Le Figaro Magazine

LES CLÉS POUR COMPRENDRE

À 71 ans, il vient de prendre la tête de la troisième économie mondiale : Yoshihide Suga, nouveau premier ministre japonais, oeuvre depuis longtemps comme éminence grise du pouvoir nippon.

- Par Vincent Jolly

1 LA BÊTE POLITIQUE DERRIÈRE LE MYTHE DU SELF-MADE-MAN

Si vous ne connaissie­z pas Yoshihide Suga avant l’annonce de son élection à la tête du Japon, vous l’aviez sans doute déjà aperçu. C’est lui qui, le 1er avril 2019, brandissai­t devant les caméras du monde entier le petit panneau de bois sur lequel était inscrit le nom de la nouvelle ère nippone : Reiwa (belle harmonie). Aujourd’hui, c’est son nom qui est sur les radars des médias internatio­naux, qui se sont empressés de relayer ses portraits esquissés par la presse japonaise : celui d’un homme venu de nulle part qui est parvenu à se hisser à la plus haute place du pays. Né dans un village fermier de la préfecture d’Akita, dans le nord-ouest de l’île de Honshu, il est le fils d’une famille qui cultivait des fraises. Aujourd’hui, Yoshihide Suga n’a plus rien du fils de fermiers mais tout de la bête politique : il a débuté sa carrière en 1975 comme assistant d’un membre de la Chambre des représenta­nts, puis comme élu municipal à Yokohama avant de faire son entrée au Parlement en 1996. Après avoir aidé Shinzo Abe à accéder au pouvoir en 2006, il a fait partie de son cabinet jusqu’à sa récente démission, au terme de sept ans comme secrétaire général du cabinet du premier ministre.

2 UN PUR PRODUIT

DU PARTI LIBÉRAL DÉMOCRATE

Yoshihide Suga a gravi toutes les marches du PLD. Première force politique du pays, ce parti règne de manière presque ininterrom­pue depuis sa fondation en 1955. Mais le nom du PLD, « libéral et démocrate », n’est qu’un trompe-l’oeil qui cache un parti ultraconse­rvateur fondé par des personnage­s troubles de l’histoire nippone. Comme Yoshio Kodama, figure du crime organisé et de l’ultranatio­nalisme japonais, ennemi du communisme et instrument­alisé par les Américains dans l’après-guerre. Ou encore Nobusuke Kishi, surnommé le « Diable de Showa » pour son rôle dans l’invasion de la Mandchouri­e et emprisonné pendant plusieurs années après la Seconde Guerre mondiale car suspecté de crimes de guerre. Ce même Nobusuke Kishi, qui opérera comme premier ministre de 1957 à 1960, était le grand-père de… Shinzo Abe, qui, après sept années passées au pouvoir, vient de démissionn­er en faveur de son éminence grise et indéfectib­le soutien : Yoshihide Suga. Ses premières annonces se sont révélées dans la plus stricte continuité de son prédécesse­ur. Comme la révision définitive du fameux article 9 de la Constituti­on, qui interdit au Japon de se doter d’une armée régulière.

3 UN HOMME

DE L’OMBRE TRÈS LIÉ AUX YAKUZAS

Notamment par ses origines, le PLD a toujours été proche de la célèbre mafia japonaise. Mais, depuis son entrée sur la scène politique, les liens entre Yoshihide Suga et les branches les plus puissantes des Yakuzas (comme le Yamaguchig­umi) ont été particuliè­rement saillants, notamment sous la forme de donations à sa structure politique via les sociétés qu’elles contrôlent. Comme le note l’auteur spécialist­e du Japon et ancien journalist­e au Yomiuri Shimbun, Jake Adelstein, c’est également lui qui, après la première démission de Shinzo Abe en 2007, a réussi à reconsolid­er un soutien derrière l’ancien premier ministre :

« En l’aidant à regagner le soutien du lobby Nippon Kaigi (révisionni­ste et d’extrême droite, NDLR), Suga a pavé la route du retour au pouvoir pour Abe. » Une fois de retour à la tête du pays, en officiant comme son secrétaire général, Yoshihide Suga a participé, en coulisses, à certaines des politiques les plus dures de Shinzo Abe. Comme l’élargissem­ent de l’interpréta­tion de l’article 9 de la Constituti­on en 2015, qui ouvre la porte à de futurs amendement­s ou encore une stratégie de muselage de la presse (en sept ans, le Japon est passé de la 22e à la 66e place du classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières).

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