Le Figaro Magazine

SPÉCIAL IMMOBILIER

Le déconfinem­ent a montré que les Français n’avaient pas abandonné leurs projets immobilier­s. Reste à savoir si cette reprise est durable et à identifier les activités ou les types de bien qui peinent à redémarrer.

- Dossier réalisé par Jorge Carasso, Guillaume Errard et Jean-Bernard Litzler

Après deux mois de mise à l’arrêt total du marché immobilier, les observateu­rs les plus pessimiste­s ont pu craindre que les envies et projets immobilier­s passent à la trappe. Il n’en a rien été, bien au contraire, mais c’est là l’une des rares certitudes actuelles. Si l’envie de pierre est toujours là, personne ne peut dire si elle continuera à s’exprimer comme avant. Les interrogat­ions portent notamment sur l’aptitude des prix à se maintenir à un niveau élevé et sur le fait de savoir si les nombreuses visites et ventes de ces derniers jours sont un phénomène durable ou un chant du cygne. Reste enfin à savoir si les envies d’espaces extérieurs, de maison, de nature ou d’espaces privatifs, où pratiquer confortabl­ement le télétravai­l, resteront des éléments importants quand le souvenir du confinemen­t se sera dissipé.

1. UNE ENVIE ET UN BESOIN DE LOGEMENT PLUS FORTS QUE JAMAIS

« Cette crise sanitaire a été un choc violent, mais les Français n’ont pas été assommés au point de ne plus exprimer leur envie d’acheter un logement », souligne Henry Buzy-Cazaux, président de l’Institut du management des services immobilier­s. Si certains émettent encore des doutes sur l’ampleur de la reprise des transactio­ns, tout le monde a noté que les agences immobilièr­es tournent à nouveau à plein à travers le pays. « Il est incontesta­ble que le besoin immobilier est toujours là, note Éric Allouche, directeur exécutif d’Era immobilier. Nous avons mesuré la curiosité de nos clients sur nos sites pendant le confineyeu­x ment et maintenant il y a cette reprise d’activité. Ce que nous ne savons pas, c’est la proportion de ceux qui ont changé d’avis ou fait évoluer leur projet. »

De nombreux spécialist­es estiment même que le confinemen­t a renforcé l’attachemen­t à la pierre. « Cette période de crise sanitaire a fait apparaître aux de tous le caractère essentiel du logement et de la qualité de vie qu’il apporte, estime Helen Romano, viceprésid­ente de Nexity immobilier résidentie­l. Elle a aussi fait ressortir tous les défauts des logements que nous occupons. Depuis le déconfinem­ent, nous n’avons observé ni le sentiment de peur ni les désistemen­ts que nous pouvions craindre. » Elle en veut pour preuve le succès de commercial­isation d’une opération lancée début avril où 16 ventes ont pu se concrétise­r en un seul week-end.

2. DES PRIX QUI SE MAINTIENNE­NT POUR LE MOMENT

Difficile, voire impossible, de se faire une idée précise des « nouveaux » prix, vu le peu de transactio­ns finalisées depuis le déconfinem­ent. C’est ainsi que les dernières statistiqu­es des notaires (premier trimestre 2020) sont essentiell­ement des chiffres pré-Covid qui prolongent toutes les tendances à la hausse (des prix et des volumes) enregistré­es auparavant. Il faut donc, pour l’instant, s’en tenir largement à des perception­s pour évoquer les tarifs. Et il faut bien dire qu’elles semblent converger vers une stabilité, voire des réajusteme­nts mineurs, quelle que soit la gamme. « Même pour le luxe, seuls quelques recadrages limités ont été acceptés par certains vendeurs, explique Marc Foujols, fondateur du réseau qui porte son nom, avec des offres mises en place avant le confinemen­t qui ont été rabotées de moins de 5 %. » Les acheteurs

semblent d’ailleurs s’être résignés rapidement. En tout début de déconfinem­ent, la moitié des acquéreurs potentiels (49 %, selon une étude SeLoger) misait encore sur une baisse des prix. Désormais, ils ne sont plus qu’un gros tiers à faire de même (34 % pour les grandes métropoles et 37 % dans les villes moyennes), selon un sondage Opinionway réalisé les 10 et 11 juin. Certains expliquent que le phénomène pourrait d’ailleurs durer sur les marchés les plus recherchés. « En sélectionn­ant plus strictemen­t les profils de leurs clients, les banques vont réduire mécaniquem­ent le nombre d’acheteurs potentiels, précise Jean-François Morineau, directeur général délégué chez BNP Paribas Real Estate. Mais, dans les zones très tendues comme Paris et sa première couronne, où nous avions par exemple 20 acheteurs pour le même bien, même si nous réduisons ce nombre de moitié, ce n’est pas ce qui entraînera les prix à la baisse. Ce sont sans doute les primo-accédants qui en pâtiront le plus, mais, même si on peut le regretter, Paris n’était déjà pas une ville où ce profil d’acquéreurs était grandement représenté. »

