À L’ÉCOLE DE LA VIE
Le 14 juillet prochain, soixante nouvelles recrues, issues du Service militaire volontaire, défileront place de la Concorde. Créé il y a cinq ans, ce dispositif a déjà permis à 4 000 jeunes, souvent de milieux défavorisés, de mieux s’intégrer dans la société française.
Les eaux des douves du fort de Montmorency sont glaciales en ce début de mois de février. Pourtant, une section de soldats en tenue de camouflage enchaîne les obstacles au pas de course, dans la glaise froide. Ils rampent sous les barbelés, escaladent les remparts, glissent sur un câble tendu 15 mètres au-dessus du vide. Ils grimacent, serrent les dents, enragent… « Tu ne lâches pas, tu vas y arriver, tiens bon, allez, allez les gars, on l’aide… ! »
POLYTECHNICIEN ET ALTRUISTE
L’adjudant instructeur veille particulièrement à l’esprit d’équipe et d’entraide. Des légionnaires en formation ? Des commandos à l’entraînement ? Non, des jeunes de 20 ans, volontaires pour une aventure bien loin de l’air de notre époque : une année de service militaire. On le croyait relégué aux oubliettes, on le pensait désuet et inadapté, relique d’altruisme et d’abnégation devenue poussiéreuse et surannée dans cette époque individualiste. Mais il revient. Discrètement et sûrement, par le prisme de la formation et de l’insertion professionnelle. Un ultime recours pour se construire un avenir meilleur et apprendre les valeurs humaines enseignées dans les armées. Bienvenue au SMV : le Service militaire volontaire. Guillaume a 21 ans. Il est inscrit en première année à l’École polytechnique. Le jeune aspirant au regard franc court dans la boue et encourage ses recrues, dont beaucoup ont le même âge que lui. Il effectue son stage en corps de troupe et a choisi – après sa formation militaire à Coëtquidan – de servir auprès de ces jeunes des quartiers sensibles, et pour beaucoup issus de la diversité. « C’était un choix, un désir profond, un besoin de rencontre, une expérience humainement très riche, raconte-t-il. Ils ont saisi la main que leur tendait l’institution militaire et savent que c’est une chance. Alors que nombre d’entre eux sont en échec scolaire ou en grande difficulté, cette opportunité leur permet de se remettre à flot, de se sentir soutenu, de reprendre confiance, de croire enfin en leur bonne étoile. Commander, c’est aimer ces hommes. J’ai très vite ressenti leur profonde volonté de s’en sortir. »
REFUSER LE DÉFAITISME
Au petit matin de ce 18 juin, sur la place d’armes de la base de Bretignysur-Orge, le régiment est rassemblé pour lever les couleurs. Le colonel s’adresse à ses troupes et fait lire l’appel du général de Gaulle, quatrevingts ans après. Ses mots ont ici une résonance toute particulière : « L’espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non ! » Au garde-à-vous, les jeunes chantent ensemble La Marseillaise. Puis, les sections se dispersent en rangs serrés. Pour les uns, séance sportive dans le stade, avec des tractions et des
Ils ont saisi la main que leur tendait l’institution militaire pour reprendre confiance et croire enfin en leur bonne étoile
pompes dans la bonne humeur. Pour les autres, très appliqués, cours de secourisme avec le sergent-chef. Quant à la section de l’aspirant Guillaume, le programme du jour est une leçon de conduite et d’entretien de véhicule.
LE CORPS ET L’ESPRIT
Chaque stagiaire a l’opportunité de passer le permis de conduire, une véritable aubaine pour trouver un emploi. Sur le tarmac de l’ancienne base aérienne, des plots et des panneaux de circulation sont disposés pour l’exercice, la signalisation est peinte sur le bitume et les stagiaires sont particulièrement attentifs. Plus loin, dans une salle de classe, un autre groupe suit une remise à niveau scolaire dispensée par un professeur de l’Éducation nationale, partenaire du projet. D’autres, enfin, reçoivent un cours d’instruction civique. Le repas est ensuite partagé au mess de la base avec les aviateurs, quelques gendarmes et les militaires de la mission Sentinelle.
