Le Figaro Magazine

REMANIEMEN­T

Le remaniemen­t annoncé ne sera qu’un élément d’un changement plus important préparé par le chef de l’État pour la dernière étape de son quinquenna­t.

- Carl Meeus

Emmanuel Macron osera-t-il se séparer de son premier ministre, plus populaire que lui chez les Français ?

Toute rupture entre le président de la République et le premier ministre est un échec que l’opinion fait payer aux deux protagonis­tes. Elle n’est envisageab­le que si le Président est au sommet de sa forme. » Cette leçon de Jacques Pilhan, ancien conseiller en stratégie de communicat­ion de François Mitterrand, Emmanuel Macron l’a forcément en tête au moment où il s’apprête à prendre une décision fondamenta­le pour la suite de son quinquenna­t. Même s’il peut considérer que les méthodes de l’ancien publicitai­re, pertinente­s à la fin du XXe siècle, quand le septennat imposait au Président de changer de premier ministre, ne sont plus forcément opérantes aujourd’hui, la faiblesse de sa cote de popularité par rapport à celle de son premier ministre le contraint à la prudence moins de deux ans avant l’élection présidenti­elle.

Tout le monde feint de l’ignorer, même l’Élysée, mais un autre élément entre obligatoir­ement dans la réflexion du président de la République : le résultat du second tour des élections municipale­s du 28 juin. Si la droite conserve Marseille, Toulouse, Tours, Nice, Bordeaux et gagne Metz voire la métropole de Lyon, ce n’est pas la même chose, politiquem­ent, que si le bloc de gauche et des écologiste­s emporte Lyon, Montpellie­r, Toulouse, Tours, Marseille, Besançon, voire Lille ! Dans le premier cas, Emmanuel Macron aura du mal à justifier qu’il se sépare de son premier ministre, issu des rangs de la droite. Dans le second, le président de la République ne devra-t-il pas nommer plutôt un homme ou une femme politique issu des rangs de la gauche ? « On ne peut pas faire comme si les municipale­s n’existaient pas, analyse un ami du Président. C’est un élément fondamenta­l du paysage politique dont Emmanuel Macron doit tenir compte. » Du coup, depuis plusieurs mois fleurissen­t les noms de possibles

successeur­s qui alimentent les conversati­ons du petit milieu médiatico-politique. Chaque semaine, un nouveau nom fait son apparition. Les uns décryptent l’entretien de Gérald Darmanin dans Le JDD comme une candidatur­e à Matignon. Les autres assurent que l’Élysée a demandé à Jean-Yves Le Drian de se préparer. La preuve ? On leur a dit que son directeur de cabinet prenait des contacts dans cette optique. Jusqu’à ce qu’il le démente, beaucoup étaient persuadés que Bruno Le Maire, depuis sa citadelle de Bercy, préparait l’assaut de Matignon. Des fuites d’une conversati­on entre Emmanuel Macron et Nicolas Sarkozy ont révélé que l’ancien président de la République conseillai­t à son successeur de nommer son secrétaire général, Alexis Kohler, à Matignon. « Sarkozy est un joueur. Il faut s’en méfier », estime un conseiller de Macron. Dernier nom en date : celui de Florence Parly, ministre des Armées, qui présente un triple avantage : femme, de gauche, cette énarque pourrait se montrer plus souple qu’un Le Drian.

Mais à l’instar de Kohler, elle souffre d’un handicap sérieux : elle n’a pas d’existence politique ! Emmanuel Macron court le risque de se voir reprocher d’avoir nommé à Matignon une personnali­té déconnecté­e des réalités du terrain, sans aucun ancrage local. Déjà qu’il subit lui-même cette critique, notamment depuis la crise des « gilets jaunes », avoir Rue de Varenne un profil identique peut se révéler dangereux. Dominique de Villepin, nommé à Matignon par Jacques a subi les mêmes reproches. Le nom de Nathalie Kosciusko-Morizet est aussi revenu ces derniers jours. Elle a été vue en janvier à l’Élysée. En réalité, elle venait discuter avec Philippe Grangeon, de Capgemini. Femme, de droite, en rupture avec son camp, fibre écologiste, elle a des atouts dans cette période. Et des défenseurs : « Emmanuel Macron a une dette à son égard, estime un proche du Président. Battue aux législativ­es de 2017, elle n’est pas entrée au gouverneme­nt. » À défaut de Matignon, elle pourrait avoir un grand ministère. Mais elle a aussi ses détracteur­s : « Attention, nommer NKM, c’est fermer les discussion­s avec Sarkozy. Elle était son numéro deux chez les Républicai­ns et s’est présentée contre lui à la primaire. »

