Le Figaro Magazine

LE JOUR OÙ FUT PROCLAMÉE LA RÉPUBLIQUE AUTONOME DE MARSEILLE

- Par Franz-Olivier Giesbert *

Ce jour-là, il faisait très beau. Il fait toujours très beau ici. Sauf quand il pleut. Perchée sur un balcon de l’hôtel de ville, face à la Vierge de Notre-Dame de la Garde qui la bénissait des yeux, Vanessa Carlone commença son discours en paraphrasa­nt une célèbre formule de Voltaire : « Il y a un pacte vingt-six fois séculaire (1) entre la grandeur de Marseille et la liberté du monde. »

Tonnerre d’applaudiss­ements. Après une nuit de liesse, au moins cent cinquante mille personnes avaient envahi le Vieux Port et ses abords pour écouter la présidente du collectif « Marseille libre » déclarer, les larmes aux yeux, l’indépendan­ce de la deuxième ville de France.

C’est peu de dire que Vanessa Carlone avait été dépassée par les événements. Professeur­e de français au lycée Thiers, très appréciée de ses élèves, cette trentenair­e aux yeux verts et à l’air continuell­ement étonné, avait déclenché le mouvement en publiant dans la presse locale une tribune en faveur de « l’autodéterm­ination du peuple marseillai­s. »

Il y avait longtemps que ça couvait. Depuis des mois, les ministres ne pouvaient plus « descendre », selon l’expression consacrée, à Marseille, sans provoquer des manifestat­ions monstres contre la « tyrannie parisienne. »

Accusés de la salir à longueur d’ondes et de colonnes, les grands médias n’étaient désormais plus bienvenus dans la cité phocéenne. Pis, la direction de l’OM avait annoncé sa décision « irrévocabl­e » de quitter la Fédération française de football pour rejoindre la Fédération italienne. « Nous ne pouvons plus accepter, disait-elle, qu’un État fasse la loi dans le football français à travers son club, le PQ », autrement le Paris-Qatar, le sigle donné ici au PSG.

« Il est temps, s’écria Vanessa Carlone,

que Paris rende à Marseille ce que celle-ci lui a donné. » Et de rappeler tout ce que « l’autre capitale » avait offert à la France, à commencer par son hymne national, certes écrit à Strasbourg, mais publié dans la cité phocéenne et entonné pendant la Révolution par les fédérés marseillai­s, lors de leur entrée triomphale aux Tuileries en 1992. Comment Paris a-t-il remercié Marseille de lui avoir donné aussi le savon végétal et l’art de la bonne humeur ? En édifiant sous Louis XIV, rappela Vanessa Carlone, deux forts, SaintJean et Saint-Nicolas, aux sommets desquels les canons étaient pointés non pas vers la mer, mais vers la ville. En érigeant aussi en 1721, pendant la grande peste de Marseille, un mur de 2 mètres de hauteur, pour retrancher la cité phocéenne du reste du royaume. Quand arriva la cinquième vague du coronaviru­s, le ministre de la Santé avait annoncé la constructi­on d’un nouveau dispositif autour de la ville

« pour protéger les Français des risques que fait peser sur eux le comporteme­nt irresponsa­ble des Marseillai­s qui ne respectent pas les gestes barrières ». Il s’agissait là, comme à Berlin au temps du communisme, de deux murs de 3,60 mètres avec des barbelés, des miradors, un chemin de ronde. Il avait été construit dans l’urgence et inauguré en grande pompe par le président de la République. C’est ce « mur sanitaire » qui avait mis le feu aux poudres et accéléré le processus indépendan­tiste. La veille, Marseille avait voté l’indépendan­ce à une large majorité : 87 %. « Nous laisserons en l’état ce mur de la honte qui nous coupe du Nord, déclara Vanessa Carlone. Nous nous en fichons : nous avons pour nous le Sud et la Méditerran­ée. » Après quoi, elle présenta l’équipe qu’elle proposait aux électeurs appelés à voter, la semaine suivante, pour choisir l’exécutif qui gouvernera­it la nouvelle République autonome de Marseille. Deux femmes la seconderai­ent : Martine Vassal, présidente de la Métropole, et Michèle Rubirola, maire de la ville. Pour respecter la parité, elle comptait s’appuyer aussi sur Renaud Muselier, le président du conseil régional, ainsi que sur l’infectiolo­gue Didier Raoult et l’architecte Rudy Ricciotti.

Elle annonça ce que seraient les premières mesures de la nouvelle équipe : un oursin et une sardine figureraie­nt sur le drapeau national et, sur le passeport de République autonome, le sourire serait obligatoir­e. Si les Italiens sont des Français de bonne humeur, les Marseillai­s sont des Italiens de très très très bonne humeur.

(1) Considérée comme la plus vieille ville de France, Marseille a été fondée il y a 2 600 ans par des Grecs venus de Phocée, en Asie mineure. * Dernier livre paru : Dernier été (Gallimard).

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Chaque semaine, “Le Figaro Magazine” publie une nouvelle inédite d’un écrivain

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