ROME RENAISSANCE...
2020 marque les 500 ans de la mort de Raphaël. L’occasion d’une balade inspirée dans la Ville éternelle.
Avec la réouverture de l’exposition Raphaël aux écuries du palais du Quirinal, l’esprit Renaissance souffle à nouveau sur la Ville éternelle. Au XVIe siècle, le mouvement artistique était né sous l’impulsion des papes. Cinq siècles plus tard, en déambulant de palais en églises, le choc esthétique est toujours aussi fort. Plus qu’une ville, Rome demeure le symbole de la beauté en Occident.
Sous un ciel intensément bleu, la lumière aveuglante fait scintiller un parterre de coupoles et de palais ocre, tandis que l’eau turquoise jaillit avec fracas dans le bassin en marbre blanc de la Fontana dell’Acqua Paola, surnommée « Il Fontanone ». Quelques touristes ébahis prennent des photos en rafale, comme dans le film de Paolo Sorrentino, La grande bellezza (Oscar du meilleur film étranger 2014), dont la scène d’ouverture a été tournée ici même. Situé sur le Janicule, colline ponctuée de pins parasols surplombant le quartier de Trastevere, ce balcon offre un panorama merveilleux au coucher du soleil, lorsque les dômes romains ne sont plus que des silhouettes qui se découpent dans un ciel rougeoyant.
UN JARDIN AU-DESSUS DE LA VILLE
Jusqu’au XIXe siècle, le Janicule (du dieu Janus, fondateur de la première colonie romaine) était encore la rase campagne. À l’ouest de la colline, la villa Doria Pamphilj s’étale sur près de 200 hectares, entre pinèdes, lac, fontaines et abreuvoirs, témoignages d’un passé agricole récent. Paradis des joggers, ce parc immense possède encore quelques coins sauvages où l’on peut voir des habituées du quartier se courber sur les prés pour y cueillir la « misticanza », une tradition typiquement romaine. Il s’agit d’un assortiment d’herbes, autrefois dégusté cru, mais que l’on fait aujourd’hui revenir à la poêle avec de l’huile d’olive, de l’ail et du piment. Il n’est pas rare non plus d’observer des ragondins qui s’ébrouent dans les canaux alimentant les bassins du parc. Au XVIe siècle, le Janicule était le terrain de chasse des aristocrates romains. Certains y firent bâtir des villas comme Baldassarre Turini, un proche des Médicis qui demanda à l’architecte Giulio Romano, l’élève préféré de Raphaël, d’y construire une résidence d’été. Après le sac de Rome en 1527, elle passe aux mains de la famille Lante, dont elle a gardé le nom, avant d’être cédée aux Borghese. Posée au faîte du Janicule, surplombant la prison Regina Coeli, la villa Lante, aujourd’hui centre de recherches archéologiques finlandais, possède une splendide loggia offrant l’un des plus beaux panoramas romains (1).
Le Janicule est aussi un site spirituel important. C’est sur cette colline que saint Pierre aurait été crucifié, vers 65, sous Néron. Une première église a été bâtie au Moyen Âge sur le lieu du martyre de l’apôtre puis une seconde à la fin du XVe siècle à la demande de Ferdinand II d’Aragon et d’Isabelle la Catholique. Derrière la façade austère, presque romane, de San Pietro in Montorio, on découvre plusieurs jolies chapelles qui ont longtemps fait l’objet de dévotion populaire en hommage à Beatrice Cenci. C’est en effet dans l’église que fut enterrée cette jeune aristocrate romaine, décapitée pour une sombre histoire familiale. Profanée par les soldats de Bonaparte à la fin du XVIIIe siècle, sa tombe a par la suite été déplacée. Une légende raconte que chaque année, la veille de l’anniversaire de sa mort, son fantôme vient rôder sur le pont Saint-Ange… Mais San Pietro in Montorio doit surtout sa notoriété au Tempietto de Bramante situé dans sa cour. Cette oeuvre, l’une des premières du célèbre architecte à Rome, s’inspire déjà de l’Antiquité. Malgré sa taille, le « petit temple » possède des proportions parfaites. Son unique salle centrale circulaire, entourée de colonnes doriques en granit égyptien, rappelle la tholos de l’Agora d’Athènes. La beauté de sa voûte bleue étoilée et son superbe pavement cosmatesque n’ont pas échappé à Paolo Sorrentino. Dans son film, le réalisateur de La grande bellezza y fait se cacher une petite fille qui semble détenir la vérité et refuse d’obéir aux adultes.
LES FASTES CARDINALICES
Avant de devenir papes, les cardinaux issus des grandes familles romaines se sont empressés de faire construire des palais rivalisant de beauté, participant ainsi à la reconstruction de Rome qui n’était plus que l’ombre d’elle-même. Abandonné à la fin du Moyen Âge, le quartier de Trastevere est à nouveau digne d’intérêt à la fin du XVe siècle. Sous le pontificat de Jules II, mécène par excellence, la via della Lungara devient l’un des principaux accès à la basilique Saint-Pierre alors en pleine construction. Le grand banquier toscan, Agostino Chigi, argentier des papes, s’y fait construire une splendide villa. Cernée de jardins, la Farnesina (qui a gardé le nom de son deuxième propriétaire, Alessandro Farnese) fut l’une des demeures les plus en vue de la Renaissance romaine. Le banquier y organisait des bacchanales mémorables présidées par le pape en personne. Agostino Chigi avait demandé à Jules II de lui « prêter » son artiste fétiche, Raphaël, alors occupé à la construction de ses appartements. Entouré de ses fidèles élèves, le maître réalise pour le banquier ses oeuvres les plus érotiques dont une très sensuelle Galatée et une incroyable galerie dédiée à la légende d’Amour et de Psyché, ponctuée d’amusantes allusions phalliques à chercher dans les guirlandes de fruits.
