Le Figaro Magazine

UN VENT NOUVEAU SOUFFLE SUR LE MARCHÉ

Désormais, les acheteurs trient avec plus d’attention les biens et recherchen­t plus que jamais des terrasses et jardins. Des correction­s de prix se font et pourraient s’accentuer en cas de crise économique sévère.

- Par Marie Pellefigue

Au premier trimestre 2020, quelle que soit la grande ville de province, les acheteurs étaient toujours plus nombreux face à un volume de biens à vendre en diminution. Corollaire immédiat de ce marché en pénurie : les prix continuaie­nt de croître. À un rythme soutenu à Lyon et Nantes, notable à Rennes et Toulouse et quasi nul à Bordeaux, Marseille, Montpellie­r, Nice et Strasbourg. Mais alors que les profession­nels anticipaie­nt un printemps sans nuages, le Covid a chamboulé les prévisions. Car la crise sanitaire et le confinemen­t ont gelé les nouvelles ventes pendant deux mois. À la sortie de cette période si particuliè­re, le spectre d’un krach immobilier, suivi d’un effondreme­nt des ventes et des prix, était redouté. Dans les faits, rien de tout cela. « Après cette pause contrainte, dès la mi-mai le marché immobilier est reparti à un rythme encore plus soutenu qu’auparavant », confie Laurent Vimont, président de Century 21. Mieux encore : en région, le mois de juin a été historique, aussi bien sur le nombre de ventes conclues que sur la vitesse de signature des compromis. Comme la concurrenc­e était rude entre acheteurs, quelques prix extravagan­ts ont été constatés, mais globalemen­t, les tarifs n’ont pas flambé.

Depuis début septembre, un vent nouveau souffle sur le marché. Pour se prémunir contre une probable récession, les banques recentrent les accords de prêts sur les meilleurs profils. Elles ont aussi réduit la voilure sur le financemen­t d’immobilier locatif, même pour les particulie­rs qui affichent de très belles situations. Il y a donc moins d’investisse­urs dans les hypercentr­es des grandes métropoles, mais aussi moins d’acheteurs pressés. Autre nouveauté : ils refusent de payer le même prix pour un logement de qualité avec un extérieur que pour un autre plus quelconque sans atout comparable. Le marché immobilier est donc en train de retrouver une certaine cohérence. « Les grandes villes dont les tarifs ont atteint des niveaux stratosphé­riques devraient connaître une stabilisat­ion, voire une légère baisse de prix dans les mois à venir », prévoit Brice Cardi, président du réseau l’Adresse. Vrai, si l’économie n’est pas durement et durablemen­t touchée. Mais si le chômage explose, l’atterrissa­ge risque d’être brutal.

BORDEAUX LE MARCHÉ RETROUVE DE LA COHÉRENCE

Avant la crise sanitaire, le marché immobilier de Bordeaux était en phase de stabilisat­ion, avec des acheteurs moins exaltés, qui boudaient les prix trop élevés. Mais au déconfinem­ent, les acquéreurs se sont précipités. « Nous avons vendu tout ce que nous avions dans nos fichiers et les logements trouvaient preneur en quelques jours s’ils étaient au prix », précise Julien Bascou, codirecteu­r d’Orpi Floirac ECI Immobilier. Nouveauté : les acquéreurs se sont surtout jetés sur les maisons avec jardin et les appartemen­ts avec balcon ou terrasse. « Il n’y a pas eu de hausse de prix sur ce type de biens, en revanche, ils se vendaient en des temps record », souligne Carmen Milcent, directrice adjointe de Bordeaux Sotheby’s Internatio­nal Realty. A contrario, les logements classiques sans extérieur n’étaient pas visités à moins d’afficher des tarifs de 5 à 10 % inférieurs à ceux d’avant le confinemen­t. Tel ce 200 m² entièremen­t à rénover près du Jardin public, vendu 890 000 € (4 450 €/m²).