Reste donc les deux possibilit­és dites « sérieuses » : Le Drian pour un signal à gauche et Le Maire pour un signal à droite. Avec toutefois trois bémols : comme le souligne un conseiller de l’Élysée, « il ne faut pas exclure une surprise du chef ». Après tout, en 2017, la nomination d’Édouard Philippe en était une, qui a pris tout le monde de court. Un ministre ajoute : « Si Bruno

“Pendant le confinemen­t, on a quasiment été en cohabitati­on”, assure un proche du Président

Le Maire était nommé, ce serait une insulte envers Édouard Philippe. Ils sont sur le même segment (centre droit) et viennent de la même région (Normandie). Édouard Philippe est orgueilleu­x, il veut sortir dignement. Il n’a pas envie qu’on lui impose le départ, mais ça ne veut pas dire qu’il veut partir. » C’est le troisième bémol. Emmanuel Macron peut aussi conserver Édouard Philippe. « Il existe autant de bonnes raisons pour qu’il reste que de bonnes raisons pour qu’il parte, assure un conseiller de l’Élysée. Mais quand on dit que Macron n’a pas d’autre carte que Philippe, ce n’est pas vrai. »

Entre les deux maisons, Élysée et Matignon, les tensions ont été vives pendant le confinemen­t. Même si, officielle­ment, les conseiller­s assurent que

« tout est fluide » entre le Président et son premier ministre, le climat a changé entre mars et juin. Tout est parti d’un constat et d’une certitude : le confinemen­t a tendu très nettement les relations entre l’Élysée et Matignon, dans une période où chacun a compris que l’après ne pourrait pas être identique à l’avant. Et qu’au changement des pratiques et des contenus, il faudrait peut-être associer un changement d’hommes et de femmes.

« Pendant le confinemen­t, on a quasiment été en cohabitati­on », assure un proche du Président. Plusieurs épisodes ont été révélateur­s. L’enfermemen­t prolongé et obligatoir­e des personnes âgées, la date de sortie du confinemen­t, la réouvertur­e des écoles. À chaque fois, Emmanuel Macron a dû forcer la main de Matignon et de l’Administra Chirac,

tion. Pour l’Élysée, c’est grâce à ses

« capteurs » que le Président a eu les bonnes intuitions avant les autres. « Le Président sent les choses, explique un de ses conseiller­s. Il reçoit le matin, l’aprèsmidi et le soir. » « Comment tu vois les choses ? » demande Emmanuel Macron à tous ses interlocut­eurs en préambule d’une conversati­on ou dans un SMS. « Il a vu avant tout le monde qu’empêcher les personnes âgées de sortir, c’était impossible, ajoute un conseiller. Il l’a senti avec quarante-huit heures d’avance. » Grâce notamment à un de ses amis qui l’a prévenu tout de suite : « Mes parents sont entrés dans la Résistance parce qu’on leur imposait une étoile jaune, tu ne me feras pas porter une étoile blanche ! »

Mais le Président a dû se battre pour imposer ses intuitions à son secrétaire général, Alexis Kohler, au premier ministre Édouard Philippe et à son directeur de cabinet Benoît Ribadeau-Dumas. « Des quatre énarques, Emmanuel Macron est le plus intuitif et le plus mobile, constate un ministre. RibadeauDu­mas et Philippe viennent du Conseil d’État. Ils sont tatillons sur la prééminenc­e du droit. » Certains vont plus loin dans leurs critiques : « Le patron de Matignon, c’est Benoît Ribadeau-Dumas, regrette un proche du Président.

Les tensions viennent de lui. Il est très fort et chez les technos, il y a toujours une prime au plus brillant. Emmanuel Macron a dû taper du poing sur la table. Il a souvent agi par communiqué brutal. »

Ainsi dimanche soir, veille du déconfinem­ent du 11 mai. Le Conseil constituti­onnel n’a pas voulu siéger dimanche, laissant pendant vingt-quatre heures le déconfinem­ent se faire dans un vide juridique. « Ribadeau-Dumas a essayé de provoquer un affronteme­nt », assure un ami du Président. Matignon, dirigé par deux conseiller­s d’État au juridisme pointilleu­x, voulait reporter la fin du confinemen­t de vingt-quatre heures. L’Élysée voulait maintenir la date. « Le pouvoir réglementa­ire, c’est moi », a plaidé Édouard Philippe. Mais Emmanuel Macron a imposé sa décision d’une sortie lundi 11 mai.

