UN MESSAGE ADRESSÉ À EMMANUEL MACRON
Si, pour Nicolas Sarkozy, « Le Temps des tempêtes » n’est pas une étape dans un processus de retour politique. les leçons qu’il tire des crises traversées pendant les deux premières années de son mandat, lui permettent de montrer aux Français qu’il a su tenir la barre du navire. On comprend mieux, à la lecture du livre, pourquoi l’actuel chef de l’État le sollicite régulièrement.
Pantalon de costume gris, chemise blanche, lunettes de soleil, assis sur un fauteuil dans son jardin, Nicolas Sarkozy est détendu quand il évoque, en ce vendredi ensoleillé de début juillet, devant ses invités la sortie de son prochain livre. Loin de l’homme politique pressé, véritable boule de nerfs, marqué par des mouvements d’épaule ou des rictus qui traduisaient les tensions, l’ancien président de la République a la voix calme et posée. L’approche des vacances – il est parti quelques jours en Corse avant de rejoindre le cap Nègre en août – le fait d’être dans sa maison, avec sa femme – ils viennent de l’acheter – la publication dans quelques jours de son dernier livre. Mais il n’y a pas que ça dans ce changement d’attitude. « J’ai vraiment tourné la page », assure Nicolas Sarkozy en réponse à tous ceux qui, immanquablement, verront dans la publication du Temps des tempêtes, un de ses fameux petits cailloux sur la route du retour. Il ne faudrait voir « aucune dimension politique » dans ce livre, aucun « projet de construction ou de continuation d’une carrière ». « Je regarde l’avenir. J’ai d’autres défis », confie celui qui emprunte à Jean Jaurès cette citation : « C’est en allant vers la mer que le fleuve
reste fidèle à sa source. » S’il parle de la vie politique avec Emmanuel Macron, s’il continue à recevoir quelquesuns de ses amis, Nicolas Sarkozy assure ne pas croire en l’idée du « recours ». Et tant pis pour tous ceux à droite, qui espèrent secrètement un retour de l’ancien président. Certes, ils trouveront au fil des pages des arguments pour expliquer que Nicolas Sarkozy n’a renoncé à rien et que ceux qui croient ses dénégations ne sont que des naïfs. Bien sûr, les assurances de l’ancien président seront toujours contrebalancées par l’existence même de cet ouvrage. Évidemment, certains y verront un message, peu subliminal : dans les temps difficiles qui s’annoncent pour la France et l’Europe, l’expérience d’un homme qui a su tenir la barre du navire France peut être utile. Mais justement, parce que la France traverse une crise inédite, que l’abîme est proche, Nicolas Sarkozy ne veut pas que l’on puisse dire qu’il a participé ou qu’il a été responsable du chaos. « Si je peux être utile, je le fais à ma manière, » assure l’ancien président, dont on devine qu’il est pleinement heureux dans sa nouvelle vie, tournée vers le monde des affaires – il est membre de plusieurs conseils d’administration. D’autant plus que les commentateurs ont insisté sur son influence sur la composition du nouveau gouvernement et la façon dont le président de la République a, en partie, répondu à la crise.
Et, au fond, on comprend mieux en lisant les 528 pages du Temps des tempêtes, écrites d’un seul trait pendant le confinement, pourquoi Emmanuel Macron le sollicite régulièrement depuis le début de son quinquennat. En revenant sur les deux premières années de son quinquennat (l’ouvrage s’arrête au début de la crise des subprimes de 2008 et la création du G20 dont il est à l’origine), Nicolas Sarkozy montre que lui aussi a traversé des temps difficiles, liés à ses réformes, celles des régimes spéciaux notamment, mais aussi liés aux événements internationaux (l’invasion de la Géorgie par la Russie) et aux crises (blocages européens, effondrement du système bancaire en 2008). Il a de ce point de vue une expérience unique, même s’il assure de pas chercher à donner des conseils. « Je n’aime pas qu’on me donne la leçon, j’en donne assez peu aux gens. J’ai été dans le bureau présidentiel. Je ne suis pas trop vieux, je suis encore dans le coup. Quand Emmanuel Macron m’appelle, je dis ce que je ferais dans telle ou telle situation, mais c’est à lui de décider. »
« ON APPREND DES ÉCHECS, DES CRISES »
Et, pendant cette crise, le téléphone de Nicolas Sarkozy a souvent sonné, quand il n’est pas allé à l’Élysée à l’invitation d’Emmanuel Macron à l’issue de la cérémonie du 8 mai. L’occasion pour son prédécesseur de lui expliquer sa vision : « On apprend des échecs et des crises, pas des succès.