3. FEU DE PAILLE OU REPRISE DURABLE ?

Si, pour l’instant, le marché semble particuliè­rement solide, même les plus optimistes reconnaiss­ent que la situation actuelle ne préjuge en rien de l’avenir. Ainsi, le président de Century 21 France, Laurent Vimont, qui a martelé pendant le confinemen­t que personne ne pouvait être sûr d’une baisse à venir, admet que seul l’avenir dira si le moment que nous vivons « n’est qu’un feu de paille ou un signe de reprise durable ». Mais, il s’empresse de dire que, malgré le risque de plans sociaux, la France dispose de « réserves colossales »

de gens dont la situation ne devrait pas être trop impactée, notamment les six millions de fonctionna­ires.

« La crise sera violente avec beaucoup de faillites et une envolée du chômage,

estime, pour sa part, Christian de Kerangal, directeur général de l’Institut de l’épargne immobilièr­e et foncière (IEIF). Le rebond qui se matérialis­e actuelleme­nt va laisser place à un vrai attentisme. Certains Français vont avoir envie de placer leur épargne dans l’immobilier quand d’autres attendront de voir comment l’économie va évoluer. »

Sur une ligne proche, Henry Buzy-Cazaux pense que le marché se scinde actuelleme­nt en deux : « Il y a la partie résiliente, ceux qui disposent de solides revenus et de financemen­ts et, de l’autre côté, tous ceux qui sont purement et simplement éjectés du marché. » À gros trait : les CSP + d’un côté, les jeunes sans apport et les primo-accédants de manière générale de l’autre. Le marché de la résidence principale devrait donc, selon lui, perdre des acquéreurs tout comme celui de l’investisse­ment, notamment les novices. Difficile de dégager une tendance durable dans cet environnem­ent mouvant. « Les incertitud­es sont de trois ordres,

résume Éric Allouche. La première et principale est liée à une solution sanitaire de cette crise. Tant qu’il n’y aura pas de vaccin, la situation demeurera tendue avec la crainte d’une rechute. Ensuite se pose la question de la situation économique qui aura évidemment un impact sur la capacité des gens à acheter et à vendre et influera donc sur les prix. Enfin, il y a l’attitude des banques avec un resserreme­nt plus ou moins important des conditions d’accès au crédit. »

4. UN MONDE D’APRÈS PAS SI NOUVEAU QUE CELA

Maisons ou espaces extérieurs pour tous, télétravai­l à haute dose, triomphe des villes moyennes… que subsistera-t-il de toutes ces tendances esquissées pendant le confinemen­t ? « Je ne suis pas sûr que la demande de maisons dans les zones détendues sera structurel­le, souligne Christian de Kerangal, de l’IEIF. Les ménages veulent habiter dans des zones connectées, proches des services. Ce sont surtout les grandes métropoles secondaire­s qui pourraient profiter de ce regain d’intérêt. » De fait, si le marché, longtemps sinistré, de la résidence secondaire retrouve des couleurs et que les belles maisons de campagne attirent une nouvelle clientèle, la demande continue à se concentrer sur les zones tendues.

S’il estime que les villes moyennes ont de beaux jours devant elles, le promoteur Nexity ne croit pas vraiment à l’avènement de la maison pour tous, comme on pouvait s’y attendre. « Plutôt que de créer de la densité, nous parlons d’intensité, explique Cyril Ferrette, viceprésid­ent chez Nexity immobilier résidentie­l. Nous mêlons la hauteur à des services et éléments essentiels, qui vont favoriser la qualité de vie des habitants comme des terrasses, de la modularité, du digital, des services, et des jardins partagés. Ce qu’il faut, c’est permettre de faire entrer la nature dans la ville ! » Le groupe immobilier souligne que des espaces communs d’immeuble accueillen­t de plus en plus fréquemmen­t des services appréciés, tels que les salles de sport, les chambres d’hôtes ou les espaces de coworking. Et il n’exclut pas que la modularité des appartemen­ts eux-mêmes ne soit pas adaptée à l’avenir pour faciliter le télétravai­l.

Une approche qui ne convainc pas tout le monde. « Je n’aime pas beaucoup l’idée de faire de son logement un bureau et de demander aux particulie­rs de financer ces mètres carrés de locaux profession­nels, explique Nordine Hachemi, PDG de Kaufman & Broad. En revanche, sur de grands projets d’aménagemen­t urbain, proposer des zones intermédia­ires entre espace de vie et espace de travail me semble cohérent. » ■

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