ARCHIPEL DE STOCKHOLM : LARGUER LES AMARRES
Carnets de voyage
Al’approche de Stockholm, depuis le hublot de l’avion, on est saisi par cette incroyable présence de l’eau qui s’infiltre loin dans les terres. Un peu comme des veinules bleutées qui contrastent avec la verdeur intense de la végétation aux abords de la métropole suédoise. À partir du XIIIe siècle, Stockholm s’est développée sur un groupement d’îles situées à la croisée du lac Mälar et de la mer Baltique. Ainsi, l’agglomération est devenue la porte d’entrée de l’archipel auquel elle a donné son nom. Il se déploie sur quelque 7 500 km2 et compte près de 30 000 îles, du simple récif affleurant à la surface de l’eau à la lande cultivée, en passant par la terre couverte de forêts de résineux. Autant dire que ce territoire est un vaste labyrinthe maritime devenu, à partir du XIXe siècle, une destination très appréciée par les Stockholmois. À défaut d’avoir sa propre embarcation, rien de plus simple que de sauter dans l’une des navettes amarrées sur les quais du centre-ville – face au Grand Hôtel ou à l’hôtel Diplomat – pour partir à la découverte de ce territoire unique en son genre. En quelques minutes, on laisse derrière soi les bâtiments aux façades ocre et beiges de la vieille ville, pour traverser un paysage arboré d’où émergent des édifices historiques et des maisons bourgeoises. Très vite aussi, on comprend que cette route maritime – les ferries l’empruntent pour traverser la mer Baltique vers la Finlande et l’Estonie – trace une voie de sortie vers une « banlieue » résidentielle. Si certains ont décidé d’y habiter pour se préserver de la densité urbaine, nombreux sont les Stockholmois à y avoir établi des résidences secondaires. On estime à 50 000 le nombre de villas, de maisonnettes ou de cabanes construites dans l’archipel. Pour autant, la discrétion reste de mise car personne ici ne souhaite que ce havre de paix et de nature se dégrade.
UNE BALADE ENTRE NATURE ET CULTURE
Après trois quarts d’heure de navigation, le bateau fait une halte sur l’île de Värmdö, au musée Artipelag. « Cet espace d’art moderne et contemporain a été créé par Björn Jakobson, le père du fameux porte-bébé BabyBjörn, qui souhaitait provoquer une expérience culturelle propre à l’archipel », commente le capitaine avant de faire débarquer les visiteurs. On raconte que le collectionneur millionnaire aurait consulté une demi-douzaine d’architectes avant de choisir Johan Nyrén pour concevoir ce lieu d’exposition parfaitement fondu dans le paysage. En outre, le projet artistique se déploie dans un large périmètre tout autour, avec des oeuvres installées in situ qui invitent à une balade entre nature et culture.
Värmdö est l’une des plus importantes îles de l’archipel. D’ailleurs, en la parcourant en voiture, on oublie vite son
UN ESPACE D’ART CRÉÉ POUR PROVOQUER UNE EXPÉRIENCE CULTURELLE PROPRE À L’ARCHIPEL
caractère insulaire. Davantage tournée vers la terre que vers la mer, l’île a fait de l’agriculture une de ses activités principales. Le projet hôtelier Siggesta Gård tire justement parti de ce charme bucolique en occupant le domaine d’une ancienne ferme. Des stages équestres sont proposés, un potager en permaculture délivre les légumes du restaurant qui mise sur une gastronomie locale, les anciennes habitations ont été remodelées pour devenir des chambres et suites très cosy et l’imposante grange a été transformée en salle de spectacle. Une destination très prisée tout au long de l’année par les familles souhaitant renouer avec les joies de la campagne.