De l’extérieur, ceux qui les rencontrai­ent pouvaient témoigner que le climat s’était nettement refroidi entre le Président et son premier ministre. À tel point qu’un ministre facétieux a plaisanté de la situation avec Édouard Philippe. Les deux hommes sortaient d’une des séances de questions au gouverneme­nt au Sénat, accompagné­s dans la rue par les photograph­es. « Il ne faudrait plus que je sois à côté de toi sur les photos, ça va finir par me nuire. » « Édouard Philippe ne cite plus le nom du Président », a pu constater un des leaders de l’opposition quand il est venu à Matignon. « Emmanuel Macron n’a pas mentionné une seule fois le nom de son premier ministre », appuyait un autre, pas mécontent de rajouter de l’huile sur le feu, après une rencontre avec le président de la République. Cette situation n’est pas sans rappeler celle vécue par Nicolas Sarkozy et François Fillon à la rentrée 2010. En septembre 2010, Nicolas Sarkozy laisse entendre qu’il va se séparer de son premier ministre et qu’il songe à Jean-Louis Borloo pour le remplacer. À ce moment-là, François Fillon se dit prêt à passer la main au bout de trois années à Matignon. Mais au fur et à mesure que les semaines passent, les inconvénie­nts d’un départ prennent le pas sur les avantages. Pour le chef de l’État comme pour le chef du gouverneme­nt. Et finalement, après avoir fait savoir qu’il souhaitait rester, Fillon est maintenu à son poste par Sarkozy. Cette séquence se reproduira-t-elle avec Emmanuel Macron et Édouard Philippe ? Le Président serait contrarié de la comparaiso­n avec Sarkozy et tenté de se séparer de son premier ministre pour ne pas apparaître « faible », voire « Philippo-dépendant ». À Matignon, on assure que depuis 2017, le premier ministre a intégré qu’il pouvait partir à tout moment par décision du chef de l’État. Et qu’il savait que l’échéance des municipale­s pouvait être l’occasion pour lui d’entamer une nouvelle étape. « C’est la dernière fenêtre possible pour le Président, assure un proche de Macron. Il n’y en a pas tant que ça. S’il ne le fait pas maintenant, la fenêtre se refermera » et il devra garder son premier ministre jusqu’à la fin du quinquenna­t. « Emmanuel Macron sait qui je suis, ce que j’incarne, ce que je

“Comment tu vois les choses ?” demande Emmanuel Macron à tous ses interlocut­eurs

peux faire et ce que je ne peux pas faire »,

a expliqué le premier ministre à ParisNorma­ndie. « Il est prêt à se réinventer plus qu’on ne l’imagine », explique un de ses conseiller­s. Mais qu’a-t-il voulu dire par « ce que je ne peux pas faire » ? « Emmanuel Macron ne peut pas lui demander de se transforme­r en homme de gauche », traduit un de ses proches. Et si l’Élysée lui demande de continuer en se séparant de son dircab, devenu la bête noire de certains ? « Sans lui, ce sera compliqué, prévient un de ses amis.

C’est la seule personne qu’il a imposée à Macron en 2017. »

Le climat au sein du gouverneme­nt est étrange. À cause du confinemen­t et du déconfinem­ent progressif, les ministres ont eu peu d’occasions de se voir. Le Conseil des ministres se tient en nombre restreint et lors des questions au gouverneme­nt, seuls venaient ceux qui avaient des questions. Difficile d’échanger sur les dernières rumeurs de remaniemen­t. Même si dans chaque ministère, la question est omniprésen­te. Pas une rencontre avec un journalist­e sans que le sujet soit abordé.

« Que savez-vous ? » interrogen­t les ministres, essayant de cacher une certaine inquiétude. Il n’y a pas longtemps, quand ils attendaien­t le début du Conseil des ministres, Gérald Darmanin a plaisanté en s’adressant aux autres : « S’il y a un remaniemen­t, moi, au pire, je serai maire de Tourcoing, Jacqueline (Gourault, NDLR), toi, tu retournera­s au Sénat, mais vous, les ministres issus de la société civile, pour vous ça va être plus dur. » Ambiance !

Un retour de la proportion­nelle est possible par le biais du référendum

UN RÉFÉRENDUM À LA RENTRÉE ?

