LA CHRONIQUE
Plus de nains, pas d’aveugles ; rien que des non-voyants/Des gens de petite taille et des malentendants/Et sitôt qu’un obèse approchait le quintal/On usait d’allusions au surplus pondéral. » Avec Un chat, un chat, morceau tiré de l’album Saperlipopette (or Not Saperlipopette), sorti en 2018, mais dont le clip vidéo a été mis en ligne il y a quelques jours, Richard Gotainer apporte sa pierre au combat contre l’hystérie collective prônant l’effacement des différences au nom d’une présumée stigmatisation. À l’ère de la dictature des réseaux sociaux, ce politiquement correct omniprésent parvient à faire reculer nos édiles comme les marques les plus en vue, et d’une manière générale toutes les entités soumises aux variations de leur cote de popularité. Qui mieux que l’inoubliable interprète du Youki, iconoclaste de talent depuis quarante ans, ayant autoproduit ses 14 albums sans jamais faire l’aumône auprès d’une maison de disques, peut pointer sans complexe les contradictions de notre société ? Mais le génie subversif de Richard Gotainer va beaucoup plus loin qu’un refrain bien ficelé ou une dégaine délirante. Son amour des mots, hérité de Brassens et de Vian, l’a mené à dépoussiérer des vocables peu familiers du commun des mortels. Dès 1980, avec le générique de la publicité du fromage Belle des Champs, il invitait la France entière à reprendre en choeur « Tu baguenaudes dans les pâturages ». Sur le morceau Saperlipopette, il revisite les plus beaux jurons de notre patrimoine lexical (corne, gidouille, palsambleu, chagatte, baloche…) dans un exercice de style mêlant la farce à l’estocade et avec une virtuosité mordante que n’aurait pas reniée ce « pornographe » de Brassens.
À rebours d’une époque où les médias populaires se repaissent de tubes taillés pour des générations d’illettrés (le vocabulaire quotidien des Français varie de 300 à 3 000 mots), les assauts de culture et d’intelligence de Gotainer sont une vitale et saine résistance à la médiocrité. Du grand art, tout simplement !