LA CHRONIQUE
d’Éric Zemmour
C’est une histoire américaine. Un juge à la Cour frontsuprême meurt et doit être remplacé. C’était une vieille dame, de la bourgeoisie juive de la côte Est, militante inlassable des droits des femmes et des minorités : une icône progressiste. Donald Trump, qui a pouvoir de nomination sur les membres de la Cour suprême, s’empresse d’annoncer qu’il va la remplacer au plus vite. Les démocrates se récrient et demandent qu’on retarde la désignation après l’élection présidentielle de novembre prochain. Il y a quatre ans, la même situation s’était présentée, mais à fronts renversés. De loin, on ne comprend pas grand-chose à ces moeurs américaines : pourquoi désigner « son » juge ? Les magistrats ne sont-ils pas la « bouche de la loi », comme disait Montesquieu ? En l’occurrence, les juges suprêmes ne sont-ils pas là pour faire respecter la Constitution ?
Mais depuis les années 1960, des juges « progressistes » ont entendu « faire parler » la Constitution. D’un article obscur, écrit par les Pères fondateurs il y a deux siècles, ils ont fait une arme pour légitimer l’avortement ou les mesures de discrimination positive en faveur des Noirs. Les progressistes ont mis le diable politique dans le bénitier constitutionnel. Tardivement, les conservateurs ont compris la manoeuvre et se sont mis à imiter leurs adversaires. Au grand dam des progressistes qui craignent que la Cour suprême défasse (avortement, droit des minorités) ce qu’ils ont fait.
C’est une histoire française. Le général de Gaulle avait prévu qu’il ne voulait pas de ce modèle américain : « En France, la Cour suprême, c’est le peuple. » Le référendum devait trancher les grandes questions nationales et non des magistrats non élus : ce qu’en France on appelle « le gouvernement des juges ». Mais aussitôt de Gaulle disparu, le Conseil constitutionnel a enclenché la même mécanique que la Cour suprême : on prend un article obscur de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et on le fait « parler » dans le sens voulu. Peu à peu, au fil d’une jurisprudence prudente et audacieuse à la fois, le Conseil constitutionnel a pris dans ses rets les pouvoirs législatif et exécutif. Quand un insolent rappelle que ce n’est pas démocratique, on lui rétorque que c’est conforme à l’État de droit. Le Conseil constitutionnel n’est pas seul : le Conseil d’État, la Cour de cassation, sous l’autorité de la Cour de justice européenne et de la Cour européenne des droits de l’homme, tout le monde y va de sa jurisprudence. Et, comme aux États-Unis, l’idéologie dominante de ces juges est « progressiste » : on favorise le mariage homosexuel, la PMA, les droits des migrants, des femmes et de toutes les minorités qui veulent l’emporter sur la majorité. Au nom de l’État de droit, on a l’émergence des « tas de droit », comme disait le juriste Guy Carcassonne. Pour les adversaires des progressistes, il ne reste que deux solutions : la méthode américaine avec des juges de combat ou la méthode française et le retour à l’origine de la Ve République ; la Cour suprême, c’est le peuple.