ZURICH EN CONTRE-PLONGÉE
Place financière de premier rang, Zurich ne se limite plus à cette image de ville d’affaires. Bercée par les eaux calmes du lac, portée par un courant dynamique, elle cultive un art de vivre créatif et raffiné, qui a su séduire le monde de l’art. Balade en immersion.
Arriver à Zurich en train est sans aucun doute le meilleur moyen pour s’imprégner immédiatement de la dynamique urbaine de la plus grande ville de Suisse. En un rien de temps, on se retrouve sur la Bahnhofstrasse, l’artère commerçante du centre-ville, au milieu des édifices historiques du Niederdorf, ou sur Europaallee, où les architectes contemporains Gigon/Guyer, David Chipperfield, Caruso St John… redessinent la ville. Alors, on réalise que Zurich n’est pas qu’une place financière austère et sérieuse, mais cultive un art de vivre singulier. Car si la cité, riche de deux mille ans d’histoire, demeure un centre économique de premier ordre, elle sait aussi se réinventer à travers de nouveaux lieux de vie, à la fois créatifs et raffinés. Direction le lac pour sentir les effets de ce poumon aquatique sur la ville. Au diable le taxi, puisqu’on a le choix de s’y rendre à pied, à vélo – grâce au prêt journalier gratuit mis en place par les pouvoirs publics – ou en tramway. Ce dernier se révèle idéal pour sillonner toute l’agglomération avec la Zurich Card – qui offre également des réductions sur les musées.
La ville se situe à l’extrémité nord du lac de Zurich, dont les abords ont été largement aménagés en promenade et jardins. L’un d’eux, sur la rive est, accueille notamment le pavillon Le Corbusier, ultime projet de l’architecte, récemment restauré. Bâtie en 1967 à la demande de la galeriste
Heidi Weber, cette maison-musée se distingue par une structure en verre et métal, inédite chez l’architecte, qui s’est inspiré de la construction navale. « On note certains détails comme les portes de bateau, les parois intérieures en bois, le sol antidérapant, l’usage intensif des couleurs primaires… » fait remarquer Simon Marius Zehnder, qui dirige l’endroit, évidemment conçu selon le système Modulor. Le caractère innovant de ce principe d’adéquation entre l’échelle humaine et le nombre d’or agit encore remarquablement, un demi-siècle plus tard.
DE NOMBREUX BAINS PUBLICS ESSAIMÉS SUR LES RIVES
En retournant vers le coeur de la cité, on se laisse agréablement bercer par l’étendue d’eau qui apporte une véritable quiétude à l’atmosphère ambiante. Entre les voiliers en quête du moindre souffle d’air et le ballet des bateaux à aubes sillonnant le lac, on distingue des grappes de baigneurs à proximité des nombreux bains publics essaimés sur les rives. « Les badis jouent un rôle social important à Zurich. On vient s’y baigner aux beaux jours mais aussi
UNE STRUCTURE EN VERRE ET MÉTAL, INÉDITE CHEZ LE CORBUSIER, QUI S’EST INSPIRÉ DE LA CONSTRUCTION NAVALE
LÀ, DIFFÉRENTS BAINS, DÉPLOYÉS DANS UNE SCÉNOGRAPHIE DE 3000 M2, AFFICHENT TOUTE L’ANNÉE DE 28° À 42°C
prendre un verre le soir en profitant des derniers rayons du soleil sur le lac. Et comme chacun tient à préserver sa vie privée, il existe même des bains réservés, au choix, aux femmes ou aux hommes », nous explique la graphiste et galeriste Marie Lusa. Cette Jurassienne de naissance a depuis longtemps élu domicile à Zurich pour développer ses activités artistiques. Elle apprécie particulièrement cette ville à la fois épanouissante et parfaitement connectée avec le reste du monde.
DIALOGUER AVEC L’ART CONTEMPORAIN
Cette atmosphère décontractée et élégante se retrouve aussi dans des établissements comme le Thermalbad & Spa. Installé dans l’ancienne brasserie Hürlimann au côté de l’hôtel design B2, ce complexe thermal abrite, dans une scénographie de 3 000 mètres carrés, différents bains qui affichent toute l’année entre 28 et 42 °C. À son sommet, une piscine aux formes très architecturées permet d’embrasser d’un seul coup toute la ville. Parmi les adresses incontournables, le Baur au Lac demeure un des fleurons de l’hôtellerie zurichoise depuis plus de cent cinquante ans. Pour continuer à séduire sa clientèle internationale, l’établissement a choisi de dialoguer avec la création contemporaine. En témoigne notamment la présence de nombreuses oeuvres d’art installées dans différents espaces de l’hôtel. Certaines ont été choisies spécifiquement pour le Baur’s, la célèbre brasserie de l’hôtel repensée à l’automne dernier par l’architecte londonien Martin Brudnizki à la manière d’un boudoir chic et vibrant où l’art joue son effet de séduction. « Nous avons voulu cette table comme un lieu ouvert sur la ville, avec une restauration moderne et cosmopolite et un décor parfaitement dans l’air du temps », résume Andrea Kracht, le propriétaire de l’hôtel.
