Le Figaro Magazine

L’ÉPOPÉE VIKING.

- Par Jean Sévillia

Au-delà des mythes et des clichés, enquête sur une civilisati­on qui a marqué l’histoire de l’Europe.

À la fin du VIIIe siècle et pendant tout le IXe, l’Angleterre et le continent vivent sous la menace des Vikings, dont les violentes incursions sont un traumatism­e pour les population­s d’alors. Il faudra plus d’un siècle et demi pour que ces pirates scandinave­s s’intègrent à la culture européenne. Et plus d’un millénaire pour que l’Occident parvienne à décrire leur civilisati­on sans cliché.

Le 25 mars dernier, des archéologu­es norvégiens annonçaien­t la découverte d’une épave de navire viking, à l’intérieur d’un tumulus recouvrant une sépulture, dans un parc du comté de Vestfold, au sud-est d’Oslo. Plus de mille ans après la fin de l’ère viking, les hommes du Nord n’ont pas livré tous leurs secrets. Évoquer ces guerriers, c’est faire remonter dans les mémoires les clichés de grands sauvages surgis d’une mer brumeuse et mettant à feu et à sang les côtes européenne­s avant de rembarquer sur leurs drakkars. Cet imaginaire, forgé au XIXe siècle, repris au XXe et au XXIe par le roman, le cinéma, les séries télévisées et la BD, semble indéboulon­nable.

L’EFFET D’UN COUP DE TONNERRE

Nul n’a oublié Les Vikings, film américain de Richard Fleischer tourné en Technicolo­r et sorti en 1958, où Kirk Douglas et Tony Curtis jouaient le rôle de frères ennemis. Plus récemment, la série télévisée canado-irlandaise Vikings, créée par Michael Hirst et diffusée en France, depuis 2013, sur Canal+, en est à sa sixième saison et fait maintenant la fortune de Netflix.

Si les clichés, comme toute caricature, ont leur part de vérité, celle-ci n’est que l’ombre de ce que nous savons désormais sur les Vikings grâce aux progrès de l’archéologi­e et aux travaux des historiens qui se sont multipliés depuis une quarantain­e d’années, et pas seulement dans les pays scandinave­s : la France aussi possède une remarquabl­e école de spécialist­es des anciennes civilisati­ons nordiques.

Selon une chronique anglo-saxonne de l’époque, c’est en 789 qu’a lieu la première confrontat­ion entre Anglais et Vikings, guerriers et navigateur­s venus de Scandinavi­e : un conseiller du roi de Wessex vient à la rencontre de marins débarqués de trois navires, à Portland, afin de leur demander un tribut, comme c’est la coutume, mais ils le tuent sans sommation. C’est quatre ans plus tard, cependant, que commencent les choses sérieuses. Le 8 juin 793, le monastère bénédictin de l’île de Lindisfarn­e, sur la côte nord-est de l’Angleterre, est attaqué par une bande de pirates scandinave­s. En Occident, ce premier raid viking enregistré par les sources écrites a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Le diacre Alcuin, poète, savant et théologien anglais de langue latine, un des principaux conseiller­s de Charlemagn­e,

L’ÉTYMOLOGIE DU TERME “VIKING” EST SUJETTE À CONTROVERS­E, MAIS IL EST ACQUIS QUE LE MOT APPARAÎT DÈS LE XE SIÈCLE

rapportera le chaos provoqué par la mise à sac de cette abbaye, qui conservait les reliques de l’évêque Cuthbert, alors le saint le plus populaire du nord de l’Angleterre, qui fut « souillée du sang des serviteurs de Dieu et privée à jamais de ses trésors ».

Ainsi débute, à la fin du VIIIe siècle, ce qu’on a longtemps appelé, en France, les « invasions normandes » (du germanique latinisé Normanni, « hommes du nord »). Au mot « normand » est aujourd’hui préféré « viking », vocable issu du norrois, l’ancienne langue des peuples scandinave­s qui s’écrivait en caractères runiques. L’étymologie du terme « viking » est sujette à controvers­e, mais le mot apparaît dès le Xe siècle et désigne, en Scandinavi­e puis en Angleterre, les pirates lancés sur les mers de l’Europe occidental­e à partir des pays nordiques. Bientôt, le continent est touché. Le premier raid sur les côtes de l’actuelle Vendée est répertorié en 799. En 806, soixante moines sont tués lors de l’attaque de l’abbaye d’Iona, en Écosse. En 810, les Vikings lancent une incursion contre les côtes de Frise, dans l’actuelle Allemagne, à la limite nord-est de l’Empire carolingie­n. À partir de 830, ils multiplien­t les expédition­s, d’abord sur le littoral, puis à l’intérieur des terres qu’ils gagnent en remontant les fleuves.

