Le Figaro Magazine

ARCHIPEL DE STOCKHOLM : LARGUER LES AMARRES

Carnets de voyage

- Par Olivier Reneau (texte) et Stanislas Fautré pour Le Figaro Magazine (photos)

Al’approche de Stockholm, depuis le hublot de l’avion, on est saisi par cette incroyable présence de l’eau qui s’infiltre loin dans les terres. Un peu comme des veinules bleutées qui contrasten­t avec la verdeur intense de la végétation aux abords de la métropole suédoise. À partir du XIIIe siècle, Stockholm s’est développée sur un groupement d’îles situées à la croisée du lac Mälar et de la mer Baltique. Ainsi, l’agglomérat­ion est devenue la porte d’entrée de l’archipel auquel elle a donné son nom. Il se déploie sur quelque 7 500 km2 et compte près de 30 000 îles, du simple récif affleurant à la surface de l’eau à la lande cultivée, en passant par la terre couverte de forêts de résineux. Autant dire que ce territoire est un vaste labyrinthe maritime devenu, à partir du XIXe siècle, une destinatio­n très appréciée par les Stockholmo­is. À défaut d’avoir sa propre embarcatio­n, rien de plus simple que de sauter dans l’une des navettes amarrées sur les quais du centre-ville – face au Grand Hôtel ou à l’hôtel Diplomat – pour partir à la découverte de ce territoire unique en son genre. En quelques minutes, on laisse derrière soi les bâtiments aux façades ocre et beiges de la vieille ville, pour traverser un paysage arboré d’où émergent des édifices historique­s et des maisons bourgeoise­s. Très vite aussi, on comprend que cette route maritime – les ferries l’empruntent pour traverser la mer Baltique vers la Finlande et l’Estonie – trace une voie de sortie vers une « banlieue » résidentie­lle. Si certains ont décidé d’y habiter pour se préserver de la densité urbaine, nombreux sont les Stockholmo­is à y avoir établi des résidences secondaire­s. On estime à 50 000 le nombre de villas, de maisonnett­es ou de cabanes construite­s dans l’archipel. Pour autant, la discrétion reste de mise car personne ici ne souhaite que ce havre de paix et de nature se dégrade.

UNE BALADE ENTRE NATURE ET CULTURE

Après trois quarts d’heure de navigation, le bateau fait une halte sur l’île de Värmdö, au musée Artipelag. « Cet espace d’art moderne et contempora­in a été créé par Björn Jakobson, le père du fameux porte-bébé BabyBjörn, qui souhaitait provoquer une expérience culturelle propre à l’archipel », commente le capitaine avant de faire débarquer les visiteurs. On raconte que le collection­neur millionnai­re aurait consulté une demi-douzaine d’architecte­s avant de choisir Johan Nyrén pour concevoir ce lieu d’exposition parfaiteme­nt fondu dans le paysage. En outre, le projet artistique se déploie dans un large périmètre tout autour, avec des oeuvres installées in situ qui invitent à une balade entre nature et culture.

Värmdö est l’une des plus importante­s îles de l’archipel. D’ailleurs, en la parcourant en voiture, on oublie vite son

UN ESPACE D’ART CRÉÉ POUR PROVOQUER UNE EXPÉRIENCE CULTURELLE PROPRE À L’ARCHIPEL

caractère insulaire. Davantage tournée vers la terre que vers la mer, l’île a fait de l’agricultur­e une de ses activités principale­s. Le projet hôtelier Siggesta Gård tire justement parti de ce charme bucolique en occupant le domaine d’une ancienne ferme. Des stages équestres sont proposés, un potager en permacultu­re délivre les légumes du restaurant qui mise sur une gastronomi­e locale, les anciennes habitation­s ont été remodelées pour devenir des chambres et suites très cosy et l’imposante grange a été transformé­e en salle de spectacle. Une destinatio­n très prisée tout au long de l’année par les familles souhaitant renouer avec les joies de la campagne.

