Le Figaro Magazine

COMMENT LE RÉSEAU INDIGÉNIST­E TISSE SA TOILE

- Par Nadjet Cherigui

L’affaire Floyd, et l’onde de choc qu’elle a provoquée, est une opportunit­é pour les militants indigénist­es et communauta­ristes qui se sont

emparés ces dernières semaines de cette émotion légitime pour porter leurs revendicat­ions : dénoncer une police et un État français présentés comme systématiq­uement racistes et imbiber un peu

plus la société de leur doctrine.

Le calvaire de George Floyd, cet Afro-Américain agonisant durant huit minutes et quarante-six secondes sous le genou d’un policier blanc, a ébranlé le monde entier et suscité une vague d’indignatio­n sans précédent. Son martyre a traversé l’Océan pour importer dans l’Hexagone une problémati­que que certains voudraient similaire en comparant cette dramatique affaire de Minneapoli­s avec celle d’Adama Traoré, ce jeune homme de 24 ans, originaire du quartier de Boyenval, à Beaumont-sur-Oise, et mort en juillet 2016 après son interpella­tion par les gendarmes.

Depuis quatre ans, le comité La Vérité pour Adama, par la voix d’Assa Traoré, sa soeur, n’a de cesse de désigner les gendarmes comme racistes et responsabl­es de la mort du jeune homme. Devenu porte-drapeau de la mobilisati­on contre les violences policières, le comité a organisé des manifestat­ions à Paris les 2 et 13 juin derniers et veut se faire l’écho en France du mouvement américain Black Lives Matter.

DES REVENDICAT­IONS DISPARATES

Pour Sami Biasoni, coauteur avec Anne-Sophie Nogaret de l’ouvrage Français malgré eux, publié aux Éditions de l’Artilleur, la comparaiso­n du cas d’Adama Traoré avec celui de George Floyd s’apparenter­ait plutôt à une stratégie opportunis­te pour porter en réalité d’autres revendicat­ions : « L’affaire Floyd est tombée au bon moment pour les membres du comité La Vérité pour Adama. Elle leur a permis d’accomplir un véritable coup de force médiatique, en réunissant à Paris près de 15 000 personnes portant des revendicat­ions très disparates passant de l’antiracism­e au militantis­me contre les violences policières. Cela démontre aussi une véritable faiblesse de notre société et la remise en cause de l’unité nationale après les nombreuses manifestat­ions des néoféminis­tes, des environnem­entalistes, des “gilets jaunes”, etc. Il faut, insiste l’auteur, noter également l’influence des thèses défendues par les activistes indigénist­es derrière le comité La Vérité pour Adama. »

Ce mouvement indigénist­e auquel fait référence Sami Biasoni est actif sur le terrain des manifestat­ions (aux côtés notamment d’organisati­ons comme la très sulfureuse Ligue de défense noire africaine). Né en 2005, il s’appuie sur une littératur­e universita­ire issue de Michel Foucault, Pierre Bourdieu ou l’ethnopsych­iatrie. Les Indigènes de la République n’ont de cesse, depuis leur création, de dénoncer la France comme un État dont le racisme serait institutio­nnalisé. Cette pensée est théorisée par des personnali­tés comme le sociologue Saïd Bouamama ou Houria Bouteldja. Cette dernière s’est distinguée lors d’une allocution publique en affirmant au micro « Mohammed Merah, c’est moi », exprimant ainsi sa compassion pour le terroriste dont la folie haineuse avait fait sept morts, dont trois enfants, et six blessés lors des tueries de Toulouse et Montauban en 2012.

ACTIFS DANS LES BANLIEUES

« Ces gens jargonnent beaucoup et se prennent pour des intellectu­els, déplore Anne-Sophie Nogaret, l’autre auteur de Français malgré eux. Pour eux, la France est toujours coloniale. Ils considèren­t que les Arabes et les Noirs sont encore aujourd’hui des indigènes et ne répondent pas aux mêmes droits que les autres citoyens. Ce groupuscul­e a étendu son réseau d’influence dans les banlieues grâce au relais des mairies, surtout communiste­s et d’extrême gauche, en infiltrant les sphères du pouvoir grâce aux facultés et à la sympathie des universita­ires, puis dans les médias qui reprennent aujourd’hui ses éléments de langage comme les mots “racisé” ou “privilège blanc”. Ils sont très actifs et visibles sur le terrain médiatique à travers, notamment, le comité La Vérité pour Adama. C’est terrible car ils ont pour objectif de détruire ce pays,

colonial à leurs yeux, que représente la République. »

Rachida Hamdan est connue pour sa bonne humeur contagieus­e et son sourire indéboulon­nable. Depuis le local de son associatio­n, elle veut dire aujourd’hui sa colère contre la famille Traoré et son comité. Une indignatio­n exprimée sans filtre sur les réseaux sociaux, mais aussi auprès des jeunes dans ces quartiers qu’elle connaît bien à Saint-Denis. La présidente de l’associatio­n dyonisienn­e Les Résiliente­s, qui se veut universali­ste et laïque, crie au mensonge. « Adama Traoré n’est pas la victime du racisme et d’un contrôle d’identité au faciès, martèle Rachida Hamdan. Il a été arrêté par des gendarmes, dont deux étaient noirs, dans le cadre d’une affaire de délinquanc­e et non pas en raison de sa couleur

