Le Figaro Magazine

LA PAGE HISTOIRE

de Jean Sévillia

- LA PAGE D’HISTOIRE DE JEAN SÉVILLIA

Pour tout le monde, le maréchal Hindenburg est l’homme qui, le 30 janvier 1933, nomma Adolf Hitler chancelier d’Allemagne. Mais la longue carrière de cet officier prussien (il est mort à 86 ans) se résume-t-elle à cette décision fatale ? L’ouvrage que publie Jean-Paul Bled, professeur émérite à la Sorbonne et grand connaisseu­r des mondes germanique­s, a le double mérite de combler une lacune, puisqu’il s’agit de la première biographie en français de Hindenburg, mais surtout de faire toute la lumière, en s’appuyant sur une documentat­ion de première main, sur un personnage qui, in fine, n’a rien pour susciter la sympathie. Né en 1847, fils d’un junker, Paul von Beneckendo­rff und von Hindenburg reçoit l’éducation et partage les conviction­s de son milieu, voué au service de la dynastie des Hohenzolle­rn et au métier des armes. En 1866, il combat les Autrichien­s à Sadowa et, en 1870, les Français à Saint-Privat. En 1911, à 63 ans, il prend sa retraite après un parcours sans éclat. Toutefois, rappelé en 1914, il se couvre de gloire en remportant contre les Russes la bataille de Tannenberg, victoire dont Jean-Paul Bled rappelle qu’elle est en réalité imputable à son adjoint Ludendorff. En 1916, après l’éviction de Falkenhayn, c’est donc à Hindenburg, toujours flanqué de Ludendorff, que Guillaume II confie le Grand État-major général allemand, qui dès lors fait régner une véritable dictature militaire, et engage le Reich dans une voie sans issue avec la guerre sous-marine à outrance (qui poussera les États-Unis à entrer dans le conflit) et le refus de toute paix de compromis (au rebours des voeux du pacifique Charles Ier d’Autriche, allié malheureux de Berlin). En 1919, c’est Hindenburg qui répand la légende du « coup de poignard dans le dos »

selon laquelle les dirigeants civils auraient trahi l’armée allemande invaincue en signant l’armistice en 1918, mythe dont les nazis se serviront. Élu président de la République de Weimar en 1925, le vieux maréchal s’oppose au parti nazi dès 1930, mais ouvre trois ans plus tard la porte de la chanceller­ie à Hitler, et couvre toute sa politique jusqu’à sa propre mort, en août 1934. Au total, le rôle de Hindenburg a-t-il été funeste ? Oui, répond Jean-Paul Bled sans hésiter, au terme de cet impeccable travail d’historien. Hindenburg. L’homme qui a conduit Hitler au pouvoir, de Jean-Paul Bled, Tallandier, 332 p., 22,50 €.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France