LES CLÉS POUR COMPRENDRE
En défaut de paiement depuis début mars, le pays du Cèdre vit une crise sans précédent. Avec une dette publique de 92 milliards de dollars (170 % du PIB) et 35 % de la population active au chômage, Beyrouth doit faire appel au FMI, dont on connaît les plans drastiques…
1 ASPHYXIE FINANCIÈRE ET CATASTROPHE ÉCONOMIQUE
Le Liban connaît depuis 2019 un effondrement économique et financier, qui l’a plongé dans une crise sans précédent depuis la guerre civile (1975-1990). Sa dette publique atteint 92 milliards de dollars, soit 170 % du PIB, et le pays s’est déclaré en défaut de paiement début mars, la Banque centrale étant incapable de verser les 1,2 milliard de dollars exigés par les créanciers. Ses réserves en devises, qui semblaient inépuisables et lui valaient le surnom flatteur de « Suisse du Proche-Orient », ont fondu comme neige au soleil. Les retraits d’argent liquide sont plafonnés à 100 dollars par semaine. La livre libanaise, indexée arbitrairement sur le billet vert depuis 1997, n’a cessé de dégringoler sur le marché noir, passant de 1 500 à 3 000 pour un dollar. Le prix des produits de première nécessité a augmenté de 55 % et la Banque alimentaire libanaise est obligée de distribuer des repas gratuits aux plus nécessiteux. Le chômage touche 35 % de la population active. Selon le gouvernement, 45 % des Libanais vivent actuellement sous le seuil de la pauvreté, mais ils pourraient être 60 % d’ici à la fin de l’année (toujours selon les sources officielles).
2 TRENTE ANS D’ENDETTEMENT SUICIDAIRE
Qu’est-il donc arrivé au pays du Cèdre, ce havre de prospérité envié de tous ? Comment est-il passé des « nouveaux riches » aux « nouveaux pauvres » ? En manifestant, l’hiver dernier, contre une classe dirigeante qui ne s’est jamais renouvelée en trente ans, la population ne s’y est pas trompée : c’est bien la corruption et la collusion des élites politico-financières qui ont mené à la ruine. Au lieu d’investir dans la production nationale (industrielle et agricole) le stock de devises étrangères détenu par leurs banques, les gouvernements successifs l’ont utilisé pour payer l’administration, renflouer – artificiellement – la livre libanaise et tout miser sur les importations, sans se soucier des exportations. Pour financer des dépenses publiques sans efficacité (puisque les services publics sont dans un état lamentable), ces mêmes gouvernements ont emprunté massivement aux banques libanaises, qui pratiquaient des taux bien plus élevés que les banques étrangères. Tout le monde y trouvait son compte. Mais ce système de Ponzi officieux a fini par s’enrayer, les bailleurs traditionnels (comme la diaspora) préférant aujourd’hui miser sur des chevaux plus rentables.
3 UNE CRISE AUX RÉPERCUSSIONS RÉGIONALES
Quelle que soit la responsabilité (indéniable et condamnable) de l’État libanais dans le marasme actuel, il est également une victime collatérale de la guerre en Syrie et de l’affrontement chiite-sunnite qui a lieu dans la région, par acteurs interposés. Les clients traditionnels du secteur bancaire (Émirats arabes unis et Arabie saoudite sunnites) sont désormais aux abonnés absents.
Ils reprochent au gouvernement formé en janvier 2020 par Hassan Diab d’être soutenu par le Hezbollah, parti chiite qui s’est allié avec l’Iran des mollahs pour appuyer militairement le régime de Bachar el-Assad dans sa lutte antidjihadiste. Aidées par le Covid-19, qui gèle tout trafic (terrestre et aérien), les pétromonarchies se félicitent du bouclage de la frontière avec la Syrie, qui permettait un échange vital entre les deux pays (combattants, travailleurs et marchandises). Autre bénéficiaire de la crise : Washington, qui a la mainmise sur les autorités financières internationales et entend faire pression sur Beyrouth pour nuire à Téhéran. Contraint de se tourner aujourd’hui vers le FMI (pour une obole de 10 milliards de dollars), le Liban est de facto sous tutelle étrangère et il est voué à une cure d’austérité, qui laissera des traces…