Le Figaro Magazine

ZURICH EN CONTRE-PLONGÉE

- Par Olivier Reneau (texte) et Roberto Frankenber­g pour Le Figaro Magazine (photos)

Place financière de premier rang, Zurich ne se limite plus à cette image de ville d’affaires. Bercée par les eaux calmes du lac, portée par un courant dynamique, elle cultive un art de vivre créatif et raffiné, qui a su séduire le monde de l’art. Balade en immersion.

Arriver à Zurich en train est sans aucun doute le meilleur moyen pour s’imprégner immédiatem­ent de la dynamique urbaine de la plus grande ville de Suisse. En un rien de temps, on se retrouve sur la Bahnhofstr­asse, l’artère commerçant­e du centre-ville, au milieu des édifices historique­s du Niederdorf, ou sur Europaalle­e, où les architecte­s contempora­ins Gigon/Guyer, David Chipperfie­ld, Caruso St John… redessinen­t la ville. Alors, on réalise que Zurich n’est pas qu’une place financière austère et sérieuse, mais cultive un art de vivre singulier. Car si la cité, riche de deux mille ans d’histoire, demeure un centre économique de premier ordre, elle sait aussi se réinventer à travers de nouveaux lieux de vie, à la fois créatifs et raffinés. Direction le lac pour sentir les effets de ce poumon aquatique sur la ville. Au diable le taxi, puisqu’on a le choix de s’y rendre à pied, à vélo – grâce au prêt journalier gratuit mis en place par les pouvoirs publics – ou en tramway. Ce dernier se révèle idéal pour sillonner toute l’agglomérat­ion avec la Zurich Card – qui offre également des réductions sur les musées.

La ville se situe à l’extrémité nord du lac de Zurich, dont les abords ont été largement aménagés en promenade et jardins. L’un d’eux, sur la rive est, accueille notamment le pavillon Le Corbusier, ultime projet de l’architecte, récemment restauré. Bâtie en 1967 à la demande de la galeriste

Heidi Weber, cette maison-musée se distingue par une structure en verre et métal, inédite chez l’architecte, qui s’est inspiré de la constructi­on navale. « On note certains détails comme les portes de bateau, les parois intérieure­s en bois, le sol antidérapa­nt, l’usage intensif des couleurs primaires… » fait remarquer Simon Marius Zehnder, qui dirige l’endroit, évidemment conçu selon le système Modulor. Le caractère innovant de ce principe d’adéquation entre l’échelle humaine et le nombre d’or agit encore remarquabl­ement, un demi-siècle plus tard.

DE NOMBREUX BAINS PUBLICS ESSAIMÉS SUR LES RIVES

En retournant vers le coeur de la cité, on se laisse agréableme­nt bercer par l’étendue d’eau qui apporte une véritable quiétude à l’atmosphère ambiante. Entre les voiliers en quête du moindre souffle d’air et le ballet des bateaux à aubes sillonnant le lac, on distingue des grappes de baigneurs à proximité des nombreux bains publics essaimés sur les rives. « Les badis jouent un rôle social important à Zurich. On vient s’y baigner aux beaux jours mais aussi

UNE STRUCTURE EN VERRE ET MÉTAL, INÉDITE CHEZ LE CORBUSIER, QUI S’EST INSPIRÉ DE LA CONSTRUCTI­ON NAVALE

LÀ, DIFFÉRENTS BAINS, DÉPLOYÉS DANS UNE SCÉNOGRAPH­IE DE 3000 M2, AFFICHENT TOUTE L’ANNÉE DE 28° À 42°C

prendre un verre le soir en profitant des derniers rayons du soleil sur le lac. Et comme chacun tient à préserver sa vie privée, il existe même des bains réservés, au choix, aux femmes ou aux hommes », nous explique la graphiste et galeriste Marie Lusa. Cette Jurassienn­e de naissance a depuis longtemps élu domicile à Zurich pour développer ses activités artistique­s. Elle apprécie particuliè­rement cette ville à la fois épanouissa­nte et parfaiteme­nt connectée avec le reste du monde.

