LOUIS DE FUNÈS
L’homme-orchestre
Savoureuse revanche de l’Histoire : la Cinémathèque consacre une exposition au comédien français le plus populaire, snobé en son temps par la critique. Le parcours fait la part belle à
ses films les plus célèbres, tout en dévoilant certaines de ses facettes les moins connues.
Il est une récompense que Louis de Funès n’a jamais reçue officiellement de la part du public : celle du « meilleur remède antimorosité ». C’est chose faite depuis la période de confinement où les téléspectateurs français et étrangers ont suivi en masse les multiples rediffusions des chefs-d’oeuvre avec l’irrésistible amuseur décédé en 1983. L’homme avait 68 ans. Le comédien, lui, est loin d’avoir disparu. Comme Hibernatus, resté frais comme un gardon après une soixantaine d’années de congélation dans les glaces du pôle Nord, il traverse les âges. D’où l’excellente initiative de la Cinémathèque * – jadis sans concession ni pitié pour l’humour dit « populaire » – de dédier une passionnante rétrospective à cet interprète éminemment fédérateur en dépit de ses rôles peu à son avantage.
Un miracle facile à expliquer ? « Impossible d’en vouloir à ses personnages d’être menteurs, roublards, ronchons, veules, voleurs, égoïstes, colériques, racistes, paranos, bilieux, chauvins, méprisants, obséquieux… Ils souffrent et nous rassurent : de Funès, c’est nous en pire », explique le commissaire de l’exposition, Alain Kruger, qui a choisi quelque 300 objets pour garnir les allées de l’institution parisienne. Peintures, dessins, lettres, pages de scénario, photographies, maquettes, costumes : chaque pièce apporte un lot réjouissant de souvenirs et d’émotions. Citons pêle-mêle la baguette du Kapellmeister de La Grande Vadrouille, les casques allemands portés par de Funès et Bourvil dans le film de Gérard Oury, la machine infernale de La Folie des grandeurs ou la malle du maréchal des logis de la gendarmerie de Saint-Tropez, Ludovic
Cruchot. Sans oublier la 2 CV déconstruite du Corniaud (accompagnée des détonateurs utilisés pour son explosion) ou la DS blanche de Fantômas. Succès garanti, y compris auprès de la jeune génération, prompte aussi à visionner de nombreux extraits de films sur les écrans. Décomposé en sept sections cohérentes, le parcours donne aussi l’occasion de comprendre l’admiration de l’ancien pianiste de bar pour les rois du burlesque comme W. C. Fields ou Laurel et Hardy, ou de percer ses désillusions devant le peu de confiance en son talent des grands réalisateurs des années 1930 et 1940. La liste de ses innombrables films tournés durant ces deux décennies, où il apparaît dans l’ombre, donne le tournis. Seul Daniel Gélin, croisé au cours Simon, lui tend alors la main. De Funès, qui est parfois recruté comme un vulgaire figurant, le surnommera « Ma chance ». Les blessures resteront néanmoins profondes. Des mots claquent, comme au théâtre : « J’ai commencé en passant par la petite porte. Des portes, j’en ai même ouvert sur scène, faute de mieux », affirmait-il en 1971.
Détail ignoré, mais relevé durant la visite : de Funès est né le jour de l’assassinat de Jaurès, le 31 juillet 1914. Un parallèle judicieux est établi entre ses personnages et les Trente Glorieuses. N’a-t-il pas commencé son épopée cinématographique sous les traits d’un portier de cabaret (en 1946, dans La Tentation de Barbizon, de Jean Stelli) pour devenir académicien en 1976 (dans L’Aile ou la Cuisse, de Claude Zidi) ? L’étude de sa face plus sombre présente pareillement un intérêt certain. « Vous n’avez pas un pensionnaire facile », écrit-il un jour à Alain Poiré. Le succès venant, il se montre de plus en plus dirigiste durant les prises. Le paradoxe : L’Avare (1981) constitue son unique oeuvre en tant que réalisateur. Drôle, très drôle de personnalité…