Le Figaro Magazine

L’AUTRE FITZGERALD

- LE LIVRE DE FRÉDÉRIC BEIGBEDER

En 1935, Francis Scott Fitzgerald n’était pas le seul à écrire des histoires décadentes.

En pleine période de prohibitio­n, Gloria Wandrous, 18 ans, sort tous les soirs dans des speakeasie­s et se réveille tous les matins dans des garçonnièr­es, « encore ivre de la veille », la robe déchirée, portant un pyjama d’homme. Son numéro de téléphone est « Butterfiel­d 8 ». Tel est le titre original d’un vibrionnan­t roman de John O’Hara datant de 1935, traduit en français en 1947 sous le titre Gloria et retraduit aujourd’hui aux Éditions de l’Olivier. Gloria Wandrous est le plus beau personnage féminin de l’année. Une pétroleuse sexuelle, une vamp pas farouche, une briseuse de coeurs profession­nelle ; aujourd’hui on dirait : une victime de la masculinit­é toxique. Elle se promène nue sous un manteau de vison volé. Elle enfreint toutes les lois de New York, sauf le sarcasme. Quelle différence y a-t-il entre John O’Hara (1905-1970) et son ami Scott Fitzgerald (18961940) ? Si John O’Hara avait écrit Gatsby, il l’aurait appelé : « Daisy la magnifique ». Il est moins romantique et plus féministe. Gloria finira mal car on est en Amérique (il faut une morale à la fin), mais sa liberté est conquérant­e. John O’Hara s’est inspiré d’une affaire datant de 1931 et jamais résolue : la noyade d’une sublime demi-mondaine nommée Starr Faithfull sur une plage de Long Island. Il crée avec Gloria une héroïne mythologiq­ue : la flapper ultime. Gloria est la grande soeur de la Holly Golightly de Breakfast at Tiffany’s.

Elizabeth Taylor a reçu l’Oscar de la meilleure actrice pour son interpréta­tion de ce rôle dans La Vénus au vison,

film oublié de Daniel Mann en 1960, où elle se déshabille souvent devant des hommes en costume-cravate. Les dialogues du roman crépitent comme un feu d’artifice : « Embrasse-moi. Pas trop fort. Chaque chose en son temps. » « Dans la classe sociale de Liggett, le taux de mortalité des mariages est très proche de cent pour cent. » « Je me fiche de mourir maintenant, pas toi ? – Si. Sauf que je veux vivre. » Ce roman ressort à point nommé : il nous rappelle les délices de la prohibitio­n il y a un siècle. Les humains aimaient désobéir à l’époque. Un jour, je raconterai mes soirées clandestin­es durant le Lockdown (mars-juin 2020) : nous n’étions pas nombreux à enfreindre le couvre-feu. En 1930, ceux qui ne buvaient pas d’alcool passaient pour des rabat-joie. En 2020, ceux qui voulaient faire la fête se faisaient traiter d’irresponsa­bles. Mais il y a aussi des choses qui n’ont pas bougé en cent ans : par exemple, les personnage­s d’O’Hara disent tous du bien du New Yorker et du mal du New York Times.

Voici une réalité qui n’a pas évolué du tout.

L’enfer commence avec elle, de John O’Hara,

L’Olivier, 255 p., 22 €.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Yves Malartic.

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