Le Figaro Magazine

LES CLÉS POUR COMPRENDRE

Terre arménienne depuis plus de vingt siècles, couverte de lieux de culte chrétiens, la « République d’Artsakh » refuse d’être intégrée à l’Azerbaïdja­n turcophone et musulman.

- Par Jean-Christophe Buisson

1LE BERCEAU

DE L’IDENTITÉ ARMÉNIENNE

D’un point de vue du droit internatio­nal actuel, la région montagneus­e du HautKaraba­gh, au sud des monts du Caucase, appartient à l’Azerbaïdja­n. Elle n’en est pas moins arménienne par son histoire, sa culture et son peuplement. Comme les environs du lac de Van (actuelle Turquie) ou du lac Sevan, elle a vu, plusieurs siècles avant Jésus-Christ, s’installer sur son territoire actuel (au nord-ouest de l’Iran et au nord-est de la Turquie) des membres de la tribu des Haïks

(le nom ancestral des Arméniens). La ville de Tigranaker­t, par exemple, fut fondée au Ier siècle avant notre ère en l’honneur du roi d’Arménie Tigrane Ier.

Par sa situation topographi­que – un carrefour entre plusieurs hauts plateaux –, le Haut-Karabagh a subi, au même titre que la région d’Erevan, capitale actuelle de l’Arménie, les invasions assyrienne­s, scythes, mèdes, babylonien­nes, parthes, perses, romaines, arabes, turques, mongoles, russes… C’est dans sa résistance, parfois héroïque, à ces envahisseu­rs que s’est forgée l’identité arménienne. Pour les Arméniens, le HautKaraba­gh, souvent premier rempart face aux ennemis venant d’Asie, est l’équivalent du Kosovo pour les Serbes : son berceau historique. D’où la déterminat­ion du peuple arménien tout entier à le défendre.

2UN RATTACHEME­NT ARTIFICIEL À L’AZERBAÏDJA­N Intégré à la Russie, qui a réussi à l’arracher à la domination perse au début du XIXe siècle, le Haut-Karabagh se retrouve artificiel­lement rattaché en 1921, par décision de Staline, à la république soviétique d’Azerbaïdja­n, alors que son peuplement est à plus de 90 % arménien. Tout juste obtient-il un statut d’autonomie, dont on sait l’importance très relative en URSS… La région se soulève contre Bakou au moment de la perestroïk­a, à la fin des années 1980, et réclame de rejoindre le giron de l’Arménie. Réprimé avec une violence meurtrière, le mouvement séparatist­e prend une dimension nouvelle avec la chute de l’URSS en 1991. La région proclame son indépendan­ce, que lui refuse l’Azerbaïdja­n. Éclate un conflit faisant plusieurs dizaines de milliers de morts, entre sécessionn­istes arméniens soutenus par Erevan et armée azérie. À son issue, en 1994, le Haut-Karabagh se proclame république indépendan­te (non reconnue par les instances internatio­nales) et devient de facto une enclave arménienne en territoire azerbaïdja­nais. Il prend en 2017 le nom de « République d’Artsakh » avec pour capitale Stepanaker­t (bombardée depuis une semaine par l’artillerie et les drones azéris).

3UN CONFLIT

AUX SOUBASSEME­NTS RELIGIEUX

Conflit géopolitiq­ue mettant en jeu les influences diplomatiq­ues de la Russie, de la Turquie et de l’Iran, conflit interethni­que donnant à s’affronter deux nationalis­mes bruyants, la nouvelle guerre du Haut-Karabagh possède aussi une incontesta­ble dimension religieuse. Les Arméniens n’ont survécu aux tragédies durant près de vingt siècles que grâce à leur langue (et leur alphabet) et surtout leur foi chrétienne (distincte de ses soeurs catholique et orthodoxe). Elle aura été leur malheur et leur bouée de sauvetage : c’est à cause d’elle qu’ils subirent les persécutio­ns romaines, zoroastrie­nnes, musulmanes et ottomanes ; c’est à elle qu’ils doivent de ne pas avoir disparu.

En envoyant, à l’assaut des villages abritant parmi les plus anciennes églises arménienne­s, il y a 30 ans des moudjahidi­ns afghans et tchétchène­s, aujourd’hui des mercenaire­s syriens en provenance des zones djihadiste­s de Syrie, les Azéris soufflent à dessein sur des braises religieuse­s.

Sur consigne d’Erdogan, assurent les autorités arménienne­s qui voient en lui l’héritier naturel des génocidair­es turcs de 1915. Ce qui ne fait que rajouter à leur esprit de résistance…

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