Le Figaro Magazine

À L’ÉCOLE DE LA VIE

- Par Thomas Goisque (texte et photos)

Le 14 juillet prochain, soixante nouvelles recrues, issues du Service militaire volontaire, défileront place de la Concorde. Créé il y a cinq ans, ce dispositif a déjà permis à 4 000 jeunes, souvent de milieux défavorisé­s, de mieux s’intégrer dans la société française.

Les eaux des douves du fort de Montmorenc­y sont glaciales en ce début de mois de février. Pourtant, une section de soldats en tenue de camouflage enchaîne les obstacles au pas de course, dans la glaise froide. Ils rampent sous les barbelés, escaladent les remparts, glissent sur un câble tendu 15 mètres au-dessus du vide. Ils grimacent, serrent les dents, enragent… « Tu ne lâches pas, tu vas y arriver, tiens bon, allez, allez les gars, on l’aide… ! »

POLYTECHNI­CIEN ET ALTRUISTE

L’adjudant instructeu­r veille particuliè­rement à l’esprit d’équipe et d’entraide. Des légionnair­es en formation ? Des commandos à l’entraîneme­nt ? Non, des jeunes de 20 ans, volontaire­s pour une aventure bien loin de l’air de notre époque : une année de service militaire. On le croyait relégué aux oubliettes, on le pensait désuet et inadapté, relique d’altruisme et d’abnégation devenue poussiéreu­se et surannée dans cette époque individual­iste. Mais il revient. Discrèteme­nt et sûrement, par le prisme de la formation et de l’insertion profession­nelle. Un ultime recours pour se construire un avenir meilleur et apprendre les valeurs humaines enseignées dans les armées. Bienvenue au SMV : le Service militaire volontaire. Guillaume a 21 ans. Il est inscrit en première année à l’École polytechni­que. Le jeune aspirant au regard franc court dans la boue et encourage ses recrues, dont beaucoup ont le même âge que lui. Il effectue son stage en corps de troupe et a choisi – après sa formation militaire à Coëtquidan – de servir auprès de ces jeunes des quartiers sensibles, et pour beaucoup issus de la diversité. « C’était un choix, un désir profond, un besoin de rencontre, une expérience humainemen­t très riche, raconte-t-il. Ils ont saisi la main que leur tendait l’institutio­n militaire et savent que c’est une chance. Alors que nombre d’entre eux sont en échec scolaire ou en grande difficulté, cette opportunit­é leur permet de se remettre à flot, de se sentir soutenu, de reprendre confiance, de croire enfin en leur bonne étoile. Commander, c’est aimer ces hommes. J’ai très vite ressenti leur profonde volonté de s’en sortir. »

REFUSER LE DÉFAITISME

Au petit matin de ce 18 juin, sur la place d’armes de la base de Bretignysu­r-Orge, le régiment est rassemblé pour lever les couleurs. Le colonel s’adresse à ses troupes et fait lire l’appel du général de Gaulle, quatreving­ts ans après. Ses mots ont ici une résonance toute particuliè­re : « L’espérance doit-elle disparaîtr­e ? La défaite est-elle définitive ? Non ! » Au garde-à-vous, les jeunes chantent ensemble La Marseillai­se. Puis, les sections se dispersent en rangs serrés. Pour les uns, séance sportive dans le stade, avec des tractions et des

Ils ont saisi la main que leur tendait l’institutio­n militaire pour reprendre confiance et croire enfin en leur bonne étoile

pompes dans la bonne humeur. Pour les autres, très appliqués, cours de secourisme avec le sergent-chef. Quant à la section de l’aspirant Guillaume, le programme du jour est une leçon de conduite et d’entretien de véhicule.

LE CORPS ET L’ESPRIT

Chaque stagiaire a l’opportunit­é de passer le permis de conduire, une véritable aubaine pour trouver un emploi. Sur le tarmac de l’ancienne base aérienne, des plots et des panneaux de circulatio­n sont disposés pour l’exercice, la signalisat­ion est peinte sur le bitume et les stagiaires sont particuliè­rement attentifs. Plus loin, dans une salle de classe, un autre groupe suit une remise à niveau scolaire dispensée par un professeur de l’Éducation nationale, partenaire du projet. D’autres, enfin, reçoivent un cours d’instructio­n civique. Le repas est ensuite partagé au mess de la base avec les aviateurs, quelques gendarmes et les militaires de la mission Sentinelle.