LA MUTATION DES PALACES HISTORIQUES DU LAC
Le Baur au Lac n’est pas le seul palace sur les rives à opérer une mutation. Près des bains Utoquai, l’Éden au Lac, racheté par Michel Reybier et son groupe hôtelier La Réserve, s’affiche comme la nouvelle adresse du ToutZurich. « Zurich est certainement la ville la plus dynamique et la plus branchée de Suisse. Nous ne pouvons pas être hôteliers en Suisse sans être présents à Zurich ! Nous avons transformé cet hôtel mythique avec l’aide du designer Philippe Starck pour offrir une expérience raffinée et intemporelle à la clientèle étrangère tout comme aux Zurichois. » La décoration dans les étages, avec une large présence de bois, des photos de voiliers et des accessoires de marine, rappelle d’emblée le voisinage du plan d’eau. Tout le rez-de-chaussée est, quant à lui, occupé par une succession de salles à manger avec cuisine ouverte proposant des plats aux accents méditerranéens. À en juger par l’affluence un soir de semaine, il est indéniable que la greffe avec le public zurichois a bien pris. Plus secrète, La Muña, au dernier étage, aménagée à la manière d’un chalet cosy sous la charpente en bois, propose une cuisine nikkei qui se promène entre Japon et Pérou avec, à la carte, ceviche, tataki, black cod… Là encore, Starck a littéralement scénographié l’endroit pour vous embarquer dans un voyage gustatif enchanteur. Puis, en poussant l’une des deux portes latérales, les hôtes se retrouvent sur les terrasses avec vue lacustre, spots ultimes pour l’afterwork zurichois.
“ZURICH EST CERTAINEMENT LA VILLE LA PLUS DYNAMIQUE ET LA PLUS BRANCHÉE DE SUISSE”
Fort de cette dynamique qui agite les berges du lac et de son caractère créatif, Zurich-West, très prisé par le monde de l’art, n’a pas attendu pour se réinventer. Pour rejoindre les lieux artistiques du quartier, le moyen le plus rapide serait sans doute de prendre le tramway (ligne 4). Mais pourquoi ne pas suivre le fil de la Limmat, cette rivière urbaine considérée comme la plus propre d’Europe (une étude a démontré que l’eau pouvait être buvable) qui naît aux confins du lac…
OUVRIR L’ART À UN TRÈS LARGE PUBLIC
À moins de faire un crochet par le Schanzengraben, qui entourait autrefois les fortifications ? Aujourd’hui, ce petit canal est bordé par une promenade paysagée qui vous extirpe immédiatement de l’agitation urbaine. Elle illustre parfaitement cette présence récurrente de poches de nature qui soulignent le caractère romantique et contemplatif de la ville. À l’image de l’ancien jardin botanique, charmante oasis urbaine où le temps semble s’être figé, du Musée Rietberg, installé au coeur d’un parc de 7 hectares, du
Platzspitz, jardin bordant le Musée national ou bien encore du zoo, dont le bal demeure l’événement le plus mondain de Zurich.
C’est le passage du Viadukt, dont les arches abritent désormais une trentaine de boutiques et restaurants branchés, qui marque l’entrée à Zurich-West. Immédiatement, on aperçoit l’ancienne brasserie Löwenbräu, dont les bâtiments entièrement rénovés accueillent une dizaine de lieux d’art contemporain. Les cinq niveaux de Löwenbräukunst sont rythmés par d’immenses plateaux où sont installées des institutions prestigieuses comme le Migros Museum, la Kunsthalle, la Fondation Luma, mais aussi des galeries qui comptent sur la scène internationale, telles que Hauser & Wirth, Francesca Pia… « Un complexe comme celui-ci permet d’ouvrir l’art à un très large public et, en même temps, de s’assurer de la venue des collectionneurs et professionnels qui, d’un seul coup d’oeil, captent un aperçu de l’actualité zurichoise », fait remarquer Marie Lusa, également partenaire dans la Galerie Gregor Staiger. « Les soirs de vernissage, on comprend combien l’art et, plus largement, la création ont forgé tout un pan de l’art de vivre à Zurich », poursuit-elle. Faut-il se rappeler qu’il y a un siècle, le Roumain Tristan Tzara fondait ici le mouvement dada, tandis que l’Irlandais James Joyce ou l’Allemand Thomas Mann lui succédaient en venant écrire quelques-uns de leurs chefs-d’oeuvre. Et si cet esprit de la création a pu être un temps éclipsé par l’image affairiste de la ville, il revient en force en imposant finalement Zurich parmi les destinations artistiques à surveiller… mais surtout à visiter, ou, mieux, à expérimenter. Avec une longueur d’avance. ■
“LES BADIS JOUENT UN RÔLE SOCIAL IMPORTANT À ZURICH. ON VIENT S’Y BAIGNER MAIS AUSSI PRENDRE UN VERRE LE SOIR”