“PHILIPPE EST UNE PERSONNALITÉ INDISPENSABLE DANS LE DISPOSITIF POLITIQUE DE MACRON”
« Se séparer d’une pièce aussi précieuse et stratégique serait assez peu compréhensible », estime le directeur de l’Ifop *, au regard de la structure de la popularité du premier ministre.
La cote de popularité d’Édouard Philippe est en hausse depuis plusieurs mois. À partir de quel moment avez-vous constaté le début de sa remontée ? Effectivement, dans la dernière livraison du baromètre Ifop-Fiducial publié le week-end dernier dans Le JDD, la cote de popularité d’Édouard Philippe s’établissait à 50 %, en augmentation de 4 points par rapport au mois précédent. Cette nouvelle progression s’inscrit dans une tendance haussière qui a débuté en février dernier et qui s’est accélérée avec la crise du coronavirus, puis l’instauration du confinement et désormais le déconfinement. Pour mémoire, la cote de satisfaction du premier ministre était de 36 % en février contre 50 % aujourd’hui. Ce gain de 14 points est directement lié à la façon dont il a affronté et géré cette crise, qui a manifestement été plus appréciée que ne l’ont été l’attitude et la posture d’Emmanuel Macron. Au cours de cette même période, la hausse pour le Président n’a été que de 6 points et sa cote se situe aujourd’hui à 38 %, soit 12 points de moins que celle du locataire de Matignon.
À quelle catégorie de la population française le premier ministre plaît-il le plus ?
L’analyse des soutiens d’Édouard
Philippe fait ressortir que la structure de sa popularité est typiquement celle d’une personnalité de droite. Il enregistre en effet ses meilleurs scores parmi les 65 ans et plus (62 %) et les cadres et professions intellectuelles (56 %) ; 71 % des sympathisants des Républicains, son ancienne formation, se disent satisfaits de son action mais il est encore davantage soutenu parmi les proches du MoDem (88 %) et il a été pleinement adoubé et adopté par les sympathisants de LREM (93 %). Dans cet électorat, qui initialement n’était pas le sien, le premier ministre fait jeu égal avec le président de la République (94 %). Édouard Philippe a donc su gagner la confiance de l’électorat macroniste tout en conservant une cote très élevée dans l’électorat de droite. Cela fait de lui un atout très précieux pour Emmanuel Macron pour la suite de son quinquennat et dans la perspective de la prochaine élection présidentielle.
Pour consolider le bloc central qu’il est parvenu à agréger autour de lui et l’élargir à droite comme il le souhaite (pour empêcher qu’une candidature crédible n’émerge des rangs des Républicains), Emmanuel Macron a et aura besoin de son premier ministre qui est bien plus populaire que lui (71 % contre 42 %) dans l’électorat de droite.
Quelles sont les qualités appréciées par les Français chez Édouard Philippe ?
La capacité à bien diriger l’action du gouvernement lui est reconnue par 58 % des Français, d’après le dernier tableau de bord politique IfopFiducial pour Paris Match et Sud Radio. Sous l’effet d’un déconfinement qui se passe dans de bonnes conditions, ce jugement est en hausse de 7 points par rapport au mois précédent. Parallèlement à ce leadership qui lui est attribué, 54 % de nos concitoyens le considèrent également comme un homme de dialogue. Et dans un climat très marqué par la défiance vis-à-vis des politiques et de la parole publique, 48 % des sondés (en progrès de 5 points sur un mois) déclarent que le premier ministre leur inspire confiance. Ce capital de confiance, ressource précieuse par les temps qui courent, est sans doute en partie nourri par la proximité perçue d’Édouard Philippe avec les préoccupations des Français.
La bonne performance d’Édouard Philippe souligne-t-elle, en creux, les faiblesses du président de la République ?
Oui sans doute en partie : 44 % des sondés considèrent ainsi que le premier ministre est proche de leurs préoccupations alors que cette qualité n’est attribuée à Emmanuel Macron que par 29 % des Français. À ce déficit de proximité chez le Président s’ajoute aussi une différence d’attitude adoptée par les deux têtes de l’exécutif durant la crise du Covid. Les Français ont manifestement mieux apprécié la posture d’humilité d’Édouard Philippe, qui n’a pas hésité à indiquer qu’il n’avait pas réponse à tout ou qu’il n’avait parfois le choix qu’entre deux mauvaises solutions, que celle d’Emmanuel Macron, dont le style et le ton de certaines de ses interventions ont pu apparaître grandiloquents et parfois en décalage avec la situation vécue par les Français. Il n’est pas anodin que ce soit pendant cette crise que les deux courbes de popularité se soient mises à diverger significativement.
Peut-on déduire de la bonne performance du premier ministre, un message adressé par les Français à Emmanuel Macron ?
Nous sommes sondeurs et pas psychanalystes, et il nous est difficile de décoder les messages subliminaux qu’enverraient nos concitoyens ! Toutefois, on peut sans doute en partie considérer que certains traits de personnalité qui font aujourd’hui le succès d’Édouard Philippe sont jugés insuffisamment présents chez le président de la République par une partie des Français.
Le décalage entre les cotes du premier ministre et du président de la République est-il une protection ou un danger pour Édouard Philippe ? Quand la popularité d’un premier ministre est très faible, ses jours à Matignon sont généralement comptés. Quand elle est élevée, deux cas de figure doivent être distingués. Soit celle du Président est également forte et alors il n’y a pas de nuages à l’horizon. Soit celle du Président est significativement plus faible que celle de son premier ministre et des tensions peuvent survenir, notamment si cela se produit durant la seconde partie de mandat avec la perspective de l’élection présidentielle à venir qui électrise l’atmosphère…
Toutefois, comme on l’a vu, la forte popularité actuelle d’Édouard Philippe, sa capacité à parler à l’électorat de droite tout en étant grandement apprécié par l’électorat macroniste et sa proximité perçue avec les préoccupations d’une bonne partie des Français, font de lui une personnalité indispensable dans le dispositif politique du président de la République. Se séparer d’une pièce aussi précieuse et stratégique alors que l’échiquier macronien est relativement dégarni serait assez peu compréhensible, a fortiori si Édouard Philippe est réélu au Havre car cette victoire sera(it) sans doute l’une des seules bonnes nouvelles pour la majorité présidentielle au soir du second tour des municipales. ■
“44 % des sondés considèrent que le premier ministre est proche de leurs préoccupations. Cette qualité n’est attribuée à Emmanuel Macron que par 29 % des Francais”
* Directeur du département « opinion et stratégies d’entreprise » de l’Ifop, auteur de L’Archipel français (Seuil).