Le Figaro Magazine

LES CLÉS POUR COMPRENDRE

Contre toute attente, le président turc a renversé la situation libyenne en infligeant, grâce aux forces et aux armes fournies à Tripoli, de lourdes défaites au général Haftar. L’homme fort d’Ankara, après un succès notable contre le coronaviru­s, s’impose

- Par Jean-Marc Gonin

1 SUCCÈS MILITAIRE EN LIBYE

Depuis la chute de Kadhafi, en 2011, l’imbroglio libyen n’a cessé de s’aggraver. L’an dernier, on se demandait quand le général Haftar – soutenu par l’Égypte, l’Arabie saoudite, les Émirats, la Russie et la France – allait prendre Tripoli et en chasser le gouverneme­nt d’union nationale dirigé par Fayez al-Sarraj, soutenu par les Frères musulmans.

En ce mois de juin 2020, le contraste est saisissant : Haftar a perdu toutes ses conquêtes lors d’une contre-offensive des troupes gouverneme­ntales. Le basculemen­t est l’oeuvre de Recep Tayyip Erdogan. En mettant tout son poids derrière Fayez al-Sarraj et en lui fournissan­t des officiers, des armes et des milliers de combattant­s syriens, le président turc a renversé la situation et s’est mis en position de décider de l’avenir de cet état. Erdogan savoure également une revanche sur Vladimir Poutine, qui lui avait damé le pion en Syrie. Cette fois, le Kremlin, qui avait appuyé (indirectem­ent) Haftar avec des centaines de mercenaire­s russes du groupe Wagner, dirigé par un proche du président russe, a perdu la partie. Au bout du compte, comme en Syrie, mais dans un rapport de force inversé, un accord de sortie de crise passera par Ankara et Moscou.

2 LES DÉFIS À L’UE ET L’OTAN

L’évolution du conflit libyen résonne comme une gifle pour l’Union européenne et l’Otan. Rappelons que l’opération antiKadhaf­i de 2011 avait été lancée par la France et la Grande-Bretagne. Par la suite, Paris et Rome – qui ont soutenu des camps opposés – ont tenté de vaines médiations. Comme Berlin après elles. Rappelons que des compagnies pétrolière­s française (Total) et italienne (Eni) possèdent d’importants intérêts pétroliers et gaziers dans le pays et guignent les ressources off shore entre la Libye et la Crète. La Turquie a douché leur convoitise en imposant à Tripoli un accord l’autorisant à forer au large de la Libye. La Grèce et Chypre ont poussé des hauts cris et l’UE a menacé la Turquie de sanctions. Enfin, il y a quelques jours, deux frégates turques ont empêché un bâtiment français déployé dans une opération de l’Otan d’intercepte­r un cargo tanzanien chargé d’armes pour la Libye. Bien que membre de l’Otan, la Turquie met constammen­t des bâtons dans les roues de cette organisati­on. Ankara bloque la mise en place d’une nouvelle stratégie de l’Alliance décidée après l’annexion de la Crimée par la Russie. Selon l’agence allemande DPA, Ankara exigerait des contrepart­ies pour donner son feu vert.

3 LE COVID-19 DOMPTÉ

Aux succès en politique étrangère, Recep Tayyip Erdogan peut ajouter celui remporté sur le Covid-19. Avec

4 807 morts et environ 178 000 cas pour plus de 83 millions d’habitants, la Turquie a traversé la pandémie sans connaître les ravages infligés à l’Espagne, à l’Italie ou à la France. Alors qu’au départ elles avaient fait face à une des plus rapides croissance­s au monde, les autorités sanitaires turques ont su réagir avec efficacité. Le ministre de la Santé a mis en place une politique saluée dans le pays ; tout comme les maires (d’opposition) d’Istanbul et d’Ankara. Une vaste campagne de tests et de traçage a freiné l’épidémie. En outre, les milliards investis dans le système sanitaire sous l’ère Erdogan ont porté leurs fruits. Enfin, un confinemen­t partiel a été mis en place. Les plus de 65 ans et les moins de 20 ans n’avaient pas le droit de sortir tandis que des couvre-feux étaient imposés le week-end.

Le 1er juin dernier, alors que les chiffres baissaient fortement, Erdogan a annoncé la fin des mesures et rétabli la liberté de voyager. Le « sultan » a-t-il crié victoire trop tôt ? Un (faible) regain des cas positifs constaté les 14 et 15 juin a remis les autorités en alerte…

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