LES CLÉS POUR COMPRENDRE
Terre arménienne depuis plus de vingt siècles, couverte de lieux de culte chrétiens, la « République d’Artsakh » refuse d’être intégrée à l’Azerbaïdjan turcophone et musulman.
1LE BERCEAU
DE L’IDENTITÉ ARMÉNIENNE
D’un point de vue du droit international actuel, la région montagneuse du HautKarabagh, au sud des monts du Caucase, appartient à l’Azerbaïdjan. Elle n’en est pas moins arménienne par son histoire, sa culture et son peuplement. Comme les environs du lac de Van (actuelle Turquie) ou du lac Sevan, elle a vu, plusieurs siècles avant Jésus-Christ, s’installer sur son territoire actuel (au nord-ouest de l’Iran et au nord-est de la Turquie) des membres de la tribu des Haïks
(le nom ancestral des Arméniens). La ville de Tigranakert, par exemple, fut fondée au Ier siècle avant notre ère en l’honneur du roi d’Arménie Tigrane Ier.
Par sa situation topographique – un carrefour entre plusieurs hauts plateaux –, le Haut-Karabagh a subi, au même titre que la région d’Erevan, capitale actuelle de l’Arménie, les invasions assyriennes, scythes, mèdes, babyloniennes, parthes, perses, romaines, arabes, turques, mongoles, russes… C’est dans sa résistance, parfois héroïque, à ces envahisseurs que s’est forgée l’identité arménienne. Pour les Arméniens, le HautKarabagh, souvent premier rempart face aux ennemis venant d’Asie, est l’équivalent du Kosovo pour les Serbes : son berceau historique. D’où la détermination du peuple arménien tout entier à le défendre.
2UN RATTACHEMENT ARTIFICIEL À L’AZERBAÏDJAN Intégré à la Russie, qui a réussi à l’arracher à la domination perse au début du XIXe siècle, le Haut-Karabagh se retrouve artificiellement rattaché en 1921, par décision de Staline, à la république soviétique d’Azerbaïdjan, alors que son peuplement est à plus de 90 % arménien. Tout juste obtient-il un statut d’autonomie, dont on sait l’importance très relative en URSS… La région se soulève contre Bakou au moment de la perestroïka, à la fin des années 1980, et réclame de rejoindre le giron de l’Arménie. Réprimé avec une violence meurtrière, le mouvement séparatiste prend une dimension nouvelle avec la chute de l’URSS en 1991. La région proclame son indépendance, que lui refuse l’Azerbaïdjan. Éclate un conflit faisant plusieurs dizaines de milliers de morts, entre sécessionnistes arméniens soutenus par Erevan et armée azérie. À son issue, en 1994, le Haut-Karabagh se proclame république indépendante (non reconnue par les instances internationales) et devient de facto une enclave arménienne en territoire azerbaïdjanais. Il prend en 2017 le nom de « République d’Artsakh » avec pour capitale Stepanakert (bombardée depuis une semaine par l’artillerie et les drones azéris).
3UN CONFLIT
AUX SOUBASSEMENTS RELIGIEUX
Conflit géopolitique mettant en jeu les influences diplomatiques de la Russie, de la Turquie et de l’Iran, conflit interethnique donnant à s’affronter deux nationalismes bruyants, la nouvelle guerre du Haut-Karabagh possède aussi une incontestable dimension religieuse. Les Arméniens n’ont survécu aux tragédies durant près de vingt siècles que grâce à leur langue (et leur alphabet) et surtout leur foi chrétienne (distincte de ses soeurs catholique et orthodoxe). Elle aura été leur malheur et leur bouée de sauvetage : c’est à cause d’elle qu’ils subirent les persécutions romaines, zoroastriennes, musulmanes et ottomanes ; c’est à elle qu’ils doivent de ne pas avoir disparu.
En envoyant, à l’assaut des villages abritant parmi les plus anciennes églises arméniennes, il y a 30 ans des moudjahidins afghans et tchétchènes, aujourd’hui des mercenaires syriens en provenance des zones djihadistes de Syrie, les Azéris soufflent à dessein sur des braises religieuses.
Sur consigne d’Erdogan, assurent les autorités arméniennes qui voient en lui l’héritier naturel des génocidaires turcs de 1915. Ce qui ne fait que rajouter à leur esprit de résistance…