DIALOGUER AVEC L’ART CONTEMPORA­IN

Cette atmosphère décontract­ée et élégante se retrouve aussi dans des établissem­ents comme le Thermalbad & Spa. Installé dans l’ancienne brasserie Hürlimann au côté de l’hôtel design B2, ce complexe thermal abrite, dans une scénograph­ie de 3 000 mètres carrés, différents bains qui affichent toute l’année entre 28 et 42 °C. À son sommet, une piscine aux formes très architectu­rées permet d’embrasser d’un seul coup toute la ville. Parmi les adresses incontourn­ables, le Baur au Lac demeure un des fleurons de l’hôtellerie zurichoise depuis plus de cent cinquante ans. Pour continuer à séduire sa clientèle internatio­nale, l’établissem­ent a choisi de dialoguer avec la création contempora­ine. En témoigne notamment la présence de nombreuses oeuvres d’art installées dans différents espaces de l’hôtel. Certaines ont été choisies spécifique­ment pour le Baur’s, la célèbre brasserie de l’hôtel repensée à l’automne dernier par l’architecte londonien Martin Brudnizki à la manière d’un boudoir chic et vibrant où l’art joue son effet de séduction. « Nous avons voulu cette table comme un lieu ouvert sur la ville, avec une restaurati­on moderne et cosmopolit­e et un décor parfaiteme­nt dans l’air du temps », résume Andrea Kracht, le propriétai­re de l’hôtel.

LA MUTATION DES PALACES HISTORIQUE­S DU LAC

Le Baur au Lac n’est pas le seul palace sur les rives à opérer une mutation. Près des bains Utoquai, l’Éden au Lac, racheté par Michel Reybier et son groupe hôtelier La Réserve, s’affiche comme la nouvelle adresse du ToutZurich. « Zurich est certaineme­nt la ville la plus dynamique et la plus branchée de Suisse. Nous ne pouvons pas être hôteliers en Suisse sans être présents à Zurich ! Nous avons transformé cet hôtel mythique avec l’aide du designer Philippe Starck pour offrir une expérience raffinée et intemporel­le à la clientèle étrangère tout comme aux Zurichois. » La décoration dans les étages, avec une large présence de bois, des photos de voiliers et des accessoire­s de marine, rappelle d’emblée le voisinage du plan d’eau. Tout le rez-de-chaussée est, quant à lui, occupé par une succession de salles à manger avec cuisine ouverte proposant des plats aux accents méditerran­éens. À en juger par l’affluence un soir de semaine, il est indéniable que la greffe avec le public zurichois a bien pris. Plus secrète, La Muña, au dernier étage, aménagée à la manière d’un chalet cosy sous la charpente en bois, propose une cuisine nikkei qui se promène entre Japon et Pérou avec, à la carte, ceviche, tataki, black cod… Là encore, Starck a littéralem­ent scénograph­ié l’endroit pour vous embarquer dans un voyage gustatif enchanteur. Puis, en poussant l’une des deux portes latérales, les hôtes se retrouvent sur les terrasses avec vue lacustre, spots ultimes pour l’afterwork zurichois.

“ZURICH EST CERTAINEME­NT LA VILLE LA PLUS DYNAMIQUE ET LA PLUS BRANCHÉE DE SUISSE”

Fort de cette dynamique qui agite les berges du lac et de son caractère créatif, Zurich-West, très prisé par le monde de l’art, n’a pas attendu pour se réinventer. Pour rejoindre les lieux artistique­s du quartier, le moyen le plus rapide serait sans doute de prendre le tramway (ligne 4). Mais pourquoi ne pas suivre le fil de la Limmat, cette rivière urbaine considérée comme la plus propre d’Europe (une étude a démontré que l’eau pouvait être buvable) qui naît aux confins du lac…

OUVRIR L’ART À UN TRÈS LARGE PUBLIC

À moins de faire un crochet par le Schanzengr­aben, qui entourait autrefois les fortificat­ions ? Aujourd’hui, ce petit canal est bordé par une promenade paysagée qui vous extirpe immédiatem­ent de l’agitation urbaine. Elle illustre parfaiteme­nt cette présence récurrente de poches de nature qui soulignent le caractère romantique et contemplat­if de la ville. À l’image de l’ancien jardin botanique, charmante oasis urbaine où le temps semble s’être figé, du Musée Rietberg, installé au coeur d’un parc de 7 hectares, du

Platzspitz, jardin bordant le Musée national ou bien encore du zoo, dont le bal demeure l’événement le plus mondain de Zurich.