Si vous essayez de gérer la crise, elle vous emportera. Il faut en profiter pour casser les codes. Toute crise peut être une opportunité. » Mardi 14 juillet dans son entretien télévisé, Emmanuel Macron a quasiment repris mot à mot cette expression en assurant aux Français que « cette crise pouvait être une opportunité ».« Dans toutes les crises, les responsables sont confrontés au même risque de les sous-estimer au début, et de surréagir à la fin. Trouver la juste mesure est sans doute ce qu’il y a de plus difficile », estime Nicolas Sarkozy. Pour l’ancien président, « la crise augmente les vocations de pseudo-experts, n’est pas favorable à la pensée indépendante, est aussi l’ennemi de la prise de risques, alors que celle-ci est pourtant le seul moyen de survie ». En 2008, face à une triple crise (financière, économique, étatique), le président de la République de l’époque a dû se battre pour imposer ses vues. En France, en Europe et face aux ÉtatsUnis. « Il n’y avait pas d’autre choix que d’inventer et d’innover. Il fallait à tout prix être mobile, réactif, pragmatique, imaginatif. » Nicolas Sarkozy se déploie tous azimuts. Il sait qu’il doit aller vite, alors même que ses alliés comme Angela Merkel ou George Bush, pour différentes raisons, sont moins réactifs. Il veut surtout rassurer les Français. Éviter la panique. Première décision, qui fait écho à la cacophonie des premières semaines de la gestion de l’épidémie de Covid-19, Nicolas Sarkozy décide qu’il ne peut y avoir « qu’un seul émetteur d’informations », en l’occurrence le président de la République. « Je le signifiai
“Quand Emmanuel Macron m’appelle, je dis ce que je ferais dans telle ou telle situation, mais c’est à lui de décider”
au premier ministre sans ambiguïté. La pluralité des décideurs compliquerait tout et nous n’avions vraiment pas besoin de davantage de complexité. » Pour avoir laissé son premier ministre et certains de ses ministres prendre la parole, voire le contredire, Emmanuel Macron en a payé le prix en termes de popularité et de confiance. Or, Nicolas Sarkozy en est persuadé, la confiance des Français dans une période aussi troublée est fondamentale. C’est la raison pour laquelle en 2008, il s’est résolu à dire « toute la vérité sur la gravité de la crise ». Parmi elles la création du G20 (les vingt plus grandes puissances du monde) à la place du G7, la préparation d’un plan de relance avec un grand emprunt et l’engagement que les Français ne perdraient pas un euro placé dans leur banque. Même cette décision simple fut difficile à imposer à une administration qui a tenté d’en limiter la portée. « Beaucoup me disaient qu’il fallait plafonner cette garantie pour limiter les risques de dépenses futures. C’était toujours la même maladie française des barèmes, des catégories et des plafonnements. » Confronté aux blocages de l’administration, aux réticences des hauts fonctionnaires, aux hésitations de certains de ses amis, Nicolas Sarkozy doit dépenser une énergie folle pour faire avancer les dossiers. Comme Emmanuel Macron, il veut, une fois à l’Élysée, changer le pays grâce à des réformes de structure. « Je savais que sur les 100 % d’énergie et de volontarisme qui sortaient de mon bureau élyséen, à peine 10 % arriveraient sur le terrain, et encore, si nous étions efficaces et chanceux. » L’histoire de la détaxation et défiscalisation des heures supplémentaires est éclairante à cet égard. Nicolas Sarkozy se souvient du « combat homérique » contre « la quasi-totalité de l’administration de Bercy » qui a tout fait pour dénaturer son projet. C’est la raison pour laquelle, une fois élu, il décide de s’occuper de tout, de suivre tous les dossiers, d’être sur le dos de ses ministres en permanence. Mais l’agenda international, les péripéties de la vie, les soubresauts de l’actualité l’obligent à devoir déléguer. C’est la raison pour laquelle il a conseillé à Emmanuel Macron de reprendre les rênes en main en changeant de premier ministre. Pour lui aussi la question n’était pas de savoir s’il fallait un premier ministre de droite ou de gauche. Il fallait que le chef de l’État se remette au centre du dispositif. Et tant pis pour les commentateurs et observateurs qui dénoncent un « omniprésident ». Depuis longtemps Nicolas Sarkozy est convaincu que les Français considèrent que les responsables politiques n’en font jamais assez et déplore « un divorce grandissant entre le milieu médiatico-intellectuel qui rêve d’un président volant à une hauteur stratosphérique sans jamais mettre ses mains dans le brasier et des Français qui regardent ce qui change concrètement et n’y trouvent jamais leur compte. » Depuis longtemps, Nicolas Sarkozy a fait son choix. Celui des Français. ■