ERDOGAN OU LA REVANCHE DU SULTAN SUR LA VIEILLE EUROPE
Le sultan tient sa revanche. Sur Poutine, sur Merkel, sur Macron, sur les généraux qui ont voulu le renverser ; sur le maire d’Istanbul qui joue à l’opposant libéral. Erdogan était depuis plusieurs années sur la corde raide : l’islamisation à marche forcée de son pays lui a définitivement fermé les portes de l’Union européenne ; son soutien à Daech l’a transformé en ennemi des régimes arabes sunnites ; l’intervention de Poutine en Russie l’a chassé de Syrie ; son achat d’armes à la Russie en a fait le mouton noir de l’Otan ; sa vindicte contre les Kurdes a fait de lui une cible pour les droits-de-l’hommiste qui sont puissants à Paris, Berlin et Bruxelles.
On le croyait sur le déclin. En un raid militaire en Libye, il a renversé la vapeur. Il a balayé le maréchal Haftar qui tenait l’est du pays et espérait conquérir l’ouest. Il a pris sa revanche sur Poutine, qui soutenait Haftar via les mercenaires du groupe Wagner. Il a affolé le voisin égyptien qui menace d’intervenir. Il a renforcé les milices islamistes, tribus bédouines et restes de Daech, exilés mais surarmés, dans Tripoli ou Misrata. Il a redonné corps à son rêve ottoman qui le hante depuis toujours. Il guigne des champs pétrolifères découverts récemment au large de Chypre. Il a donné le coup de grâce à l’Otan qui ne bouge pas une oreille alors que la marine turque menace la française, « son alliée », donnant raison à Macron qui avait scandalisé en parlant de la « mort cérébrale de l’Otan ».
Mais le meilleur est à venir. En tenant la Libye, il tient la Méditerranée. Et qui tient la Méditerranée tient la route des migrants africains et maghrébins vers l’Europe. Et qui tient la route des migrants fait manger dans sa main les dirigeants européens.
Erdogan est décidé à utiliser cette arme absolue. La Libye résume à elle seule la nouvelle donne géostratégique du monde. L’intervention, en 2011, de la France de Sarkozy pour liquider Kadhafi qui menaçait de massacrer ses opposants restera sans doute comme la dernière « ingérence humanitaire » d’une période ouverte au début des années 1990. Un humanitarisme qui n’a conduit qu’à des catastrophes. Kadhafi était un tyran mais il contenait la pression migratoire et terroriste. Le maréchal Haftar jouait le même rôle. D’où l’affection que lui portent Français, Italiens et Européens. Le succès d’Erdogan signe le grand retour de la Realpolitik à la mode du XIXe siècle, où l’usage des armes est un moyen comme un autre de faire de la politique. Il signe aussi le grand déclassement de la France, qui paie ses folies kouchnériennes et BHéliennes, sa chimère d’Europe de la Défense, une armée nationale dont la qualité des soldats n’a d’égale que son équipement misérable et les tergiversations d’une diplomatie qui cultive les utopies désuètes du multilatéralisme au lieu de renouer les alliances entre États, que ce soit avec l’Italie ou avec la Russie. Bref, une France qui ne comprend pas que le monde d’après va ressembler non au monde d’hier mais à celui d’avant-hier.