre. Ce qui lui a valu la reconnaissance et la gratitude du Vendéen sur Twitter : « Merci à Emmanuel Macron de son message chaleureux. Merci d’avoir transféré le dossier du Puy du Fou au Conseil de défense. Le Puy du Fou va revivre. Le Puy du Fou vivra. » Les yeux plissés et brillants, Philippe de Villiers narre avec une gourmandise évidente les faits d’armes de la croisade antijacobine que fut son bras de fer avec l’État pendant le confinement. Il y a du goupil chez cet animal politique issu du bocage. En jouant l’Élysée contre Matignon, il a obtenu ce qu’il voulait : préserver « coûte que coûte » le Puy du Fou et c’est l’essentiel pour lui. Nouée en août 2016, lors de la visite du couple Macron au Puy du Fou (2), la complicité paradoxale entre le souverainiste passionné et le mondialiste convaincu ne s’est jamais démentie. Ce qui n’empêche pas Philippe de Villiers de l’étriller drôlement dans son nouvel ouvrage (voir notre critique en p. 56). De quoi y perdre son latin : se serait-il, lui aussi, converti à l’acrobatique chorégraphie du « en même temps » macronien ? Serait-il victime d’un dédoublement de personnalité ? Aurait-il envoyé son manuscrit un peu tôt à l’éditeur, avec impossibilité de faire marche arrière après l’annonce du miracle ?
« Pas du tout, rétorque-t-il. Il n’y a aucun hiatus : dans nos relations, j’ai toujours distingué l’amitié puyfolaise, que je crois sincère depuis quatre ans, et le désaccord idéologique. Ce qui serait vil de ma part serait, sous prétexte qu’il vient en aide au Puy du Fou, de me taire sur le fond, sur les idées. Mon livre n’est ni un pamphlet ni un libelle, c’est une adresse à un homme qui a déclaré dans son allocution du 13 avril dernier : “Sachons nous réinventer, moi le premier.” Lui, l’adepte et l’apôtre du Nouveau Monde (puisque c’est ainsi qu’on appelle le règne tout puissant du mercantilisme et des technologies dans son entourage parisien), celui qui voulait un pays plus moderne, plus mobile, plus métissé, reconnaît ipso facto s’être planté. Et la crise sanitaire l’a démontré, puisqu’on nous dit aujourd’hui de fabriquer français, de consommer français, de fermer les frontières, de rester chez soi ! La théorie de l’« homme nomade », chère à Jacques Attali, est une catastrophe qui nous a menés à l’abîme. La “réinvention” que le Président appelle de ses voeux passe par la redécouverte de l’Ancien Monde : la souveraineté nationale, la décision régalienne, les frontières, les racines, la famille, etc. »
BÂTIR LE NOUVEAU MONDE
Et cet Ancien Monde, qui permettrait une éventuelle renaissance ou, du moins, un sauvetage in extremis de la France, il se trouve justement au Puy du Fou, affirme le Chouan des Herbiers. C’est la raison pour laquelle il nous reçoit sur ses terres. « Le Puy du Fou n’est pas un simple parc d’attractions ou de divertissement,
En politicien matois, il a joué l’Élysée contre Matignon. Sa victoire est aussi la défaite du premier ministre
l’avatar français de Disneyland, explique-t-il. C’est un acte de civilisation, un lieu de mémoire vivante où s’exprime le légendaire d’un peuple. Avec mon expérience, je connais les hommes et j’ai bien observé Emmanuel Macron lorsqu’il est venu ici : il a été sincèrement touché et ému par ce qu’il a vu. Je ne pense pas me tromper. C’est le premier visiteur politique qui ait compris la mystique portée par le Puy du Fou, sa dimension spirituelle. Il y a donc chez lui une sensibilité potentielle à l’Ancien Monde que nous incarnons. J’ai envie de lui dire : « Le “Nouveau Monde” à bâtir, c’est nous ! ». En tout cas, il passe par nous, par les patries charnelles, par les grandeurs passées, par le culte des ancêtres et des héros. » Reste que le calcul politique (en l’occurrence, draguer l’électorat de droite) n’était sans doute pas à exclure de la part de celui qui allait trois
