JEUX DE L’EGO
Je suis celui qui suis », proclamait Dieu. « Je suis une substance pensante », énonçait Descartes. « Je est un autre », écrivait Rimbaud. Toujours l’ego a réclamé sa pâture. Toujours, mais bien moins qu’aujourd’hui où ses attributs possibles surabondent : « Je suis Charlie », « Je suis la police », « Je suis Adama »,
« Je suis Augustin », « Je suis Mila », « Je suis victime »… Je ne suis que mon image, disent les « selfistes ». Je suis parce que j’en suis, clament les « Metooistes ».
Bref, sur le marché du « self » l’offre est pléthorique. On ne sait plus à quel soi succomber. À quel moi se vouer. D’où la question : à quelle demande supposée correspond cette offre pléthorique ? Serait-ce celle d’un ego hypertrophié, chancre avide prêt à absorber tout et son contraire afin de croître encore ? D’un moi épris de reconnaissance se répandant avec joie dans l’obscénité narcissique ? Ou celle d’un sujet réduit à n’être que lui-même, autant dire à rien, et désirant fuir cette assignation au vide en se ruant sur la première cause venue, la première vertu disponible, la dernière icône en date ?
Dans tous les cas, ces « ego trips » ne sont que des ego en kit dont la valeur et l’usage ont une date de péremption : celle de l’actualité autant dire de la futilité. « Egobésité », « egobscénité », « ego-vacuité », tels semblent être les avenirs radieux promis à nos contemporains. Il est permis de s’en détourner.