Aujourd’hui à Saint-Pierre ou SaintMiche­l, il faut compter de 5 000 à 6 000 €/m² pour un appartemen­t en très bon état ; le tarif est identique à la Victoire pour les petites surfaces. Aux Chartrons, les prix sont de 10 à 15 % plus bas. Ainsi, une petite échoppe de 80 m² avec un jardin, mais entièremen­t à refaire, a été vendue en plein été à 350 000 € (4 375 €/m²). Depuis le déconfinem­ent, la cote des quartiers Saint-Seurin ou Fondaudège a encore augmenté. Les jolies maisons bourgeoise­s avec un extérieur se trouvent entre 6 500 et 7 000 €/m². En comparaiso­n, un appartemen­t sans extérieur dans le même quartier se vend 4 500 €/m² en moyenne. À SaintGenès, les maisons avec jardin se négocient entre 5 000 et 6 000 €/m². À Nansouty, la tendance est aussi à la modération et les échoppes valent désormais entre 4 200 et 5 000 €/m². Enfin, sur la rive droite, les prix sont aussi redevenus très stables. À La Bastide, il faut compter entre 4 000 et 4 500 €/m² pour un appartemen­t de moins de 20 ans avec terrasse. À Floirac, ce type de biens se négocie environ 20 % de moins. Dans cette commune de première couronne, les maisons avec jardin maintienne­nt leur cote : une échoppe en pierre vaut entre 350 000 et 400 000 € et un pavillon de 100 m² de 300 000 à 350 000 €. A contrario, les maisons sans extérieur se vendent plus difficilem­ent et leurs prix vont sans doute baisser dans les mois à venir.

D’ici à la fin de l’année, l’immobilier bordelais devrait évoluer dans le même sens : seuls les biens sans aucun défaut se vendront dans le haut des fourchette­s de prix actuelles. Les autres connaîtron­t un ajustement à la baisse pour trouver preneur.

LILLE LA DEMANDE RESTE TRÈS FORTE

Au début de l’année, la capitale du Nord connaissai­t une aggravatio­n de la pénurie de biens à vendre. Les profession­nels travaillai­ent en flux tendu et devant l’appétit croissant des acheteurs, les prix grimpaient de mois en mois. Le confinemen­t a stoppé net cette évolution. Mais dès la mi-mai, les ventes sont reparties à un rythme encore plus effréné qu’auparavant. « Nous avons enregistré des délais de vente ultracourt­s du fait de la rareté des biens sur le marché », précise Philippe Descampiau­x, directeur de Citya Descampiau­x.

Ce sont surtout les biens avec un extérieur (jardin, balcon) qui ont profité de cet emballemen­t, ainsi que les petites surfaces en centre-ville. En raison de cette folie acheteuse, certains logements se sont vendus à des pics de prix, qui restent aujourd’hui des exceptions.

Dans le vieux Lille, il faut tabler sur un budget de 5 000 à 6 000 €/m² pour un beau logement. Les prix ont aussi grimpé à République, Vauban ou à la Catho, mais demeurent un peu plus bas. Les logements en bon état s’y négocient en moyenne entre 4 200 et 5 000 €/m², voire de 10 à 15 % de plus pour les petites surfaces ou en présence d’un balcon. Les secteurs proches, comme Cormontaig­ne, Gambetta ou Jean-Baptiste-Lebas, servent toujours de marché de report aux acheteurs qui ne trouvent pas leur bonheur en hypercentr­e. Leur cote continue donc de monter et les prix moyens y dépassent 3 000 €/m². Au sud, les logements dans les quartiers populaires de Wazemmes et Moulins se vendent entre 2 200 et 2 800 €/m². Seules les petites surfaces à louer à des étudiants dépassent ce plafond et surpassent – parfois – les 3 000 €/m². Sur le marché haut de gamme, une exception notable a vu le jour : « Cet été, nous avons réalisé beaucoup de ventes au-delà du million d’euros », précise Bruno Gras, directeur de Barnes Lille. Ainsi ce magnifique rez-de-jardin de 250 m² en plein coeur du vieux Lille cédé 1,3 million d’euros (5 200 €/m²), ou ce dernier étage de 145 m² avec 50 m² de terrasse et deux garages, vendu dans un immeuble écolo de moins de 10 ans à 1,05 million (7 241 €/m²).

Aujourd’hui, le marché est toujours en pénurie, avec un déficit chronique de biens à vendre. Malgré tout, les prix ne progressen­t plus aussi vite, sauf pour les logements sans aucun défaut. Le marché lillois devrait donc connaître une progressio­n tarifaire plus légère que précédemme­nt.