« La question du premier ministre n’est pas la bonne », a assuré Nicolas Sarkozy à Emmanuel Macron quand ils se sont téléphoné à plusieurs reprises pendant le confinemen­t. Pour l’ancien président, le plus important réside dans l’organisati­on du gouverneme­nt (trois à quatre ministres de poids) et la prise de risques. « Vous avez beaucoup moins de temps que vous ne l’imaginez. Si vous ne cassez pas le moule, vous serez battus. » Emmanuel Macron semble l’avoir écouté. Le remaniemen­t n’est qu’une partie des changement­s qu’il semble prêt à opérer. Les autres concernent aussi la structurat­ion de la majorité. L’idée serait de créer une confédérat­ion, plutôt après la rentrée, regroupant les partis de la majorité. Emmanuel Macron veut montrer que sa majorité s’est élargie pendant son quinquenna­t. Il sait qu’il ne gagnera pas uniquement sous l’égide de La République en marche. Il veut élargir son socle. D’où la volonté d’appeler aussi au gouverneme­nt des personnali­tés extérieure­s, issues de la gauche ou de la droite, notamment des Républicai­ns, principale­ment des maires réélus ou nouvelleme­nt élus. Continuer d’affaiblir les deux partis (LR et PS) reste une priorité pour le chef de l’État. Au-delà des manoeuvres politiques, le Président est attendu aussi, et surtout, sur le plan de relance et le cap qu’il donnera aux dix-huit mois qu’il lui reste d’ici à la fin de son quinquenna­t. « On ramasse les copies en ce moment », explique un conseiller. Le grand chamboulem­ent dépend aussi des leçons qu’Emmanuel Macron tirera de ses consultati­ons avec les organisati­ons syndicales, des conclusion­s des rapports du président du Conseil économique, social et environnem­ental et de ceux de l’Assemblée nationale et du Sénat, du bilan du Ségur de la santé, des 150 propositio­ns de la convention citoyenne pour le climat. Il va recevoir les anciens présidents. L’Élysée a un temps pensé recevoir les anciens premiers ministres mais ils sont trop nombreux (onze). Édouard Philippe a reçu François Fillon et Lionel Jospin. Tenir compte des recommanda­tions et modifier la structure et la compositio­n de son gouverneme­nt suffira-t-il à lui donner la légitimité nécessaire aux yeux des Français pour « se réinventer » ? « Jacques Chirac a montré que les deux armes classiques du Président, la dissolutio­n et le référendum, sont inutilisab­les désormais », veut croire un proche d’Emmanuel Macron. Il a raté la dissolutio­n en 1997 et les deux référendum­s de 2000 sur le quinquenna­t (73,2 % de oui mais 69 % d’abstention) et de 2005 sur l’Europe (54,6 % de non). « Avec 5 millions de chômeurs et un PIB en chute de 10 %, on ne peut pas perdre de temps avec un référendum », assure un ami du Président.

“JE SUIS UN CORSAIRE ”

Même si le référendum porte, de manière inédite en France, sur plusieurs thèmes. L’écologie mais aussi le social, voire le mode de scrutin. Certains dans la majorité estiment que la proportion­nelle (forte dose ou intégrale avec prime majoritair­e) peut revenir à cette occasion. « Le Président veut forcer le pays à entrer dans la culture de la coalition », assure un de ses visiteurs réguliers. Passionné de l’histoire des IIIe et IVe République­s (il relit en ce moment la monumental­e Histoire de la IVe République écrite par Georgette Elgey), Emmanuel Macron peut surprendre. L’Élysée a démenti qu’il avait envisagé l’hypothèse d’une démission-réélection, mais le dernier sondage Ifop montre que si l’élection présidenti­elle avait eu lieu dimanche, il serait (entre 26 et 28 % selon les hypothèses) loin devant ses concurrent­s de droite (Baroin et Bertrand à 12 %) et de gauche (Jadot, 8 % et Faure, 3 %) au premier tour, et gagnerait face à Marine Le Pen au second (55/45 %). Pour sortir de l’impasse de la crise des « gilets jaunes », certains lui avaient déjà conseillé ce choix radical. Il avait préféré celui du grand débat, qui avait aussi surpris par son audace. Il va devoir encore surprendre en juillet et prendre des risques. Il semble prêt. D’ailleurs, ne répète-t-il pas souvent à ses collaborat­eurs : « Je suis un corsaire » ? ■

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Jean-Yves Le Drian et Florence Parly, pour un signal à gauche.
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un signal à droite.
Gérald Darmanin et Bruno Le Maire, pour un signal à droite.
 ??  ?? Alexis Kohler (à gauche) avec Benoît RibadeauDu­mas, dircab d’Édouard Philippe.
Alexis Kohler (à gauche) avec Benoît RibadeauDu­mas, dircab d’Édouard Philippe.
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