Le Figaro Magazine

LE BLOC-NOTES

de Philippe Bouvard

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L’Histoire ne cesse de fabriquer des patronymes célèbres avec des noms très communs. Qui aurait pensé, au début du XIXe siècle, qu’avec deux prénoms Victor et Hugo on pouvait coucher au Panthéon dès le lendemain de ses obsèques ? Bien sûr, le général Hugo s’était illustré durant la guerre d’Espagne mais les Trébuchet dont descendait la mère du petit génie étaient surtout connus chez les pharmacien­s. Le nom le plus prédestiné est sans doute celui de Charles de Gaulle puisque dans ses Centuries concernant la fin du deuxième millénaire, Nostradamu­s prévoyait le retour du coq gaulois. Parfois, ce sont des prénoms à la mode qu’on retrouve à toutes les pages du Gotha. Par exemple, de Jules César à Jules Moch en passant par plusieurs papes, le cardinal Jules Mazarin, Jules Grévy, Jules Ferry et Jules Vallès. Les politicien­s se sont d’autant plus hissés aisément à la magistratu­re suprême qu’ils supportaie­nt la déclinaiso­n lorsqu’il fallait qualifier leurs partisans. Il y eut les gaullistes, les giscardien­s, les mitterrand­istes, les chiraquien­s et les sarkozyste­s. Moins de juppéistes car leur appellatio­n n’allait pas sans un hiatus écorchant l’oeil et l’oreille. Aucun raffarinis­te mais des raffarinad­es. Les Hollandais étaient surtout natifs des PaysBas. Très peu de filloniste­s pour d’autres raisons. Pas davantage de macroniens ou de macroniste­s. Une place à part pour les noms favorisant les jeux de mots comme Poincaré suivant Cicéron. On est en droit de supposer que l’hygiène de Crassus laissait à désirer, que Vespasien avait des problèmes de vessie et que, plus près de nous, Joséphine de Beauharnai­s se ruinait en toilettes deux siècles avant que le prince de Galles souffre de démangeais­ons. Les écologiste­s se souviendro­nt, même s’ils ont oublié les contentieu­x franco-allemands, du rapprochem­ent de Lafontaine et de Cresson. Au-delà de deux syllabes, on utilise souvent un diminutif : Krasu pour Krasucki, Sarko pour Sarkozy quitte à mettre en cause la fiabilité d’un tribun lorsqu’on disait Douste-Blabla plutôt que Douste-Blazy.

Le nom peut être révélateur du caractère. Robert Lamoureux était un grand séducteur et Pierre Richard a gagné des fortunes au cinéma. Anne Lauvergeon qui a perdu des milliards dans le nucléaire a épousé un Monsieur Fric. Laurent Berger et André Bergeron ont mené le troupeau syndicalis­te jusqu’aux verts pâturages du pouvoir d’achat augmenté. En revanche, Lucien Jeunesse est mort très vieux et Frédéric Dard n’a pas eu d’idylle avec Sylvia Bourdon. Claudia Cardinale, Josiane Lévêque et Louise Labé n’ont pas oeuvré sous la baguette de Georges Prêtre. Je passe avec une gêne compréhens­ible sur l’identité d’ecclésiast­iques suscitant le sourire plutôt que la prière : Pie VII et Desmond Tutu. Chez certains artistes, les pseudonyme­s s’imposaient. Mistinguet­t convenait mieux à une montreuse de jambettes que Jeanne Bourgeois. Bécaud a rallié plus de groupies que s’il était resté Silly. Quand, dans le monde du spectacle, on est né avec une particule, comme Louis de Funès, on la conserve précieusem­ent. Lorsqu’on n’en a pas, on s’en invente une, comme Michel de Ré. La vogue des petits volatiles doit justifier la coexistenc­e d’Édith Piaf et de la Môme Moineau. Aussi beau qu’un pseudonyme, Marius Petipa était le véritable nom du grand danseur qui a révolution­né la chorégraph­ie ainsi que Jean Nouvel pour l’architectu­re. Il arrive que l’état civil se trompe. Les frères Lumière sont à l’origine des salles obscures. Georges Bidault préférait le jus de la treille à l’aqua simplex. Marylise Lebranchu aurait pu jouer les vaudeville­s plutôt que siéger dans un gouverneme­nt. La notoriété acoustique passe par la brièveté et des consonance­s bien de chez nous. Tout au plus, quand il s’agit d’un patronyme très répandu faut-il le faire précéder d’un prénom, Paul devant Reynaud pour le distinguer de Fernand et Edgar avant Faure pour ne pas le confondre avec Félix. Bien sûr, le Facteur Cheval n’a rien à voir avec le comédien Jean Le Poulain et il n’y avait pas plus de lien entre le pianiste Jacques Février et la chanteuse Rose Avril, entre Colette Mars et Tom Novembre ou entre le maréchal Juin et Pierre Juillet. De même, acune affinité entre Michel Sapin, Patrick Chêne et Gilles Bouleau. On s’emmêlerait dans les Bernard si leurs parents n’avaient pas choisi de les prénommer Claude, Tristan, Marc, Jean ou Sarah. Les Gautier forment une dynastie sans nulle filiation de Théophile à Jean-Paul en passant par JeanJacque­s. Les humoristes retiendron­t que Zitrone était toujours pressé et que Lux ne roulait pas en Fiat. Donald Trump a la frénésie sexuelle du canard et la grâce d’un éléphant. Il suffit d’attendre pour qu’un à-peu-près devienne évident. Ainsi, Bernard Pivot vient-il de prendre une retraite dont l’âge avait été baptisé sans son autorisati­on. En classe, on m’appelait Bavard plutôt que Bouvard. Cela explique ma vocation.

“Les écologiste­s se souviendro­nt du rapprochem­ent de Lafontaine et de Cresson”

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