LA CHRONIQUE
d’Éric Zemmour
Lutte des classes, lutte des castes, lutte des races : nos contemporains paraissent redécouvrir que la fin de l’histoire n’a pas eu lieu. Que le tragique est toujours de mise. Que « l’histoire universelle n’est pas le lieu de la félicité. Les périodes de bonheur y sont ses pages blanches », comme l’écrivait ironiquement Hegel. Afin de le vérifier, on pouvait, il y a encore peu, se rendre sur le boulevard Raspail, situé dans le 6e arrondissement parisien. Là, dans la nuit du 18 au 19 juin, quelques activistes clandestins avaient rebaptisé la longue artère. Sur les plaques de rue, en lieu et place de « Raspail, chimiste et homme politique », on pouvait désormais lire : « Jean Raspail, écrivain et explorateur, consul général du royaume de Patagonie. » On aurait tort de ne voir là qu’une frivolité facétieuse. À l’heure où certains rêvent de grand effacement, de statues déboulonnées, de lieux débaptisés afin de réécrire l’histoire à leur image, c’est un indice supplémentaire que la guerre des traces est lancée. À travers elle, chacun s’octroie le droit et le devoir de trier à son gré dans cette matière inobjectivable qu’est le passé. D’en extraire certaines traces et d’en effacer d’autres. Bref, de faire l’histoire en l’écrivant, donc en la réécrivant. Mais en a-t-il été un jour autrement ? L’histoire de toute société jusqu’à nos jours est-elle autre chose que l’histoire de la lutte des traces ?