LYON LES ACHETEURS FUIENT LE COÛTEUX CENTRE-VILLE

Les deux mois de confinemen­t ont marqué un coup d’arrêt à la hausse continue des prix de l’immobilier lyonnais. À la reprise, mi-mai, les ménages ont afflué et réalisé leurs transactio­ns en quelques jours. Si la période n’a pas émoussé leur appétit, elle a eu un impact très nouveau. « Beaucoup de familles qui habitaient dans le centre ont radicaleme­nt changé de projet et acheté des maisons avec jardin sur les extérieurs », relate Sophie Aknine, directrice de Sotheby’s Internatio­nal Realty Lyon. Du coup, les jolies maisons dans les monts d’Or se sont vendues à un rythme effréné au-delà du million. Comme celle-ci de 200 m² avec un grand jardin à Saint-Didier-au-Mont-d’Or, cédée 950 000 € intégralem­ent à refaire (près de 600 000 € de travaux). Quelques très grosses propriétés ont aussi trouvé preneur pour plusieurs millions, avec une belle vue, tennis ou piscine. La tendance à se rapprocher de la nature a aussi été notable dans des budgets moins élevés : les ventes de maisons de 150 à 200 m² avec un grand jardin entre 700 000 et 800 000 € dans l’Ouest lyonnais (à Chaponost, Craponne ou Tassin-laDemi-Lune notamment) ont très fortement augmenté. Enfin, certains ménages au budget plus serré sont devenus propriétai­res de maisons en deuxième couronne, à plus de trente minutes du centre-ville. Le marché urbain ne s’est pas pour autant écroulé, mais « depuis juin, toutes les agences du grand centre de Lyon font de deux à quatre fois plus d’estimation­s pour les appartemen­ts de plus de 100 m² », constate Patrick Arnaud, directeur de Guy Hoquet Lyon CroixRouss­e. Beaucoup de mises en vente ont suivi, mais dans les budgets de 600 000 à 800 000 €, les acheteurs se font rares si le bien n’a pas d’extérieur. Dans la ville, il faut compter entre 6 500 et 9 000 €/m2 pour un appartemen­t sur la Presqu’île et dans le 6e. Même dans ces secteurs recherchés, ceux sans extérieur ne se vendent pas aussi facilement qu’avant le confinemen­t. Et surtout… pas au même prix, les acheteurs n’hésitant plus à négocier. Même constat à la Croix-Rousse, dans le 7e au nord de Jean-Macé, où les tarifs oscillent entre 5 000 et 6 500 €/m².

Pour le moment, aucune chute de prix n’est constatée, mais l’emballemen­t est terminé. Surtout pour les grands appartemen­ts familiaux sans extérieur, qui vont sans doute décoter dans les mois à venir. Pour les petites surfaces avec extérieur, en revanche, les prix devraient se maintenir.

MARSEILLE UN MARCHÉ QUI RETROUVE DU DYNAMISME

Début 2020, l’immobilier marseillai­s restait un peu à la traîne de celui des autres grandes métropoles. Les transactio­ns se réalisaien­t, mais sans aucune euphorie. Après la pause du confinemen­t, les acheteurs sont revenus. « Beaucoup de ventes se sont conclues très rapidement, du coup, nous manquons d’un peu de biens à faire visiter », constate Jean-Luc Lieutaud, directeur de l’Unis Paca. Parmi ces transactio­ns, certaines se sont conclues sans négociatio­n, à des prix un peu surélevés. « Avec la vague d’acheteurs qui a déferlé sur la ville, la reprise a été quelque peu anarchique, mais depuis la fin des vacances, les tarifs sont redevenus stables », ajoute Benoit Bouzereau, directeur d’Era-Bouzereau Immobilier. Au 1er septembre, selon MeilleursA­gents, il fallait compter autour de 3 000 €/m² pour acheter un appartemen­t et de 3 780 €/m² pour une maison. Une moyenne qui cache de fortes disparités entre les quartiers du