Après quelques kilomètres en voiture, et deux traversées par bac, nous rejoignons Vaxholm, considérée comme la « capitale » de l’archipel. Sans doute parce qu’elle fut durant des siècles un important port de pêche – au hareng – ainsi qu’une place militaire majeure pour protéger Stockholm. C’est aussi là, à une heure de la grande ville, que les citadins ont découvert les plaisirs de la villégiature. La commune, qui compte en fait quelque 70 îles, est aujourd’hui un charmant petit bourg touristique avec ses ruelles bordées de maisonnettes rouges ou jaunes aux jardinets apprêtés, ses cafés, son hôtel-restaurant, son château fort. Originaires de Gdansk, en Pologne, Milena et Andrew ont eu l’opportunité de racheter à Vaxholm une petite base nautique dotée d’une quarantaine d’embarcations. En quelques coups de pagaie, nous voici partis découvrir les îlots avoisinants. Par moments, le parcours longe de longs rochers qui s’étirent doucement sous l’eau. « Cette topographie si caractéristique est le résultat de l’ère glaciaire qui a donné cette forme très douce aux blocs de granit. Le relief continue d’évoluer et le sol s’élève à raison de 3 à 5 millimètres par an, faisant affleurer de nouveaux îlots et condamnant à terme certaines voies d’eau », explique Milena. L’avantage du kayak, avec son faible tirant d’eau, est de pouvoir s’aventurer sur des sites très protégés non navigables autrement, pour observer la flore et la faune. Une fois de retour à la base, l’effort fourni mérite bien un sauna suivi forcément d’un plongeon dans l’eau : 22 °C à la fin août ! On est loin du bain saisissant imaginé. « Mais attention : de novembre à avril, l’eau de l’archipel est en grande partie gelée et donc non navigable », souligne le couple.
MÉDIATISÉ PAR LA SÉRIE “MEURTRES À SANDHAMN”
L’appel du large se fait cependant sentir pour explorer la dimension plus sauvage de l’archipel.
Il est temps d’attraper le bateau pour Sandhamn. La navigation va prendre une bonne heure durant laquelle on croise un nombre incalculable de bateaux, pour la plupart des voiliers, sans comparaison avec ce que l’on peut observer sur le littoral français. Au début, la densité des îles est telle que l’on se demande par où les embarcations vont bien pouvoir passer. Puis, les parcelles de terre s’éparpillent, les habitations se raréfient en même temps que la végétation se fait plus clairsemée. On constate d’ailleurs que certains îlots sont inhabités. Certains abritent seulement un sauna – en libre accès – ou des toilettes publiques pour des campeurs de passage. Ces îles sont, pour la plupart, sous couvert de la fondation de l’archipel que l’État suédois a créée en 1959, des réserves naturelles. Aujourd’hui, 12 % de ce chapelet d’îles, répartis en 40 zones, sont ainsi protégés.
Soudain, on pense apercevoir le large. Alors, Sandhamn n’est plus très loin. Littéralement « port de sable », l’île est depuis plusieurs décennies le refuge de la bonne société stockholmoise qui y prend ses quartiers le week-end et durant les vacances. Ce port historique ouvert sur la haute mer connaît aussi depuis une dizaine d’années une médiatisation sans précédent à travers la série télé Meurtres à Sandhamn, tirée des romans policiers de Viveca Sten. Comptant officiellement 110 habitants, chiffre plus que décuplé en période d’affluence, l’île préserve des règles strictes.
UN HAUT LIEU DE RÉGATES
« Ici, il n’y a pas de voiture, on marche ou on pédale », précise Chris, le concierge du Seglarhotell venu nous chercher au débarcadère. Ou l’on opte pour un spécimen de mobylette triporteur, très répandu dans l’archipel, pour transporter les colis encombrants… et les personnes (deux maximum) assises sur le plateau avant. À Sandhamn, il n’y a qu’un seul hôtel. À l’origine, il s’agissait d’un restaurant où les habitués de l’île continuent de se donner rendez-vous le soir pour l’apéro, pour dîner ou faire la fête. Pour déjeuner, ils préféreront aller à l’historique Sandhamns Värdshus. Cependant, Sandhamn n’est pas qu’un spot m’as-tu-vu. C’est aussi et surtout un haut lieu de régates. La présence de voiliers de course ainsi que du Royal Swedish Yacht Club en témoignent. La nature y est également resplendissante avec une forêt de pins. Située à l’extrémité de l’île, elle abrite un groupement de villas et une plage de sable fin tout simplement baptisée Trouville. On saluera la référence ! À quelques milles de là, changement de décor à Möja. La foule de Sandhamn a laissé place à quelques amateurs d’authenticité. Ici, les maisons, toujours rouges ou jaunes, sont plus « ordinaires » avec leur lot d’objets de toutes sortes qui peuvent traîner dans les jardins. Mais cette simplicité charmante et la nature moins ordonnée séduisent tout de suite l’imaginaire. Là encore, un seul hôtel, beaucoup plus modeste, tenu par Cesar dont la famille habite l’île depuis plusieurs générations. « Surtout si vous voulez marcher, faire du vélo ou bien encore du paddle, n’hésitez pas à me demander où aller, je connais le moindre recoin de Möja », précise celui qui n’a aucune envie de quitter son île. Avec sa femme, il tient aussi l’un des rares restaurants mais conseille vivement d’aller déjeuner au Wikströms Fisk : « Chez Rune le pêcheur, ou plus exactement chez sa fille Stina qui cuisine car lui continue d’aller en mer quasiment chaque jour pour approvisionner la table en poissons dont c’est la spécialité.»