Créé en 2015 et implanté dans cinq régions de France, le SMV a pour objectif l’insertion sociale et professionnelle de jeunes Français, peu ou pas diplômés, par l’apprentissage des règles de vie en collectivité et en entreprise. On est loin du service militaire de jadis : pas de maniement d’armes ni d’instruction au camouflage, pas de saut en parachute ni de lancer de grenade ; on ne se prépare plus à repousser les colonnes de chars venues de l’Est…
Les parcours d’audace en tenue de combat sont faits pour apporter aux jeunes volontaires des repères, des codes et de la confiance. En eux, mais aussi envers les autres. Tout est fait pour les rendre le plus autonome possible. L’expertise des armées dans la formation de la jeunesse se révèle alors rapidement. Elle leur procure un encadrement par des hommes expérimentés, des droits, des devoirs liés au statut militaire mais également une rémunération. En alternant des périodes de formation – 400 heures d’apprentissage en moyenne – et d’adaptation en entreprise, le jeune volontaire est mis en situation, observé et guidé avant d’être définitivement embauché, pour 74 % d’entre eux.
AU BOUT DE L’EFFORT, UN MÉTIER
Plus de 50 métiers sont proposés en partenariat avec les acteurs de la formation (Pôle emploi, missions locales), les collectivités territoriales – principalement les régions – et de grandes entreprises comme la SNCF, Disneyland Paris, PSA (Trémery) ou Vinci. Les filières et les débouchés sont multiples : dans le BTP, le transport, la sécurité, l’hôtellerie, l’aide à la personne ou la logistique et l’agroalimentaire, mais aussi dans d’autres corps de métiers (chaudronnier, conducteur, tunnelier, ajusteur, plombier, agent de prévention, pâtissier…). En fonction des formations choisies, les volontaires sont pris en charge dans le Grand Est, en Ile-de-France et en Aquitaine pour l’armée de terre, en Bretagne pour la marine ou en Rhône-Alpes pour l’armée de l’air.
Au technicentre de Villeneuve-Triage de la SNCF, Erwan, 19 ans, écoute attentivement les conseils de Joël, son maître d’apprentissage. Il graisse les essieux d’un TGV en maintenance avec un gros pinceau qu’on croirait couvert de miel. Autre dimension de
L’apprentissage des règles de vie en collectivité et en entreprise
cette nouvelle formule de service militaire, la mission citoyenne et solidaire. Comme à Verdun, dans l’immense cimetière militaire qui se dresse au pied de l’ossuaire de Douaumont où les jeunes volontaires sont rassemblés en colonnes au milieu des croix blanches. À leurs pieds, quelque 16 000 tombes, celles de leurs aïeux qui ont si farouchement offert leur vie il y a cent ans. Et les mots du romancier et combattant Roland Dorgelès de résonner : « On oubliera. Les voiles de deuil, comme des feuilles mortes, tomberont. L’image du soldat disparu s’effacera lentement […] Et tous les morts mourront pour la deuxième fois… » ; et les volontaires du SMV pour apaiser ses craintes et faire mentir ces paroles. Un à un, ils frottent les plaques qui portent le nom des morts. Des fantassins, des artilleurs, des spahis, des goumiers, des tirailleurs unis par le sang versé. Sous la pluie, ils redonnent un peu de couleur et semblent essuyer leurs larmes. Puis ils visitent l’ossuaire, sensibilisés par leur capitaine au devoir de mémoire.
RELEVER LES DÉFIS DE LA VIE
Dans un registre plus social, les jeunes relèvent aussi le défi de la solidarité. Dans un grand hall de Rungis, en pleine crise du Covid-19, ils ont été appelés à la rescousse pour remplir des centaines de cartons de vivres à destination des Ehpad et des hôpitaux suffoquant. Sous le commandement du capitaine Jennyfer, le tourbillon est incessant. Masqués et gantés – règles sanitaires obligent – les jeunes se prennent au jeu et relèvent le défi avec un enthousiasme communicatif. Plus de 800 colis seront expédiés en moins de quinze jours.
Plus tard et plus loin, sur le port de La Rochelle, les familles se pressent. Malgré un ciel chargé, personne ne souhaite manquer ce moment
Sensibiliser ces jeunes en difficulté au devoir de mémoire