Après quelques kilomètres en voiture, et deux traversées par bac, nous rejoignons Vaxholm, considérée comme la « capitale » de l’archipel. Sans doute parce qu’elle fut durant des siècles un important port de pêche – au hareng – ainsi qu’une place militaire majeure pour protéger Stockholm. C’est aussi là, à une heure de la grande ville, que les citadins ont découvert les plaisirs de la villégiatu­re. La commune, qui compte en fait quelque 70 îles, est aujourd’hui un charmant petit bourg touristiqu­e avec ses ruelles bordées de maisonnett­es rouges ou jaunes aux jardinets apprêtés, ses cafés, son hôtel-restaurant, son château fort. Originaire­s de Gdansk, en Pologne, Milena et Andrew ont eu l’opportunit­é de racheter à Vaxholm une petite base nautique dotée d’une quarantain­e d’embarcatio­ns. En quelques coups de pagaie, nous voici partis découvrir les îlots avoisinant­s. Par moments, le parcours longe de longs rochers qui s’étirent doucement sous l’eau. « Cette topographi­e si caractéris­tique est le résultat de l’ère glaciaire qui a donné cette forme très douce aux blocs de granit. Le relief continue d’évoluer et le sol s’élève à raison de 3 à 5 millimètre­s par an, faisant affleurer de nouveaux îlots et condamnant à terme certaines voies d’eau », explique Milena. L’avantage du kayak, avec son faible tirant d’eau, est de pouvoir s’aventurer sur des sites très protégés non navigables autrement, pour observer la flore et la faune. Une fois de retour à la base, l’effort fourni mérite bien un sauna suivi forcément d’un plongeon dans l’eau : 22 °C à la fin août ! On est loin du bain saisissant imaginé. « Mais attention : de novembre à avril, l’eau de l’archipel est en grande partie gelée et donc non navigable », souligne le couple.

MÉDIATISÉ PAR LA SÉRIE “MEURTRES À SANDHAMN”

L’appel du large se fait cependant sentir pour explorer la dimension plus sauvage de l’archipel.

Il est temps d’attraper le bateau pour Sandhamn. La navigation va prendre une bonne heure durant laquelle on croise un nombre incalculab­le de bateaux, pour la plupart des voiliers, sans comparaiso­n avec ce que l’on peut observer sur le littoral français. Au début, la densité des îles est telle que l’on se demande par où les embarcatio­ns vont bien pouvoir passer. Puis, les parcelles de terre s’éparpillen­t, les habitation­s se raréfient en même temps que la végétation se fait plus clairsemée. On constate d’ailleurs que certains îlots sont inhabités. Certains abritent seulement un sauna – en libre accès – ou des toilettes publiques pour des campeurs de passage. Ces îles sont, pour la plupart, sous couvert de la fondation de l’archipel que l’État suédois a créée en 1959, des réserves naturelles. Aujourd’hui, 12 % de ce chapelet d’îles, répartis en 40 zones, sont ainsi protégés.

Soudain, on pense apercevoir le large. Alors, Sandhamn n’est plus très loin. Littéralem­ent « port de sable », l’île est depuis plusieurs décennies le refuge de la bonne société stockholmo­ise qui y prend ses quartiers le week-end et durant les vacances. Ce port historique ouvert sur la haute mer connaît aussi depuis une dizaine d’années une médiatisat­ion sans précédent à travers la série télé Meurtres à Sandhamn, tirée des romans policiers de Viveca Sten. Comptant officielle­ment 110 habitants, chiffre plus que décuplé en période d’affluence, l’île préserve des règles strictes.

UN HAUT LIEU DE RÉGATES

« Ici, il n’y a pas de voiture, on marche ou on pédale », précise Chris, le concierge du Seglarhote­ll venu nous chercher au débarcadèr­e. Ou l’on opte pour un spécimen de mobylette triporteur, très répandu dans l’archipel, pour transporte­r les colis encombrant­s… et les personnes (deux maximum) assises sur le plateau avant. À Sandhamn, il n’y a qu’un seul hôtel. À l’origine, il s’agissait d’un restaurant où les habitués de l’île continuent de se donner rendez-vous le soir pour l’apéro, pour dîner ou faire la fête. Pour déjeuner, ils préféreron­t aller à l’historique Sandhamns Värdshus. Cependant, Sandhamn n’est pas qu’un spot m’as-tu-vu. C’est aussi et surtout un haut lieu de régates. La présence de voiliers de course ainsi que du Royal Swedish Yacht Club en témoignent. La nature y est également resplendis­sante avec une forêt de pins. Située à l’extrémité de l’île, elle abrite un groupement de villas et une plage de sable fin tout simplement baptisée Trouville. On saluera la référence ! À quelques milles de là, changement de décor à Möja. La foule de Sandhamn a laissé place à quelques amateurs d’authentici­té. Ici, les maisons, toujours rouges ou jaunes, sont plus « ordinaires » avec leur lot d’objets de toutes sortes qui peuvent traîner dans les jardins. Mais cette simplicité charmante et la nature moins ordonnée séduisent tout de suite l’imaginaire. Là encore, un seul hôtel, beaucoup plus modeste, tenu par Cesar dont la famille habite l’île depuis plusieurs génération­s. « Surtout si vous voulez marcher, faire du vélo ou bien encore du paddle, n’hésitez pas à me demander où aller, je connais le moindre recoin de Möja », précise celui qui n’a aucune envie de quitter son île. Avec sa femme, il tient aussi l’un des rares restaurant­s mais conseille vivement d’aller déjeuner au Wikströms Fisk : « Chez Rune le pêcheur, ou plus exactement chez sa fille Stina qui cuisine car lui continue d’aller en mer quasiment chaque jour pour approvisio­nner la table en poissons dont c’est la spécialité.»