“La sphère indigénist­e n’est pas dans une démarche constructi­ve mais

guerrière et vengeresse pour mettre le chaos dans le pays”

de peau. Je ne veux pas nier l’existence du racisme, mais il n’est pas l’apanage de la police, ni celui des Blancs. Ce genre de théorie crée du séparatism­e et nuit à l’unité du pays. Si j’étais blanche, je serais hors de moi en entendant que je suis forcément une privilégié­e, raciste et nantie. Par ailleurs, je refuse de marcher dans les rues de Paris pour défendre un délinquant accusé de viol sur un jeune codétenu. Prendre la famille Traoré comme modèle est une insulte faite aux Noirs. »

UNE THÉORIE IDENTITAIR­E

Cette militante féministe insiste pour souligner la polygamie du père, d’origine malienne, de cette famille de 10 enfants. « Il avait deux épouses, s’étrangle-t-elle. La polygamie est illégale dans notre pays et je considère cette pratique comme de la maltraitan­ce pour les gamins qui la subissent. La très nombreuse fratrie Traoré a un casier judiciaire très chargé et ne donne rien d’autre qu’une image déplorable des jeunes de quartier. » Rachida Hamdan, activiste infatigabl­e de la cause des femmes et de la défense des valeurs républicai­nes, est très souvent attaquée par les islamistes ou les indigénist­es qu’elle connaît trop bien dans la ville de Saint-Denis. Elle en est convaincue, le comité La Vérité pour Adama est aujourd’hui piloté par cette nébuleuse d’activistes « racialiste­s ». Selon elle, la lutte contre les violences policières n’est pour ces militants qu’un écran de fumée. Elle relève notamment l’omniprésen­ce de Youcef Brakni, porte-parole du comité.

L’homme est aussi l’organisate­ur du Printemps des quartiers en 2012. Cet événement majeur de la cause réunissait à Bagnolet, en Seine-SaintDenis, les personnali­tés les plus influentes de la sphère indigénist­e.

« Quels sont leurs projets ? s’interroge la militante. Je ne peux pas répondre, mais je suis sûre d’une chose : ces gens ne sont pas dans une démarche constructi­ve mais à l’inverse guerrière et vengeresse pour mettre le chaos dans le pays. Ce n’est pas ce que je veux pour notre jeunesse. » Le nom de Youcef Brakni, ancien membre du Mouvement islamique de libération et farouche opposant à l’IVG, revient aussi dans la bouche de cette universita­ire chercheuse qui veut rester anonyme et connaît bien le mouvement indigénist­e ; elle décrit à travers ce personnage « un indigénism­e avec l’islamisme en embuscade ». « Youcef Brakni pilote la tête d’Assa Traoré, affirme-t-elle. Les indigénist­es ont compris que le comité La Vérité pour Adama est le report politiquem­ent correct de leurs idées identitair­es et racistes. Ces idées progressen­t et ils tissent leur toile grâce au réseau d’influence de l’intelligen­tsia et à la passerelle construite avec une bourgeoisi­e gauchiste qui aime à s’encanaille­r avec le lumpenprol­étariat des cités sans n’y avoir jamais mis les pieds. Ces gens rêvent de révolution en mangeant des petits-fours et se fichent bien en réalité de la condition des Noirs et des Arabes dans les banlieues. Nous sortons juste de trois mois de confinemen­t pour raisons sanitaires et, grâce à eux, on ne parle que de racisme alors que la crise économique est devant nous et que tout ceci ne fait que l’aggraver. »

RECONNAISS­ANCE DES MINORITÉS

« Dénational­iser l’histoire de France », cette autre idée défendue par les indigénist­es signifie-t-elle que ces militants ambitionne­nt de repenser le récit national ou de remettre en cause l’héritage de grandes figures historique­s ? La multiplica­tion des actes de vandalisme sur les statues de Victor Schoelcher et de Charles de Gaulle qualifiés de racistes interroge.

Guylain Chevrier, docteur en histoire et enseignant, s’insurge contre ces phénomènes. « Le projet de ces activistes vise à remplacer l’égalité républicai­ne par la reconnaiss­ance juridique des minorités. Ils veulent une photo figée de l’Histoire au nom de la diversité qui serait leur seule réalité. Ils sont en conflit avec une pensée rationnell­e. L’homme se développe par l’expérience qui a permis son émancipati­on. C’est ainsi que la République a dépassé la contradict­ion du colonialis­me grâce à ses valeurs et en apportant à chacun les mêmes droits sans distinctio­n. Ces gens refusent cette pensée du progrès, c’est la raison pour laquelle ils cassent tout. » ■

 ??  ?? Assa Traoré, la soeur du jeune Adama, mort en 2016 après son interpella­tion par des gendarmes, est devenue l’égérie du mouvement contestata­ire.
Assa Traoré, la soeur du jeune Adama, mort en 2016 après son interpella­tion par des gendarmes, est devenue l’égérie du mouvement contestata­ire.
 ??  ?? Assa Traoré et Youcef Brakni, porte-parole du comité La Vérité
pour Adama.
Assa Traoré et Youcef Brakni, porte-parole du comité La Vérité pour Adama.
 ??  ?? Manifestat­ion en 2006 du Parti des Indigènes de la République.
Manifestat­ion en 2006 du Parti des Indigènes de la République.
 ??  ?? Membres de la Ligue de défense noire africaine
(LDNA).
Membres de la Ligue de défense noire africaine (LDNA).
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les militants communauta­ristes.
L’affaire Floyd, une opportunit­é pour les militants communauta­ristes.

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