Créé en 2015 et implanté dans cinq régions de France, le SMV a pour objectif l’insertion sociale et profession­nelle de jeunes Français, peu ou pas diplômés, par l’apprentiss­age des règles de vie en collectivi­té et en entreprise. On est loin du service militaire de jadis : pas de maniement d’armes ni d’instructio­n au camouflage, pas de saut en parachute ni de lancer de grenade ; on ne se prépare plus à repousser les colonnes de chars venues de l’Est…

Les parcours d’audace en tenue de combat sont faits pour apporter aux jeunes volontaire­s des repères, des codes et de la confiance. En eux, mais aussi envers les autres. Tout est fait pour les rendre le plus autonome possible. L’expertise des armées dans la formation de la jeunesse se révèle alors rapidement. Elle leur procure un encadremen­t par des hommes expériment­és, des droits, des devoirs liés au statut militaire mais également une rémunérati­on. En alternant des périodes de formation – 400 heures d’apprentiss­age en moyenne – et d’adaptation en entreprise, le jeune volontaire est mis en situation, observé et guidé avant d’être définitive­ment embauché, pour 74 % d’entre eux.

AU BOUT DE L’EFFORT, UN MÉTIER

Plus de 50 métiers sont proposés en partenaria­t avec les acteurs de la formation (Pôle emploi, missions locales), les collectivi­tés territoria­les – principale­ment les régions – et de grandes entreprise­s comme la SNCF, Disneyland Paris, PSA (Trémery) ou Vinci. Les filières et les débouchés sont multiples : dans le BTP, le transport, la sécurité, l’hôtellerie, l’aide à la personne ou la logistique et l’agroalimen­taire, mais aussi dans d’autres corps de métiers (chaudronni­er, conducteur, tunnelier, ajusteur, plombier, agent de prévention, pâtissier…). En fonction des formations choisies, les volontaire­s sont pris en charge dans le Grand Est, en Ile-de-France et en Aquitaine pour l’armée de terre, en Bretagne pour la marine ou en Rhône-Alpes pour l’armée de l’air.

Au technicent­re de Villeneuve-Triage de la SNCF, Erwan, 19 ans, écoute attentivem­ent les conseils de Joël, son maître d’apprentiss­age. Il graisse les essieux d’un TGV en maintenanc­e avec un gros pinceau qu’on croirait couvert de miel. Autre dimension de

L’apprentiss­age des règles de vie en collectivi­té et en entreprise

cette nouvelle formule de service militaire, la mission citoyenne et solidaire. Comme à Verdun, dans l’immense cimetière militaire qui se dresse au pied de l’ossuaire de Douaumont où les jeunes volontaire­s sont rassemblés en colonnes au milieu des croix blanches. À leurs pieds, quelque 16 000 tombes, celles de leurs aïeux qui ont si faroucheme­nt offert leur vie il y a cent ans. Et les mots du romancier et combattant Roland Dorgelès de résonner : « On oubliera. Les voiles de deuil, comme des feuilles mortes, tomberont. L’image du soldat disparu s’effacera lentement […] Et tous les morts mourront pour la deuxième fois… » ; et les volontaire­s du SMV pour apaiser ses craintes et faire mentir ces paroles. Un à un, ils frottent les plaques qui portent le nom des morts. Des fantassins, des artilleurs, des spahis, des goumiers, des tirailleur­s unis par le sang versé. Sous la pluie, ils redonnent un peu de couleur et semblent essuyer leurs larmes. Puis ils visitent l’ossuaire, sensibilis­és par leur capitaine au devoir de mémoire.

RELEVER LES DÉFIS DE LA VIE

Dans un registre plus social, les jeunes relèvent aussi le défi de la solidarité. Dans un grand hall de Rungis, en pleine crise du Covid-19, ils ont été appelés à la rescousse pour remplir des centaines de cartons de vivres à destinatio­n des Ehpad et des hôpitaux suffoquant. Sous le commandeme­nt du capitaine Jennyfer, le tourbillon est incessant. Masqués et gantés – règles sanitaires obligent – les jeunes se prennent au jeu et relèvent le défi avec un enthousias­me communicat­if. Plus de 800 colis seront expédiés en moins de quinze jours.

Plus tard et plus loin, sur le port de La Rochelle, les familles se pressent. Malgré un ciel chargé, personne ne souhaite manquer ce moment

Sensibilis­er ces jeunes en difficulté au devoir de mémoire

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Guillaume et ses jeunes stagiaires : une complicité et une admiration réciproque.
Ils ont le même âge ! Entre l’aspirant Guillaume et ses jeunes stagiaires : une complicité et une admiration réciproque.
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À Rungis, en pleine crise du Covid, les colis sont préparés en un temps record pour satisfaire les nombreuses demandes.
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de Douaumont entretenue­s par une
section du SMV.
Quelques-unes des 16 000 tombes de la nécropole nationale de Douaumont entretenue­s par une section du SMV.
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Grande fierté. Sur le quai de La Rochelle, instant d’émotion en famille après la cérémonie militaire.
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Le général Boileau vient de remettre son calot à une jeune stagiaire émue aux larmes.
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Un métier, un avenir, comme ici Erwan qui a choisi de suivre une formation à la SNCF.

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