PLUS LAIDE LA VIE
★ ★★ Cinq dans tes yeux, d’Hadrien Bels, L’Iconoclaste, 304 p., 18 €.
Ils s’appelaient Nordine, Djamel, Kassim ou Ichem. Ange et Stress étaient les seuls visages pâles de cette bande d’apaches du quartier du Panier à Marseille qui tuaient le temps en éclusant des bières, en improvisant des parties de foot, en fumant du shit, en allant dans des boîtes afro ou au Vélodrome sans payer. C’était durant les années 1990, autant dire il y a un siècle. Aujourd’hui, Stress – qui vivote en photographiant des mariages – se souvient de cette époque dont il ne reste rien et voudrait réaliser un documentaire sur ses amis devenus chauffeurs de bus, agents de sécurité ou dealers. Les « Venants » (les bobos), avec leurs « têtes à sortir du Cours Florent » et leurs catalogues d’art contemporain, ont chassé les pauvres des quartiers populaires, transformés en « vitrines pour touristes », pour les reléguer en périphérie. On appelle cela « gentrification ». Place aux street artists, aux graphistes, aux programmateurs de festivals et autres parasites culturels plus ou moins subventionnés.
Ce premier roman que l’on devine autobiographique est drôle, rageur, mélancolique. Des insolences fusent (« Les cons, c’est comme les artistes, on leur trouve toujours des excuses »), les dialogues claquent, des fantômes surgissent d’un monde englouti. Hadrien Bels n’est pas le premier à entonner la complainte des amis que vent emporte, mais il le fait avec un talent assez virtuose.