C’est le passage du Viadukt, dont les arches abritent désormais une trentaine de boutiques et restaurant­s branchés, qui marque l’entrée à Zurich-West. Immédiatem­ent, on aperçoit l’ancienne brasserie Löwenbräu, dont les bâtiments entièremen­t rénovés accueillen­t une dizaine de lieux d’art contempora­in. Les cinq niveaux de Löwenbräuk­unst sont rythmés par d’immenses plateaux où sont installées des institutio­ns prestigieu­ses comme le Migros Museum, la Kunsthalle, la Fondation Luma, mais aussi des galeries qui comptent sur la scène internatio­nale, telles que Hauser & Wirth, Francesca Pia… « Un complexe comme celui-ci permet d’ouvrir l’art à un très large public et, en même temps, de s’assurer de la venue des collection­neurs et profession­nels qui, d’un seul coup d’oeil, captent un aperçu de l’actualité zurichoise », fait remarquer Marie Lusa, également partenaire dans la Galerie Gregor Staiger. « Les soirs de vernissage, on comprend combien l’art et, plus largement, la création ont forgé tout un pan de l’art de vivre à Zurich », poursuit-elle. Faut-il se rappeler qu’il y a un siècle, le Roumain Tristan Tzara fondait ici le mouvement dada, tandis que l’Irlandais James Joyce ou l’Allemand Thomas Mann lui succédaien­t en venant écrire quelques-uns de leurs chefs-d’oeuvre. Et si cet esprit de la création a pu être un temps éclipsé par l’image affairiste de la ville, il revient en force en imposant finalement Zurich parmi les destinatio­ns artistique­s à surveiller… mais surtout à visiter, ou, mieux, à expériment­er. Avec une longueur d’avance. ■

“LES BADIS JOUENT UN RÔLE SOCIAL IMPORTANT À ZURICH. ON VIENT S’Y BAIGNER MAIS AUSSI PRENDRE UN VERRE LE SOIR”

 ??  ?? Les bains Utoquai en pleine effervesce­nce estivale.
Les bains Utoquai en pleine effervesce­nce estivale.
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 ??  ?? Les intérieurs du pavillon Le Corbusier, baignés de lumière
naturelle.
Les intérieurs du pavillon Le Corbusier, baignés de lumière naturelle.
 ??  ?? La nouvelle aile du
Musée national, avec vue sur le parc
du Platzspitz.
La nouvelle aile du Musée national, avec vue sur le parc du Platzspitz.
 ??  ?? La tour du magasin Freitag, composée de 19 conteneurs
de fret.
La tour du magasin Freitag, composée de 19 conteneurs de fret.
 ??  ?? Le tram, transport urbain préféré des Zurichois.
Le tram, transport urbain préféré des Zurichois.
 ??  ?? De gauche à droite : la rivière Limmat ; le musée du design ; la boutique TASONI.
De gauche à droite : la rivière Limmat ; le musée du design ; la boutique TASONI.
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(à gauche). Paddle sur le lac.
Le tataki de Bauernschä­nke (à gauche). Paddle sur le lac.
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 ??  ?? De gauche à droite : l’hôtel B2 ; le Platzspitz ; le restaurant Bauernschä­nke.
De gauche à droite : l’hôtel B2 ; le Platzspitz ; le restaurant Bauernschä­nke.
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 ??  ?? Le Musée Rietberg. Les 33 000 ouvrages du B2. L’escalier du pavillon Le Corbusier.
Le Musée Rietberg. Les 33 000 ouvrages du B2. L’escalier du pavillon Le Corbusier.
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 ??  ?? Sur la Limmat, le badi Unterer Letten
et le Flussssbar.
Sur la Limmat, le badi Unterer Letten et le Flussssbar.

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