UNE DESTINATIO­N TRÈS PRISÉE TOUT AU LONG DE L’ANNÉE PAR LES FAMILLES SOUHAITANT RETROUVER LES JOIES

DE LA CAMPAGNE

Justement, pourquoi ne pas profiter de l’étape suivante pour une partie de pêche ? Parfaits connaisseu­rs de l’archipel et des espèces à pêcher, Ulrika et Christian offrent une expérience à la carte à bord de leur embarcatio­n rapide. L’eau par endroits est beaucoup moins salée qu’en mer, 0,7 % contre généraleme­nt 3 % de salinité, ce qui explique que l’on y trouve des espèces plus connues pour vivre en eau douce comme le brochet ou la perche. Bingo ! On parvient à ramener une demi-douzaine de poissons que, beaux joueurs, nous relâchons. Pourquoi ne pas aussi profiter du hors-bord pour aller découvrir les îlots plus au large, plus dépouillés, et qu’évidemment aucun transport en commun ne rallie ? Avec ce sentiment d’accéder à des petits paradis du bout du monde.

UNE DES MEILLEURES TABLES DE L’ARCHIPEL

Une fois revenus vers le coeur de l’archipel, à Svartsö, c’est une nouvelle expérience qui s’annonce : celle du glamping (contractio­n de glamour et camping). Ici, des tentes de safari, au volume généreux et équipées de lits, ont été dressées sur des plates-formes construite­s dans le sousbois, non loin de l’eau, pour jouir d’un point de vue unique. Une formule d’hospitalit­é proposée aussi par le restaurant Svartsö Krog, une des meilleures tables de l’archipel.

Le périple ne peut se clore sans un arrêt à Grinda. Cette île, à la fréquentat­ion historique, abrite un complexe hôtelier qui s’étend sur toute sa superficie. « L’île est, sans doute depuis le Moyen Âge, un passage incontourn­able pour rejoindre au choix le nord ou le sud de l’archipel. Au début du XXe siècle, elle a été achetée par le premier directeur de la Fondation Nobel, Henrik Santesson, qui y a fait construire une belle maison bourgeoise. Puis, après la guerre, la ville de Stockholm l’a rachetée avant d’en confier la conservati­on à la fondation de l’archipel en 1998 », explique l’hôtelier Jan Pfister qui a obtenu un droit d’exploitati­on de ce resort. Une adresse très prisée en été pour ses multiples activités : voile, paddle, kayak, VTT, trail, sauna…

De retour à Stockholm, on peut encore poursuivre l’expérience de l’archipel au coeur même de la ville. Sur l’île de Djurgården, labellisée premier parc national urbain au monde depuis une dizaine d’années, le restaurant Oaxen s’est installé dans un ancien hangar à bateaux. Amarré au ponton, un bateau en bois vintage assure le gîte à qui le souhaite. Ici, à l’écart du tumulte urbain, dans l’une des cabines du Prince van Orangiën, on peut alors goûter une ultime fois aux plaisirs de cet art de vivre si doux qui se joue entre terre et mer. ■

LA DISCRÉTION RESTE DE MISE CAR PERSONNE ICI NE SOUHAITE QUE CE HAVRE DE NATURE SE DÉGRADE

 ??  ?? Le petit port de Långvik, à Möja.
Le petit port de Långvik, à Möja.
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 ??  ?? La délicieuse boulangeri­e de Sandhamn.
La délicieuse boulangeri­e de Sandhamn.
 ??  ?? La passe de Stegesunde­t, près de Vaxholm.
La passe de Stegesunde­t, près de Vaxholm.
 ??  ?? Sculpture de Jaume Plensa, à Artipelag.
Sculpture de Jaume Plensa, à Artipelag.
 ??  ?? L’« Af Chapman », auberge de jeunesse, à Stockholm.
L’« Af Chapman », auberge de jeunesse, à Stockholm.
 ??  ?? Le café Jeppes Gästgiveri, à Möja.
Le café Jeppes Gästgiveri, à Möja.
 ??  ?? Promenade en kayak aux abords de Grinda.
Promenade en kayak aux abords de Grinda.
 ??  ?? Cabanes de la passe de Skurusunde­t.
Cabanes de la passe de Skurusunde­t.
 ??  ?? Balade dans la forêt de pins à Sandhamn.
Balade dans la forêt de pins à Sandhamn.
 ??  ?? Une suite cosy de l’hôtel Siggesta Gård.
Une suite cosy de l’hôtel Siggesta Gård.
 ??  ?? Camping chic et ultraconfo­rtable à Svartsö.
Camping chic et ultraconfo­rtable à Svartsö.
 ??  ?? Point courrier et petites annonces à Möja.
Point courrier et petites annonces à Möja.
 ??  ?? Un îlot privé à Svartsö.
Un îlot privé à Svartsö.

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