UNE DESTINATION TRÈS PRISÉE TOUT AU LONG DE L’ANNÉE PAR LES FAMILLES SOUHAITANT RETROUVER LES JOIES
DE LA CAMPAGNE
Justement, pourquoi ne pas profiter de l’étape suivante pour une partie de pêche ? Parfaits connaisseurs de l’archipel et des espèces à pêcher, Ulrika et Christian offrent une expérience à la carte à bord de leur embarcation rapide. L’eau par endroits est beaucoup moins salée qu’en mer, 0,7 % contre généralement 3 % de salinité, ce qui explique que l’on y trouve des espèces plus connues pour vivre en eau douce comme le brochet ou la perche. Bingo ! On parvient à ramener une demi-douzaine de poissons que, beaux joueurs, nous relâchons. Pourquoi ne pas aussi profiter du hors-bord pour aller découvrir les îlots plus au large, plus dépouillés, et qu’évidemment aucun transport en commun ne rallie ? Avec ce sentiment d’accéder à des petits paradis du bout du monde.
UNE DES MEILLEURES TABLES DE L’ARCHIPEL
Une fois revenus vers le coeur de l’archipel, à Svartsö, c’est une nouvelle expérience qui s’annonce : celle du glamping (contraction de glamour et camping). Ici, des tentes de safari, au volume généreux et équipées de lits, ont été dressées sur des plates-formes construites dans le sousbois, non loin de l’eau, pour jouir d’un point de vue unique. Une formule d’hospitalité proposée aussi par le restaurant Svartsö Krog, une des meilleures tables de l’archipel.
Le périple ne peut se clore sans un arrêt à Grinda. Cette île, à la fréquentation historique, abrite un complexe hôtelier qui s’étend sur toute sa superficie. « L’île est, sans doute depuis le Moyen Âge, un passage incontournable pour rejoindre au choix le nord ou le sud de l’archipel. Au début du XXe siècle, elle a été achetée par le premier directeur de la Fondation Nobel, Henrik Santesson, qui y a fait construire une belle maison bourgeoise. Puis, après la guerre, la ville de Stockholm l’a rachetée avant d’en confier la conservation à la fondation de l’archipel en 1998 », explique l’hôtelier Jan Pfister qui a obtenu un droit d’exploitation de ce resort. Une adresse très prisée en été pour ses multiples activités : voile, paddle, kayak, VTT, trail, sauna…
De retour à Stockholm, on peut encore poursuivre l’expérience de l’archipel au coeur même de la ville. Sur l’île de Djurgården, labellisée premier parc national urbain au monde depuis une dizaine d’années, le restaurant Oaxen s’est installé dans un ancien hangar à bateaux. Amarré au ponton, un bateau en bois vintage assure le gîte à qui le souhaite. Ici, à l’écart du tumulte urbain, dans l’une des cabines du Prince van Orangiën, on peut alors goûter une ultime fois aux plaisirs de cet art de vivre si doux qui se joue entre terre et mer. ■
LA DISCRÉTION RESTE DE MISE CAR PERSONNE ICI NE SOUHAITE QUE CE HAVRE DE NATURE SE DÉGRADE