Le Figaro Magazine

LES RÉVÉLATION­S DU GÉNÉRAL GOMART

Pour la première fois, un de leurs anciens patrons raconte la vraie vie de ces unités militaires d’élite engagées en Afghanista­n, en Libye ou au Mali. Et il lance un pavé dans la mare en contestant à la DGSE sa légitimité dans les opérations spéciales.

- Par Charles Jaigu

Cette fois-ci, c’est un homme du sérail qui raconte. Un général quatre étoiles, parti dans le privé en 2017, après avoir été commandant des opérations spéciales puis directeur du renseignem­ent militaire. Son livre, dont Le Figaro Magazine publie en exclusivit­é de larges extraits, décrit pour la première fois de l’intérieur les tensions entre les deux grands services chargés des opérations spéciales au nom de la France à l’étranger. D’un côté, les 4 000 militaires encadrés par le Commandeme­nt des opérations spéciales de l’armée (COS) et, de l’autre, le Service Action (SA), 1 000 soldats de l’armée de terre qui ne répondent qu’aux ordres de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE).

LA GRANDE MUETTE, C’EST FINI

Christophe Gomart a un air de bon père de famille, et seule une certaine densité physique dénote l’ancien para. On le disait destiné aux plus hautes fonctions – auprès du président Emmanuel Macron, ou à l’état-major des armées. Cela ne s’est pas fait et certains, notamment à la DGSE, suggèrent que ce livre est le reflet d’une amertume. Cela paraît injuste. « Je veux depuis longtemps mettre à l’honneur les forces spéciales dont les mérites sont trop mal connus », nous répond Christophe Gomart qui a été à leur tête de 2011 à 2013. S’agit-il là d’une rupture avec le devoir de réserve imposé par la grande muette ? « Le temps est loin où MacMahon disait : “Quand je vois le nom d’un officier sur un livre, je le raye du tableau d’avancement” », nous confie l’ancien chef d’état-major des armées, le général Henri Bentégeat, qui y voit « une bonne manière d’insérer l’armée au sein de la société, tant que cela ne compromet pas des actions en préparatio­n ».

La coopératio­n entre le COS et ses « cousins » du Service Action de la DGSE n’est pas toujours facile. Les espions de la « Piscine » restent en effet les héritiers lointains du BCRA créé à Londres pendant la Seconde Guerre mondiale, et cette aura leur assure la première place au coeur du système de décision de l’État profond. Aujourd’hui, elle est forte de près de 7 000 salariés. Christophe Gomart, qui est un pur produit de l’armée, les regarde avec admiration et agacement. Car il fut un temps où ce service était commandé par un militaire – jusqu’à la parution d’une tribune de plusieurs généraux critiquant ouvertemen­t François Mitterrand avant la présidenti­elle de 1988. « En représaill­es, il retira la direction de la DGSE aux militaires », rappelle Jean Guisnel, journalist­e et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet, qui a coécrit le livre. Dans celui-ci Christophe Gomart raconte son parcours d’officier d’élite ayant participé à un nombre impression­nant d’opérations extérieure­s.

Mais il affirme surtout que la séparation étanche entre ses services et ceux de la DGSE qui sont aussi spécialisé­s dans les opérations spéciales n’a plus de sens. À ses yeux, l’argument avancé de la clandestin­ité totale des uns – le Service Action – opposée à la plus grande visibilité des autres dont les opérations sont théoriquem­ent toujours « revendicab­les » par la France – les forces spéciales du COS – est un sophisme bon pour les diplomates. Il le dit sans mâcher ses mots, en militaire, en affectif, mais aussi en stratège. Son modèle est celui des SAS britanniqu­es, qui sont entièremen­t sous l’ombrelle des militaires. Il s’indigne que cela ne soit pas aussi le cas en France.

“Je veux depuis longtemps mettre à l’honneur les forces spéciales”

“PAS DE SOLUTION OPTIMALE”

Pourtant, le dédoubleme­nt existe ailleurs, en Israël par exemple, ou aux États-Unis, même si les 43 000 hommes qui intervienn­ent dans les opérations spéciales sont sous le commandeme­nt militaire, ce qui ne laisse pas beaucoup de place pour un bras armé de la CIA. « Il peut y avoir pour les agents de la DGSE des modes de pénétratio­n sur des terrains “non permissifs” qui requièrent des qualités physiques », objecte Arnaud Danjean, aujourd’hui député européen, et ex-DGSE. Ce que ne conteste pas Gomart, qui plaide pour le maintien du Centre parachutis­te d’entraîneme­nt spécialisé dans le périmètre de la DGSE. En revanche, il s’acharne à réclamer la réaffectat­ion du petit millier de soldats d’élite (pilotes, parachutis­tes, nageurs de combat…) auprès du COS. « Il est vrai que la coordinati­on de deux chaînes de commandeme­nt pose un problème, mais il n’existe pas de solution optimale », estime de son côté le général Bentégeat. Il est vrai aussi que les forces spéciales du COS sont un corps d’élite encore jeune, créé en 1992, après les déconvenue­s de la première guerre d’Irak. Depuis, les commandos militaires ont grandi, se sont déployés en Afghanista­n, puis en Libye. Le général Gomart estime que les procédures qui sont mises en place chez les militaires aident à éviter les prises de risques inutiles. Le passage du livre qui mécontente­ra le plus concerne l’entraîneme­nt des agents du SA qui engendrera­it trop d’accidents. « Ils se croient seuls au monde, ils ne sont pas suffisamme­nt supervisés », nous dit le général à la retraite. Contactée par Le Figaro Magazine, la DGSE n’a pas voulu commenter officielle­ment les critiques formulées par le général Gomart. Mais il n’est pas faux de dire qu’elle est très contrariée. ■

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Christophe Gomart sur la base bretonne de Lanester, QG des fusiliers marins, en janvier 2013.

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