Le Figaro Magazine

POUR LA MORT, TAPEZ 1 POUR LE PARDON, TAPEZ 2

Un film choc pour dénoncer la société du spectacle à laquelle cède même l’Iran des mollahs.

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Nous ne sommes pas les derniers (surtout Stéphane Hoffmann) à maugréer, voire râler, devant les programmes affligeant­s de télé-réalité. De quoi se plaint-on ? En Iran existe une émission qui cumule toutes les tares du genre. Son principe, prétendume­nt noble, est simple : on confronte une personne condamnée par la justice à sa victime ou à un membre de sa famille habilité à la pardonner, puis, entre deux pages de publicité, on demande au public devant sa télé de voter : pour la mort, tapez 1 ; pour le pardon, tapez 2. Plus le nombre de votants est élevé, plus la victime ou sa famille reçoit de l’argent. Glaçant. Sur cette trame, Massoud Bakhshi a bâti un film admirable dans sa mise en scène, le jeu de ses acteurs et la distance qu’il instaure avec son sujet : ni trop près ni trop loin. Ce soir-là, dans les studios du show « Yalda, la nuit du pardon » (qui est aussi le titre du film), l’enjeu est simple et terrible : Mona va-t-elle pardonner à Maryam, qui a tué Nasser ? Dit ainsi, on croirait à un drame de voisinage en Seine-Saint-Denis. Ici, Nasser était le père de Mona et le mari de Maryam. Nous sommes dans une tragédie perse qui pourrait être grecque. D’autant que Bakhshi ajoute, au coeur de son drame, un élément familial supplément­aire (et non prévu par les programmat­eurs) qui décuple l’intérêt de l’affaire. Maryam, déterminée, touchante, mais un peu sous l’emprise de sa mère, dit que son mari est mort accidentel­lement. Sa voix et ses larmes ont la sincérité de l’innocence. Mona prétend que sa bellemère (qui n’a que 22 ans !) en voulait à l’argent de son père défunt (qui avait 65 ans). Son visage est dur, sec – mais son coeur ? Le présentate­ur passe de l’une à l’autre au gré des consignes contradict­oires qui lui arrivent dans l’oreillette. Le pays vote en masse – pour une fois qu’il n’y a pas de barbus en lice, il ne va pas se priver. Le spectateur, lui, est de bout en bout happé par ce vrai-faux thriller judiciaire qui masque une critique en règle de l’organisati­on patriarcal­e de la société iranienne, du poids des traditions islamiques, de la dictature de l’émotion, du voyeurisme généralisé, de la laideur d’un monde qui, partout, le cède au spectacula­ire. À Téhéran comme à Paris.

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