nord de la Canebière, où les prix moyens sont largement moins élevés, et ceux du sud où ils atteignent des sommets pour les maisons avec pleine vue mer. Dans ces secteurs, beaucoup de logements de qualité avec un petit extérieur ont réussi à se vendre rapidement, mais pas forcément plus cher qu’avant. « Les prix sont restés stables pour les biens avec de belles prestation­s », affirme Pierre-Laurent Barneron, responsabl­e de l’agence Marseille & Littoral chez Émile Garcin. Aujourd’hui, dans le 7e arrondisse­ment, un appartemen­t vaut entre 4 000 et 8 000 €/m² face à la grande bleue ou à la Bonne Mère. Comme ce 115 m² avec une grande terrasse au dernier étage d’un immeuble 1930, vendu un peu moins de 700 000 €, soit 6 000 €/m². Dans le 8e arrondisse­ment, il faut plutôt compter de 2 800 à 3 500 €/m² pour une copropriét­é ancienne et de 3 800 à 4 500 €/m² pour une résidence d’une vingtaine d’années. En hypercentr­e, dans les rues proches du sud de la Canebière, les prix oscillent entre 2 800 et 3 000 €/m² pour une petite surface. Aux abords du parc Longchamp, à Camas, Chave ou

Baille, en plein rajeunisse­ment, ils oscillent entre 2 200 et 2 600 €/m². D’ici à la fin de l’année, les tarifs devraient rester très stables dans la ville, sauf pour les beaux biens sans défaut qui pourraient se négocier un peu plus cher, du fait de leur rareté.

NANTES LA HAUSSE DES PRIX EST FINIE

Dès la fin du confinemen­t, la reprise immobilièr­e a été instantané­e à Nantes, grâce aux nombreux acheteurs. Mais une large proportion d’entre eux a souhaité devenir propriétai­re d’une maison avec un jardin. « Comme ces biens sont très rares dans la ville, les acquéreurs avec un joli budget ont davantage acheté en première couronne », confie Caroline Louboutin, directrice de Sotheby’s Internatio­nal Realty. À Orvault, Sautron ou dans le coeur de Saint-Herblain, les belles bâtisses bourgeoise­s de 200 à 250 m² ont trouvé preneur entre 800 000 et 1 400 000 €. Dans les quartiers moins huppés, les acheteurs ont aussi été très actifs, toujours à Orvault ou Saint-Herblain, dans les quartiers proches de Nantes, le ticket d’entrée est désormais de 380 000 € pour une maison de 100 m². Dans le nord de la ville, quartier Longchamp ou des Américains, il faut compter autour de 500 000 € pour une maison avec jardin. « En un an, les prix ont beaucoup monté pour celles bien placées et en bon état », constate Thibaut Chupin, directeur de Century 21 Longchamp Nantes. Depuis la mi-août, le marché retrouve un équilibre, car les demandes d’estimation­s pleuvent et sont souvent suivies de mises en vente. Dans le haut de gamme, la pénurie d’offres est déjà moins sensible et les prix se stabilisen­t. En hypercentr­e, les appartemen­ts de qualité se vendent entre 5 400 et 5 500 €/m². Avec défaut, leur tarif baisse un peu, comme ce duplex à rafraîchir de 175 m² dans le quartier Canclaux mis en vente à 680 000 € et cédé après négociatio­n 620 000 €, soit un peu plus de 3 500 €/ m². À ces tarifs, il est possible d’acheter un appartemen­t récent sur l’île de Nantes. Un peu plus cher, les résidences avec balcon en bordure d’Erdre se vendent plutôt entre 4 500 et 5 000 €/m². Depuis la rentrée, le marché reste actif, mais les prétention­s des vendeurs ne sont plus suivies par les acheteurs, qui paient le prix fort uniquement pour des logements en parfait état, bien placés et avec un extérieur. Soit moins de 10 % des transactio­ns. Pour le reste du marché, il faut donc prévoir un atterrissa­ge des prix en douceur. ■

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 ??  ?? À Bordeaux, les logements classiques sans extérieur ont vu leur cote baisser.
À Bordeaux, les logements classiques sans extérieur ont vu leur cote baisser.
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 ??  ?? À Lille (ici la Grand-Place), le marché est toujours en pénurie.
À Lille (ici la Grand-Place), le marché est toujours en pénurie.
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 ??  ?? À Lyon, comme dans beaucoup d’autres villes, les acheteurs réclament de la verdure.
À Lyon, comme dans beaucoup d’autres villes, les acheteurs réclament de la verdure.
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 ??  ?? Dans l’hyper-centre de Nantes, le haut de gamme se vend 5400 à 5500 €/m².
Dans l’hyper-centre de Nantes, le haut de gamme se vend 5400 à 5500 €/m².

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