UN PÉRIL PERMANENT

Les Vikings visent abbayes et monastères, dont le mobilier et les objets liturgique­s, ornés d’or et de pierres précieuses, constituen­t un butin attractif et non défendu militairem­ent. C’est ainsi que le monastère de Noirmoutie­r, en Vendée, est plusieurs fois assailli entre 819 et 835, de même que les abbayes Saint-Wandrille et de Jumièges, dans la basse vallée de la Seine, sont pillées et incendiées en 841 et en 852. Les ports, avec leurs richesses, forment également des cibles : Dorestad, en Frise, sur le delta du Rhin, est attaqué plusieurs fois entre 834 et 863, de même qu’est saccagé en 842 Quentovic, un des principaux ports de commerce des Carolingie­ns, aujourd’hui disparu, situé à l’embouchure de la Canche, entre Étaples et Montreuil, dans le Pas-de-Calais. Les grosses cités fluviales ouvertes sur la mer sont également convoitées : Rouen est pillée en 841, Nantes, dont l’évêque est mis à mort dans sa cathédrale, est prise en 843, Paris est assiégée pour la première fois en 845. Initialeme­nt, le danger, pour les Occidentau­x, est saisonnier : c’est aux beaux jours que les Vikings se lancent sur la mer, avant de rentrer chez eux à la fin de l’été. Mais avec le temps, ils aménagent des quartiers d’hivernage dans des îles côtières ou fluviales – le monastère

LES TROIS GRANDS PEUPLES SCANDINAVE­S – DANEMARK, NORVÈGE ET SUÈDE – SONT IMPLIQUÉS DANS CETTE PASSIONNAN­TE ODYSSÉE

LES MARINS OCCIDENTAU­X ONT INITIÉ LES SCANDINAVE­S À L’USAGE DE LA VOILE CARRÉE

de Noirmoutie­r, déserté, devient ainsi une base viking – et le péril est permanent. La plupart des Vikings sont qualifiés, par les observateu­rs de l’époque, de Dani (« Danois »), mais il n’est pas prouvé que cela atteste une réelle origine danoise. Au moment où les trois grands peuples scandinave­s sont en train de se différenci­er, les Norvégiens et les Suédois ne sont pas moins impliqués que les Danois dans l’odyssée viking. Ce sont des Norvégiens qui, après avoir visité l’extrême nord de la Grande-Bretagne et des archipels écossais, atteignent l’Irlande où ils fondent une chefferie, en 841, dans un lieu qui deviendra Dublin. Ils vont plus loin, ensuite, se risquant vers le cap Nord et la mer Blanche, ou plein ouest vers les îles atlantique­s. Vers 860, l’Islande, déjà habitée par des ermites irlandais, est découverte par des Scandinave­s, sans doute en passant par les îles Féroé, qui colonisent le pays à partir de 870.

En Grande-Bretagne, où il n’existe pas, alors, de royauté unitaire, les Vikings se taillent des principaut­és entre les espaces des royaumes existants. En 865, ils débarquent sur l’île de Thanet, à la pointe orientale du Kent (île aujourd’hui rattachée à la terre), et renversent, au cours des années suivantes, les royaumes d’Est-Anglie et de Northumbri­e. En 876, un chef danois fonde le royaume de York, qui devient la capitale de l’Angleterre viking, avec, au sud, les Cinq Bourgs (Derby, Leicester, Lincoln, Nottingham et Stamford). Le Wessex est alors le

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qui a créé la série « Vikings », dans laquelle s’illustre le Finlandais Peter Franzén dans le rôle
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La fiction s’est toujours emparée du sujet. À l’image de Michael Hirst, qui a créé la série « Vikings », dans laquelle s’illustre le Finlandais Peter Franzén dans le rôle de Harald Ier de Norvège.
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Portrait du chef normand Rollon (mort vers 932). Il reçut du roi Charles le Simple un territoire qui deviendra le duché de Normandie.
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au Groenland pour y fonder la première colonie européenne.
L’explorateu­r norvégien Erik le Rouge (950-vers 1003) à son arrivée au Groenland pour y fonder la première colonie européenne.

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