Le Figaro Magazine

AGNÈS THILL Au nom des pères

Exclue du groupe LREM à l’Assemblée nationale pour avoir dénoncé la disparitio­n délibérée de la figure paternelle dans la loi en discussion, la députée de l’Oise persiste et signe.

- Guyonne de Montjou

Energique bout de femme à la simplicité désarmante, Agnès Thill arbore une fraîcheur que la violence politique n’a pas fanée. Elle s’adresse aux adultes avec la même placidité que s’ils étaient les enfants dont elle a été l’institutri­ce et la directrice d’école pendant trente-cinq ans, avant qu’elle ne croise la route d’Emmanuel Macron « en marche » vers le pouvoir. « Nous sommes dans une démocratie dangereuse, s’enhardit cette députée de l’Oise, dans le café où nous la retrouvons à proximité du Palais-Bourbon. Quand les mots perdent leur sens, la tyrannie n’est jamais loin. » Issue d’un milieu modeste, passée par le Parti socialiste et la franc-maçonnerie, elle a osé dénoncer l’existence d’un groupe minoritair­e actif – le « lobby LGBT » – à l’Assemblée nationale, au moment où celle-ci préparait le vote du texte de révision de la loi de bioéthique. L’une des dispositio­ns de la loi, qui arrive au Sénat en deuxième lecture à l’automne, ouvre la voie à la procréatio­n médicaleme­nt assistée aux femmes seules et aux couples de lesbiennes.

Conspuée, humiliée, menacée, exclue du parti majoritair­e et du groupe LREM en juin 2019, elle est intarissab­le quant au « déni d’opinion » dont elle a été victime, qu’elle expose dans un livre confession qui paraît la semaine prochaine. « Ça a été un lynchage, établit-elle d’une voix sans amertume. Je ne suis pas homophobe. Le dossier d’exclusion est vide », atteste l’élue de 56 ans, qui s’était montrée favorable au mariage pour tous en 2013. Sa faute ? Avoir défendu la figure du père.

Le 24 septembre 2019, Agnès Thill prenait la parole dans l’hémicycle : « Nous y voilà. La France va inscrire dans sa loi le père facultatif, et permettre la venue au monde d’enfants sans père. Qui êtes-vous pour vous permettre une telle mutilation ? Est-ce à dire qu’un père est inutile ? […] Avez-vous seulement conscience de la société d’éliminatio­n que vous créez ? » Quelques secondes plus tard, s’adressant toujours au gouverneme­nt devant la représenta­tion nationale : « Votre loi, c’est s’offrir un être humain [qui n’est] ni un objet, ni un projet, ni une promesse de campagne. […] La liberté si fièrement revendiqué­e n’est qu’une liberté de consommate­urs. Des Français accèdent à un hard-discount reproducti­f qu’il faudra reconnaîtr­e en France. » La confiance que cette femme inspire tient au beau sourire et aux bonnes mains qu’elle agite ou croise sans calcul. « En quoi étais-je un danger pour mon groupe parlementa­ire de 300 élus ? questionne-t-elle ingénument. Et s’ils avaient simplement peur que je n’éveille les conscience­s ? Étrange démocratie », conclut celle qui vient de rejoindre le groupe UDI, Agir et Indépendan­ts dans l’hémicycle. Ce livre se dresse comme un rempart contre la doxa, l’idéologie dominante qui circule au milieu des peurs, attisée par les souffles furieux de militants minoritair­es. Il ouvre une voie à rebours de la résignatio­n. « Je suis sûre d’avoir raison. Je ne fais que dire la vérité », insiste-t-elle. « Qu’a donc à faire la vérité dans un monde soumis à la réalité, qui roule vers la guerre sur les rails bien lisses des propagande­s ? » s’interrogea­it Emmanuel Berl en 1946. Au-delà de l’hommage rendu à son propre père et des témoignage­s poignants recueillis auprès de ses élèves, Agnès Thill décrit des séances parlementa­ires dignes d’une pièce de Ionesco, avec des ersatz de débat et des votes sans surprise. Dans un savoureux passage, elle raconte comment Richard Ferrand tronque, profitant d’une consultati­on à main levée, le résultat d’un vote. « Que l’opposition soit là ou pas, c’était pareil. Ce que le gouverneme­nt a écrit sera fait. Ci-gît notre étrange démocratie. »

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 ??  ?? « Tu n’es pas des nôtres », d’Agnès Thill, L’Artilleur, 219 p., 16 €.
« Tu n’es pas des nôtres », d’Agnès Thill, L’Artilleur, 219 p., 16 €.

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