LES ACHETEURS COMMENCENT À REPRENDRE LA MAIN
L’emballement qui a suivi le déconfinement touche à sa fin. L’appétit pour les maisons et la verdure reste fort, mais les prix commencent à caler çà et là et la tentation de négocier se fait de plus en plus forte.
Et si le vent commençait à tourner ? À défaut de bouleversement sur le marché immobilier, ce mois de septembre voit souffler une brise légère qui pourrait bien changer la donne dans les mois qui viennent. Jusqu’à présent, la seule certitude du secteur résidait dans le fait que 2020 se solderait par une importante baisse du nombre de transactions par rapport à 2019, recul qui pourrait atteindre 200000 unités. Et une tendance amorcée avant la crise sanitaire se renforce : les ménages les plus modestes peinent de plus en plus à concrétiser leur projet et les primo-accédants sont particulièrement touchés. Côté prix, en revanche, la suractivité des mois d’été s’est accompagnée jusqu’ici d’un maintien, voire d’une hausse des tarifs.
200 000 TRANSACTIONS PERDUES
Mais, depuis septembre, au terme de cinq années de hausse ininterrompue, le site d’évaluation immobilière MeilleursAgents entrevoit une baisse moyenne des prix de 1 % pour les 12 mois qui viennent. «Aucun effondrement des prix n’est à attendre, précise Thomas Lefebvre, son directeur scientifique. La demande, même en passe de se contracter du fait notamment de l’envolée du chômage, devrait rester soutenue grâce aux taux d’emprunt toujours bas qui ont réussi à stabiliser le pouvoir d’achat des Français. Par ailleurs, certaines villes, comme Paris, disposent encore d’un excédent de demandes capable d’absorber le choc. »
La hausse des prix dans la capitale, jusque-là inéluctable, semble devoir cesser et se maintiendra durablement sous la
barre des 11000€/m² selon MeilleursAgents (lire p. 140). Depuis quelques mois, les villes d’Île-de-France ont pris le relais et connaissent une hausse des prix plus élevée que Paris. Mais là aussi, l’euphorie semble laisser la place à un certain attentisme (lire p. 144). Quant aux métropoles régionales, qui ont longtemps tiré le marché vers le haut, elles devraient elles aussi voir leurs étiquettes de prix s’assagir (lire p. 148).
Une accalmie voire une baisse des prix qui pourrait donner raison aux rares spécialistes de l’immobilier qui ont tablé, dès le début de la crise sanitaire, sur une rapide correction des tarifs. C’est le cas d’Henry Buzy-Cazaux, président de l’Institut du management des services immobiliers. «Je suis heureux de constater qu’on entend désormais, chez certains professionnels, un discours de raison et de franchise que l’on n’entendait pas jusque-là, note-t-il. Ils lèvent les yeux et constatent le ralentissement à venir. »
Selon lui, le fait que le confinement prive, dès cette année, près de 200000 ménages de mener à bien leur projet immobilier est une très mauvaise chose. « Aujourd’hui, les plus forts, ceux qui pouvaient acheter, ont mené à bien leur projet, donc, forcément, il va y avoir quelques frottements à l’avenir. »
Une analyse que ne partage pas du tout Laurent Vimont, président de Century 21. « Nous avons connu, ces derniers mois, un dynamisme incroyable et avons enchaîné les records, souligne-t-il. Il y a eu une hausse des acquisitions à titre de résidence principale qui compensait la moindre présence des investisseurs. » À l’en croire, rien n’a changé sur le marché : « Les prix continuent à progresser et l’accès au crédit reste simple en France, bien plus favorable qu’il y a trois ou quatre ans. Ceux que le resserrement des conditions de crédit a exclus du marché, le sont depuis six mois. » Les dernières statistiques des notaires, avec des indicateurs de volumes de ventes et de prix tous orientés à la hausse, semblent lui donner raison. Mais il faut rappeler que ces chiffres s’arrêtent à fin juin et, puisqu’il s’agit des actes authentiques et non des promesses de vente, ces transactions se sont formées deux à trois mois plus tôt, juste à la sortie du confinement. Du côté du réseau Orpi, la tonalité sur le dynamisme sans faille du marché est très proche. « La rentrée se présente