LA CHRONIQUE
On connaît la chanson. Entre Gérald Darmanin et Éric Dupond-Moretti, c’est la vieille rengaine du ministre de l’Intérieur et de son collègue de la Justice, la ritournelle de l’ordre et de la liberté, du défenseur de la société et de l’avocat des pauvres. Une chanson qui avait été interprétée avec talent par Gaston Defferre et Robert Badinter, Charles Pasqua et Pierre Méhaignerie, Jean-Pierre Chevènement et Élisabeth Guigou, ou encore Manuel Valls et Christiane Taubira. Darmanin va vouloir montrer à son mentor Sarkozy qu’il est capable de ressusciter « un job » que l’ancien président estima, avec son humilité coutumière, « avoir tué ». Dupond-Moretti n’aura aucun mal à conclure un armistice avec les syndicats de magistrats qui prennent pour l’instant sa nomination comme une déclaration de guerre autour d’une même vision hugolienne de l’homme et du criminel transfiguré en éternelle victime christique.
Il y aura des bons mots et des éclats de voix. Aucun des deux acteurs ne manque de talent. Mais ce ne sera que du théâtre ; et même un théâtre d’ombres. Depuis des décennies, le ministre de la Justice se contente d’adapter sa politique aux places de prisons qu’on promet toujours de construire et qu’on ne construit jamais. La Place Vendôme s’est transformée en régulateur de pression quand elle estime que la jauge est trop haute. En la matière, Belloubet a surpassé Taubira in fine. Le reste est confié à la discrétion des magistrats, du siège et même du parquet, qui suivent à leur gré leurs instincts idéologiques et corporatistes. Depuis la Révolution, la justice était censée être « la bouche de la loi ». Elle est redevenue, comme sous l’Ancien Régime, la bouche des magistrats.
De même, le ministre de l’Intérieur n’est plus désormais qu’un surveillant de colonie de vacances. Les pions (la police) doivent être bienveillants avec des voyous surarmés, tancés comme de gentils garnements de La Guerre des boutons. Le concept de « violences policières » est un oxymore qui sape les fondements de l’État qui se dépouille ainsi de son « monopole de la violence légitime ». Il faut remonter aux années 1970 pour retrouver un « vrai » ministre de l’Intérieur avec Alain Peyrefitte. À l’époque, sa loi sécurité et liberté avait été articulée avec une politique globale de maîtrise réelle de l’immigration : suspension du regroupement familial et renvoi dans leur pays de centaines de milliers de ressortissants algériens (aux termes d’un accord signé avec le gouvernement algérien). C’était la seule politique cohérente et raisonnable – raison pour laquelle elle fut bloquée par le Conseil d’État, contestée par la majorité parlementaire de l’époque et brisée par la gauche en 1981. La question de l’immigration fut depuis lors abandonnée aux immigrés eux-mêmes – et la justice, confiée aux magistrats, rendue au gré de leurs humeurs et de leurs inimitiés politiques ou personnelles. Tout le reste est littérature. Ou, plutôt, ce théâtre qu’affectionne tant notre nouveau ministre de la Justice.