PLASTIQUE, L’INQUIÉTANTE INVASION
Société
Nathalie Gontard publie un livre sur le plastique.
Cette ingénieure de l’Inrae * s’est spécialisée dans ce matériau qui conditionne toute notre vie quotidienne depuis cinquante ans. Mais à l’époque, personne ne s’inquiétait de l’amoncellement des déchets plastiques. Aujourd’hui la recherche et les industriels sont en ébullition.
De quand datent les premiers objets en plastique ?
Il faut attendre les découvertes de Karl Ziegler et Giulio Natta au début des années 1950. Cela leur vaudra le prix Nobel en 1963. Grâce à leur géniale trouvaille, on va pouvoir fabriquer, pour la première fois dans l’histoire humaine, un matériau qui résulte d’une synthèse entièrement artificielle. Cette invention extraordinaire ouvre une irrésistible boîte à malice : voilà un matériau léger, résistant ou souple, un excellent conservateur pour la nourriture, un bouclier contre le froid dans nos maisons, un réducteur du poids de nos véhicules… et qui ne coûte pas cher !, ce qui lui permettra de devenir jetable et de nous faire économiser du temps. Comme dans les contes de fées, il y a toujours une mise en garde dont le héros ne tient pas compte. Personne n’a pensé que le plastique poserait un problème après avoir été utilisé…
Les chimistes manipulaient des molécules, les industriels les utilisaient en série, les éboueurs entassaient leurs déchets dans des décharges. Les rôles de chacun étaient cloisonnés. Et ce matériau nouveau, au début, n’est pas produit en des quantités inquiétantes. Comment imaginer que le plastique se comporte différemment de toutes les matières auxquelles nous avons recours et qui sont faites pour réintégrer spontanément les cycles biogéochimiques naturels ? Le bois et le papier sont digérés par les micro-organismes, le verre et le métal se dissolvent, mais le plastique se fragmente et persiste.
Mais très vite l’humanité est devenue accro. Aujourd’hui, c’est une boulimie.
Aujourd’hui, nous avons déjà en stock 13 milliards de tonnes de déchets plastiques dispersés dans le monde. En 2050, ce sera 30 milliards, une quantité astronomique !
Et puis, vous le racontez, il y a eu, chez certains, le début d’un mauvais pressentiment.
Ce sont d’abord les effets à long terme, sur la santé, des additifs des plastiques, comme perturbateurs endocriniens, qui commence à inquiéter. Plus tard, nous avons pris conscience que le risque majeur du plastique ne réside pas dans l’émission de CO2, mais dans sa capacité à générer une pollution incontrôlable aux micro et nanoparticules sur plusieurs siècles.
Vous avez vécu deux alertes…
Oui, en Guadeloupe, où j’avais été invitée dans les années 1990 par des producteurs de bananes qui utilisaient des films plastiques pour accélérer la croissance des régimes de bananes et éliminer les mauvaises herbes sur les sols. Mais la persistance des plastiques usagés dans les sols leur posait un grave problème. Ils étaient intéressés par une matière biodégradable que je cherchais à mettre au
point. Je n’ai pas pu les aider, car j’en étais aux balbutiements, et nous y travaillons toujours.
Vous nous apprenez en effet qu’on n’a pas encore trouvé la martingale…
Non ! Tous les plastiques non biodégradables finiront un jour en micro et nanoparticules, ils sont présents partout et déjà absorbés par les organismes vivants avec des conséquences sanitaires difficiles à mesurer. En plus, le plastique est une éponge pour les polluants qu’il rencontre sur son chemin et qu’il transporte ensuite.
Vous racontez aussi comment vous avez failli vous étouffer avec du plastique…
Il s’agissait de films plastiques qui étaient programmés pour disparaître rapidement de notre vue en se transformant en petites particules. Mon bureau en a été envahi un jour d’été, et je n’ai plus pu respirer. Les plastiques oxodégradables ont depuis été interdits. Leur seule vertu aura été de nous offrir un avant-goût de ce qui nous attend.
Il y a en ce moment une tendance à dénigrer le recyclage, faut-il ne pas y croire ?
En partie, oui. Car il n’y a pas un plastique, mais une multitude de plastiques, et donc une multitude de problèmes à résoudre. Certains peuvent être « décyclés » – je préfère ce mot – et utilisés à la place de plastiques vierges, et c’est une bonne chose. Mais cela reste une part minime de la masse des polymères, qui ne doit pas servir à créer de nouvelles formes de stockage de nos déchets par exemple en remplaçant le bois de construction ou le coton de nos textiles, par du plastique « décyclé ».
Le tri sélectif est-il lui aussi une fausse piste ?