sur la même tendance que l’on a connue en sortie de confinement, confirme sa présidente, Christine Fumagalli. Les volumes sont en très nette hausse par rapport à septembre dernier et les prix continuent à grimper, se stabilisant à peine sur certains marchés. » Elle note aussi que les périphéries des grandes villes se montrent particulièrement attrayantes et actives. On y retrouve des acheteurs qui recherchent principalement des maisons avec jardin et se préoccupent de disposer d’une excellente connexion internet aussi bien pour télétravailler efficacement que pour les loisirs. « Parmi les attentes plus inattendues, on voit monter la recherche de luminosité et d’ensoleillement, précise Christine Fumagalli. Cette clientèle réclame une orientation ouest. » Malgré une situation encore euphorique, on reconnaît chez Orpi que l’on vit encore un «effet de traîne ». «Nous sommes très prudents et ne crions pas victoire; il faudra vraiment attendre octobre-novembre pour mesurer l’impact économique de la crise sanitaire sur l’emploi. »
LA CONSTRUCTION EST À LA PEINE
Quant à Jean-Marc Torrollion, président de la Fnaim, qui avait prévenu, dès le début de l’été, que les agents immobiliers devraient tempérer leur optimisme, il opte pour une voie moyenne. « Nous anticipons une dégradation du marché en volume avec des retours de flamme dans certains bassins d’emploi, admet-il. Mais il n’y a pas de corrélation automatique entre volumes d’activité plus faible et baisse des prix. » Selon lui, si la demande solvable baisse, les mises en vente reculent elles aussi et il est possible de trouver un nouvel équilibre. Il est vrai aussi que la caractéristique des grandes villes française, c’est que la demande de logement y est nettement plus forte que l’offre. Tout dépendra de la part des mises en vente «forcées » parmi les «5 D », qui alimentent largement le marché immobilier : divorces, décès, dettes, démographie et déménagement…
Mais s’il estime que les prix peuvent se maintenir, il n’en relève pas moins d’autres évolutions importantes du marché. « Il est désormais circonscrit à certaines catégories de Français (globalement les plus aisés, NDLR), explique-til, et avec des primo-accédants en retrait aussi bien par manque de moyens que par inquiétude quant à l’avenir. » Contrairement à d’autres, son réseau note par ailleurs un retour sensible des investisseurs. Une situation qu’il explique par le fait que la location classique s’est très bien comportée pendant la crise sanitaire et que la demande reste forte. D’autant que certains candidats à l’accession préfèrent désormais rester locataires et que la construction de logements neufs est en fort recul.
Le neuf reste le segment du marché le plus en crise. Il faut dire qu’il était déjà mal en point avant le Covid, la période précédant les élections municipales n’étant jamais favorable à l’obtention de nouveau permis de construire. Comme le rappelait récemment la Fédération française du bâtiment, les prévisions d’activité dans la construction de logements font état d’un recul du volume d’activité de près d’un quart (– 23,6 %) et les mises en vente par les promoteurs à fin juin ont reculé de 37,4 % en un an. « Le logement reste un bien essentiel, c’est un marché très résilient et plus que jamais une valeur refuge, tempère Helen Romano, directrice générale du pôle résidentiel chez Nexity. La demande est là et des investisseurs institutionnels ont pris le relais de certains investisseurs particuliers. » Pour relancer la machine, les professionnels réclamaient notamment une prorogation du dispositif Pinel au-delà de 2021, un élargissement du PTZ ainsi qu’un assouplissement des préconisations du Haut Conseil de stabilité financière (HCSF), qui empêche désormais bon nombre de ménages modestes d’accéder à la propriété. Mais le nerf de la guerre reste avant tout le permis de construire. «Avec des procédures administratives de plus en plus complexes, décrocher un permis de construire n’a jamais été aussi difficile », estime Helen Romano, qui attend toujours un assouplissement des démarches et un plus grand volontarisme des élus. ■