mois plus tard déclarer sa candidature à la présidentielle (3)… « C’est possible, commente Philippe de Villiers, mais je crois que c’est plus complexe. Le “en même temps” oblige, il y a chez lui un Macron des villes et un Emmanuel des champs. C’est ce qui émane du dialogue contradictoire que nous avons construit et nourri depuis 2016. Nous ne sommes d’accord sur rien, mais nous nous parlons avec un respect mutuel. Un exemple parmi d’autres : en mars 2019, il m’invite à dîner à l’Élysée. Il avait fustigé la “lèpre populiste” l’année précédente, ce que j’avais jugé insultant. J’arrive en lui disant : “Je le confesse : je suis un lépreux, souverainiste et populiste. Et je ne me soigne pas !” Puis, j’offre mon Mystère Clovis à Brigitte, avec cette dédicace : “À la reine Clotilde, pour qu’elle influence le roi des Francs.” Au Président, je donne J’ai tiré sur le fil du mensonge et tout est venu (une enquête choc sur la genèse de l’Union européenne, NDLR), avec l’envoi suivant : “À Emmanuel Macron, pour qu’il comprenne enfin que, hors de la souveraineté nationale, il n’y a pas de salut.” Une mise en bouche suivie par trois heures et demie de joute oratoire et de controverse doctrinale où nous étions en opposition sur tout. »
Voilà qui va donner du grain à moudre à tous ceux qui dénoncent un “passe-droit” dans la réouverture du parc vendéen
LA RÉPARATION D’UNE INJUSTICE
Les soirées de l’Élysée réservent ainsi bien des surprises… Quant à Emmanuel Macron, on va finir par se demander s’il n’est pas plus Janus (le dieu romain à double face) que Jupiter ! En tout cas, son auguste soutien s’est manifesté à au moins quatre reprises, indique Villiers, courrier à l’appui : menaces sur le bénévolat (consubstantiel à la Cinéscénie originelle) ; lobbying pour interdire les « animaux sauvages » dans les spectacles ; projet d’installation d’éoliennes autour du parc ; construction envisagée de l’aéroport Notre-Damedes-Landes. Voilà qui va donner du grain à moudre à tous ceux qui, à gauche et dans les milieux de la culture, critiquent le « fait du Prince » et dénoncent un « passe-droit » dans la réouverture du parc vendéen. Philippe de Villiers riposte à boulets rouges : « D’abord, ce n’est pas un passe-droit, c’est la réparation d’une injustice. Surtout, il y a plusieurs différences entre tous ces aigris (organisateurs de festivals fantômes ou de théâtre pour happy few) et nous. Primo, nos tribunes sont pleines, les leurs sont vides. Secundo, chez nous, les gens pleurent d’émotion ; chez eux, ils bâillent d’ennui. Tertio, le Puy du Fou n’a ni actionnaire ni subvention (nous sommes une structure associative), contrairement à tous ces perfusés. Enfin, le Puy du Fou est une oeuvre d’art ; eux (j’ai eu l’occasion d’assister à leurs élucubrations lorsque j’étais secrétaire d’État à la Culture de Jacques Chirac) sont incapables d’en produire une. » C.Q.F.D.
UNE FLAMME MÉTAPOLITIQUE
Contrairement à ce que peut laisser penser la talentueuse et désopilante imitation du personnage par Nicolas Canteloup, la flamme qui anime Philippe de Villiers n’est pas religieuse mais métapolitique. Ce « gramsciste » (4) de droite sait que la conquête du pouvoir passe par la bataille des idées. Il pense que si les Français retrouvent le goût de l’épique, ils ne sont peut-être pas tout à fait morts. Et de citer Patrice de La Tour du Pin, en guise de conclusion : « Tous les pays qui n’ont plus de légende/Seront condamnés à mourir de froid… » ■ Jean-Louis Tremblais
(1) Le dernier en date étant le Thea (Themed Entertainment Association) Awards for Outstanding Achievement, l’oscar de la profession, décerné à la « meilleure animation du monde » et qui devait être remis en avril 2020 à Los Angeles.
(2) C’est à cette occasion qu’Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique de François Hollande, avait déclaré : « L’honnêteté m’oblige à vous dire que je ne suis pas socialiste ! »
« Ce fut le premier miracle de l’anneau de Jeanne d’Arc, que nous venions de rapatrier au Puy du Fou », ironise Philippe de Villiers. (3) Sa candidature officielle avait été rendue publique le 16 novembre 2016.
(4) L’Italien Antonio Gramsci (1891-1937) est un intellectuel marxiste connu pour sa théorie de l’hégémonie culturelle.