Le tri du plastique est un vrai cassetête. La plupart terminent dans des décharges.
Y a-t-il des stations d’enfouissements qui peuvent nous protéger du risque de décomposition du plastique ?
On manque de recherches sérieuses sur la vie de ces plastiques enfouis. Ils sont aujourd’hui empilés dans des fosses qui sont tapissées de bâches géotextiles, elles aussi en polymères. Leur dispersion dans nos sous-sols, nos eaux souterraines, ne sera pas une bonne nouvelle, car elle sera irréversible.
Vous préférez l’incinération ?
C’est le choix qu’ont fait certains pays d’Europe du Nord comme la Norvège.
Elle met fin au risque de pollution des micro et nanoplastiques, mais elle émet d’autres polluants et des gaz à effet de serre dans l’atmosphère.
Que faire ?
Être catastrophiste ne sert à rien. Il faut regarder la réalité en face et comprendre l’utilité des plastiques, tout en mesurant bien le prix que nous aurons à payer en termes de dégradation de notre environnement et de notre santé. Ce qui nous permettra de limiter nos usages au plastique vraiment indispensable.
Quel est le critère de l’indispensable ?
Le plastique indispensable est celui que l’on utilise en connaissance de cause, dont on connaît et on accepte les risques sur notre santé et notre environnement car on ne sait pas s’en passer. Nous nous passons aujourd’hui des sacs de caisse en plastique, il en ira bientôt de même pour les bouteilles d’eau, les gobelets, etc. Cela suppose d’adopter de nouvelles habitudes comme celles de laver son sac en coton ou sa bouteille en verre, ou encore d’accepter des matériaux différents comme certains plastiques biodégradables qui sont moins transparents, moins « vendeurs ».
“Être catastrophiste ne sert à rien, il faut que nous apprenions à limiter
notre usage au plastique vraiment indispensable”
Les normes internationales évoluentelles dans ce sens ?
Je suis régulièrement en contact avec la Commission européenne. Ils prennent lentement conscience des enjeux sur le long terme, malgré la pression des lobbys qui restent focalisés sur des intérêts économiques de court terme. Il y a toujours le rêve d’un plastique magique qui permettrait de dépasser le dilemme de l’économie ou l’écologie. Je pense que l’étendue du problème est telle que les nombreuses solutions actuellement proposées doivent être considérées comme autant de cordes à notre arc antipollution plastique. La solution peut-elle être nationale ?
Non, car les déchets n’ont pas de frontières. L’Europe a les moyens de mener cette bataille. Il faut une coordination internationale pour que la gestion de tous les déchets persistants soit prise en charge par les pays qui en sont à l’origine. La Chine et d’autres pays asiatiques ont déjà refusé d’être les poubelles du monde. On ne peut pas continuer à transformer certains pays pauvres en décharges publiques des pays les plus riches.
Peut-on parier dans la transformation des plastiques en carburant ?
C’est une piste séduisante en tout cas, car il s’agit de ramener le plastique à son état initial d’hydrocarbure. Mais on ne peut le faire qu’avec une matière en bon état et certains types de polymères uniquement. Encore une fois, il ne s’agit pas d’une solution miracle mais d’un élément possible de réponse. Ironisez-vous sur les initiatives de ramassage des déchets, notamment en Méditerranée ou dans le Pacifique…
Ce sont de belles idées qui permettent de sensibiliser le grand public. Mais c’est vider l’océan avec une petite cuillère. On serait plus efficace en s’attaquant à la racine du problème. L’urgence est de réduire notre consommation de plastiques vierges. Cela veut dire que nous devons accepter de changer notre manière de consommer et donc de vivre.
Par exemple ?
Nous commençons à prendre conscience qu’accumuler des biens matériels peut nuire à notre bien-être et que la modernité, ce n’est plus seulement de multiplier les inventions, mais d’être aussi capable d’anticiper leurs conséquences sur le long terme. Je propose à la fin du livre un petit récit de science-fiction sur l’ère postpétroplastique qui nous offre une nouvelle modernité. Le consommateur dispose d’indicateurs tricolores signalant sans équivoque les bénéfices et les risques à long terme des produits à la vente. L’Europe a mis en place un système de régulation du lobbying ainsi qu’un groupe d’experts internationaux sur la pollution plastique. Les stations d’enfouissement sont devenues les nouveaux gisements pour la production de carburants et de matériaux. La pollution aux micro et nanoplastiques fait l’objet d’une surveillance et d’une information permanentes. La liste est longue ! ■
Inrae : Institut de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement.
“On ne peut pas continuer à transformer certains pays pauvres
en décharges publiques des pays les plus riches”