La décoration de la villa Farnesina célèbre toute la fascination des artistes de la Renaissance pour l’Antiquité. Elle trouve son aboutissement dans la galerie des Carrache au palais Farnese, dont la voûte, réalisée en pleine ContreRéforme, illustre non sans provocation les amours profanes des dieux de l’Olympe. Situé juste en face, de l’autre côté du Tibre, ce palais emblématique de la Renaissance aurait dû être relié à la villa par un pont qui ne franchit jamais le fleuve, s’arrêtant au-dessus de la via Giulia. C’est à partir de 1515 que Sangallo commence sa construction qui sera terminée par Michel-Ange. Siège de l’ambassade de France depuis 1874, le palais Farnese, alliance parfaite de grâce et d’austérité, est l’un des mieux conservés de la Renaissance. En pénétrant dans le bureau de l’ambassadeur, avec son plafond à caissons en bois
LA DÉCORATION DE LA VILLA FARNESINA RÉVÈLE TOUTE LA FASCINATION DES ARTISTES DE LA RENAISSANCE POUR L’ANTIQUITÉ
sculpté, ses fresques et ses trompe-l’oeil illustrant la puissance de la famille Farnese, on comprend que l’Italie ait eu des réticences à le vendre aux Français qui tentèrent de l’acheter au début du XXe siècle. Depuis 1936, un bail emphytéotique de 99 ans permet à la France d’occuper les lieux pour un montant symbolique de 1 euro. En retour, elle loue à l’Italie l’hôtel de La Rochefoucauld à Paris, sous le même régime. « C’est un cas unique de mise à disposition de bâtiments de grande qualité dans un esprit de totale réciprocité », souligne Christian Masset, ambassadeur de France en Italie, très fier de jouer chaque année les maîtres de maison lors des Journées du patrimoine. Longtemps fermé au public, le palais s’ouvre depuis une dizaine d’années aux visites (2), ce qui n’est pas le cas de son voisin, le palais de la Chancellerie, propriété du SaintSiège. Tout juste restaurée, sa façade en travertin d’un crème lumineux fait ressortir l’élégance du bâtiment édifié à la fin du XVe siècle à la demande de Raphaël Riario, créé cardinal à 17 ans par son oncle Sixte IV. Désavoué par le pape suivant, il devra lui céder son palais… En passant une tête sous son porche, on découvre la cour intérieure dessinée par Bramante, l’une des plus belles de la Renaissance avec le cortile du palais Altemps, commandé lui aussi par la famille Riario, avant d’être acquis par le cardinal allemand Marcus Sitticus Altemps. Dans ce monument somptueux du nord de la place Navone, abritant les collections archéologiques du Musée national romain, les visiteurs se font rares. En fin de journée, quand la lumière décline et que les ombres se dessinent, les statues prennent vie.
SUR LES TRACES DE RAPHAËL
quelques encablures du palais Altemps, la ravissante façade baroque de l’église Santa Maria della Pace masque le bâtiment d’origine Renaissance commandé par Sixte IV en honneur de la Vierge. Son coeur octogonal lui donne un aspect chaleureux propice au recueillement mais c’est la chapelle de droite qui retient toute l’attention : Raphaël y a peint quatre Sibylles qui accueillent le message divin délivré par des anges. L’expression facétieuse des putti et la beauté des drapés aux moirés chatoyants rappellent ceux que l’artiste réalisait au même moment pour la villa Farnesina. Pour admirer l’oeuvre en savourant un expresso, direction la Caffetteria-Bistrot du Chiostro del Bramante, adjacent à l’église. Construit au début du XVIe siècle, ce cloître aux lignes d’une grande pureté a été transformé dans les années 1990 en musée privé dédié à l’art contemporain. Sa loggia accueille une cafétéria dont l’une des fenêtres donne sur les Sibylles. Il fait bon s’y poser loin de la foule dans une atmosphère sereine. Quelques centaines de mètres séparent le cloître et l’église Santa Maria della Pace du Panthéon, le seul édifice romain à nous être parvenu intact. À la Renaissance, ce temple monumental faisait déjà l’admiration des artistes. Raphaël le considérait comme le témoignage ultime du génie antique et demanda à y être enterré. Tous les 6 avril, jour de sa mort, des roses sont déposées devant le tombeau du peintre le vouant à l’éternité, à l’image de Rome, à la fois ville et déesse, dont la chute et la renaissance façonnent l’histoire depuis plus de deux millénaires. ■
(1) Pour découvrir la villa Lante, faire la demande sur Institutum Romanum Finlandiae (Irfrome.com).
(2) Le palais Farnese se visite 3 fois par semaine, sur réservation auprès de l’association Inventerrome.com.
AU PALAIS FARNESE, L’ALLIANCE DE LA GRÂCE ET DE L’AUSTÉRITÉ