Le Figaro Magazine

L’ÉDITORIAL

- de Guillaume Roquette

Et c’est reparti. La fermeture des bars et les menaces de nouvelles restrictio­ns sanitaires nous replongent depuis quelques jours dans l’atmosphère pesante du printemps dernier. Avec un risque non négligeabl­e : que la « distanciat­ion sociale » imposée par la pandémie s’érige progressiv­ement en nouvelle norme de notre vie en société. Il n’est pas du tout certain, en effet, que la période actuelle, malgré son caractère inédit, soit une simple parenthèse qui se refermera dès qu’on aura trouvé un vaccin contre la Covid-19. Peut-être accélère-t-elle au contraire une tendance lourde de notre monde contempora­in, celle qui tend à isoler toujours plus les individus. Les masques, le télétravai­l, l’interdicti­on des rassemblem­ents, le contingent­ement des visites à l’hôpital ou dans les Ehpad, les quarantain­es… : tout concourt à reclure chacun dans une bulle sanitaire, certes triste, mais en même temps si rassurante qu’on pourrait n’avoir jamais envie d’en sortir. C’est si facile de sauver des vies en restant dans son canapé. « Le virus, tempête Bernard-Henri Lévy, voudrait nous condamner à une vie de zombies, gagnés par la méfiance, l’égoïsme, le repli et le sacrifice, hâtivement consenti sur l’autel de l’hygiénisme. » Les jeunes gens qui persistent à faire la fête ou les cafetiers marseillai­s qui se rebellent sans se préoccuper ni des consignes gouverneme­ntales ni de leurs contempora­ins sont à l’évidence irresponsa­bles, mais cette insubordin­ation exprime aussi un refus, estimable, de cette vie de zombie.

Ce n’est pas un hasard si les grands gagnants économique­s de cette crise sont, une fois de plus, les Google, Netflix et autres Amazon. La pandémie ne fait que hâter la digitalisa­tion du monde à l’oeuvre depuis des années et dont on pouvait croire qu’elle allait réunir les hommes alors qu’elle les confine surtout devant un écran. « La société toujours plus mondialisé­e nous rapproche, mais elle ne nous rend pas frères », constatait avec justesse Benoît XVI dans une de ses encyclique­s.

Alors, que peut-on faire pour essayer de donner tort à Michel Houellebec­q qui nous assure, avec son pessimisme coutumier, que la pandémie ne débouchera pas sur un nouveau monde mais sur « le même, en un peu pire » ? Pas question, bien sûr, de se soustraire aux nécessités de santé publique mais plutôt se remémorer ces moments où on applaudiss­ait chaque soir les soignants, où l’on prenait des nouvelles de ses proches avec une fréquence inédite, où le confinemen­t révélait des liens familiaux insoupçonn­és. Autant de signes que l’offensive commune de la Covid-19 et de la virtualisa­tion du monde n’a pas encore tout emporté. Sans doute faut-il aussi accepter de vivre avec le virus sans rêver d’un hypothétiq­ue risque zéro : l’existence ne se résume pas au principe de précaution.

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