ELLES SE BATTENT CONTRE L’ISLAMISME RADICAL
En plein procès des attaques terroristes de 2015, à Paris, et à la suite de l’allocution du président Macron sur le projet de loi contre les séparatismes en France, nous donnons la parole à ces femmes qui luttent en première ligne contre l’intégrisme salafiste et le communautarisme. Malgré les menaces dont elles font l’objet, elles ont choisi de dire haut et fort leur vérité.
Elles s’appellent Sonia Mabrouk, Najwa El Haïté, Zineb El Rhazoui, Fatiha Agag-Boudjahlat, Dana Manouchehri et Jeannette Bougrab. Elles sont jeunes, belles et brillantes. Elles sont des figures connues et reconnues. Leur parole porte, fait débat, irrite parfois, mais elle est entendue. Elles sont aussi les visages de ce courage qui se décline au féminin, de cette France qui veut résister contre l’obscurantisme religieux et les dangers de l’islam politique. Non, les mots ne sont pas trop forts. Car dénoncer l’islamisme en Europe ou en France, patrie des droits de l’homme, mais aussi de la laïcité, n’est pas sans risque.
LA FEMME LA PLUS MENACÉE DE FRANCE
Sonia Mabrouk veut rappeler cette réalité. Journaliste à Europe 1 et à CNews, elle jongle avec un agenda millimétré. Toujours pressée mais attentive aux autres et au monde, sa rigueur et son exigence lui imposent de longues journées de travail sans jamais altérer son énergie, sa bonne humeur et son sourire. Cependant, son expression se fait plus grave quand elle évoque la situation dans le pays et, en particulier, celle de Zineb El Rhazoui, sa consoeur, ancienne journaliste à Charlie Hebdo, devenue symbole de la lutte contre l’islamisme mais aussi, en raison de son engagement, la cible des intégristes et, de fait, la femme la plus menacée et la plus protégée de France. « Nous vivons dans l’un des pays qui a subi les chocs les plus importants ces dernières années, rappelle Sonia Mabrouk. La liste des victimes du terrorisme
est bien trop longue. Pour ces raisons, nous devrions être à l’avant-garde de la lutte contre cette idéologie. Comment peut-on accepter qu’en France, aujourd’hui, certains soient menacés de mort et aient besoin d’une protection policière permanente ? C’est d’une violence terrible ! Ce sont des vies et des libertés confisquées. Il ne faut jamais se dire que c’est une normalité mais, au contraire, s’indigner de la nécessité d’être protégé en France ou ailleurs. »
LE REFUS DE L’OBSCURANTISME
Si les deux journalistes se considèrent comme des combattantes, elles réfutent la notion guerrière du terme.
« Ce sont les islamistes qui nous font la guerre, insiste Zineb El Rhazoui. Nous sommes des pacifistes. » La jeune femme, chef de file du printemps arabe, a quitté le Maroc en 2011 pour se réfugier en France et rejoindre l’équipe de
Charlie Hebdo, jusqu’aux attentats qui ont décimé la rédaction en 2015. Son quotidien est, depuis, saturé d’insultes et de menaces de mort exprimées allègrement et sans complexe sur la toile et les réseaux sociaux par les islamistes les plus fanatiques, mais aussi par des individus dont le manque de courage est compensé par l’anonymat de leurs comptes.
Alors que se déroule le procès des attentats de janvier 2015, le déferlement de haine à son endroit s’exacerbé. Lauréate du prix Simone-Veil, décerné par la région Île-de-France en novembre 2019, elle a été récompensée pour « son courage et sa force dans ses combats pour la défense de la laïcité, la lutte contre toutes les formes d’obscurantisme et de l’égalité entre les femmes et les hommes ». Zineb El Rhazoui est une femme libre et révoltée, et n’a pourtant jamais de répit. Son escorte policière la suit jour et nuit et chacun de ses déplacements est étroitement surveillé. « Ce qui m’arrive, confie-t-elle,
c’est ce qui arrive au pays. C’est inacceptable à mon échelle personnelle, mais aussi à celle de la France, surtout au regard de cette liberté qu’elle représente. Personne ne devrait vivre comme ça, ni au coeur de Paris ni ailleurs. J’en suis là parce que je défends ce pays et ses valeurs. Je suis constamment entourée d’hommes en armes et cernée par une pulsion de mort. Ce que je vis est, finalement, une reconnaissance officielle de l’omniprésence de la terreur sur notre sol. L’État devrait agir pour neutraliser la menace plutôt que d’être obligé de protéger des gens comme moi. »
Quand on demande à Sonia Mabrouk si elle se sent l’âme d’une combattante, la réponse est affirmative, mais la nuance est, pour elle, essentielle. Femme très engagée, mais toujours dans la retenue, elle a l’élégance de ne jamais exprimer un mot plus haut que l’autre. Cette combattante s’est d’ailleurs illustrée sur le plateau d’une émission de télé où, avec beaucoup de grâce, autant de sang-froid et d’autorité, elle imposa le silence à Marwan Muhammad, ancien directeur du CCIF, le controversé comité contre l’islamophobie en France. « Vous êtes une caricature, vous êtes une imposture ! […] Vous ne représentez rien. Absolument rien ! Qui peut parler au nom des musulmans ? Personne, si ce n’est eux-mêmes. Ceux qui travaillent pour leur crémerie font leur miel sur l’Islam, ils ne représentent rien. »
UN ENGAGEMENT FÉMINISTE ET RÉPUBLICAIN
Sa vision et son mépris des acteurs de l’islam politique sont exprimés en ces quelques mots. Sonia Mabrouk sait la réalité du danger et l’imminence de son accélération. Elle affûte en conséquence des armes qu’elle ne veut en aucun cas brutales. « Un ou une combattante n’utilise ni la violence, ni l’agressivité, ni la dureté des mots dans le message, insiste-t-elle. Dans ce terme, il y a quelque chose de paradoxalement positif. Il s’agit en réalité d’atteindre un objectif et de penser aux moyens à mettre en oeuvre pour y parvenir et convaincre en pensant à ceux auxquels on s’adresse. Avoir l’approbation dans son propre camp, ça ne sert à rien. Il faut discuter, tendre la main aux autres, y compris aux femmes portant le voile car ça n’a pas de sens de les exclure. Il est aussi absolument nécessaire de convaincre ceux situés dans la zone grise, ces Français musulmans encore attachés à la République et à la France, pour ne pas les laisser glisser et rallier le camp adverse. »
“Je suis constamment entourée d’hommes en armes
et cernée par une pulsion de mort”
Des arguments partagés par Najwa El Haïté et Fatiha Agag-Boudjahlat. La première est future avocate, docteure en droit public, élue dans la commune d’Évry-Courcouronnes, auteure d’une thèse sur la laïcité. La seconde est professeure d’histoire-géographie et essayiste *. Les deux femmes sont deux intellectuelles qui ont creusé leur sillon à force de travail et de détermination. Elles ont en commun l’amour de la France accolé à des origines maghrébines, une confession musulmane pratiquée dans l’intimité de la vie privée, des valeurs républicaines chevillées au coeur, un engagement féministe et laïque. Enfants de la République, elles expriment la même gratitude vis-à-vis de ce pays qui leur a donné la possibilité de se construire par l’éducation et le travail, un chemin d’émancipation et de réussite. Comme pour rendre aux générations suivantes ce qu’elle a reçu, Fatiha Agag-Boudjahlat est devenue une professeure aussi intraitable que joviale. Militante convaincue, elle a choisi d’oeuvrer là où elle se sent le plus utile et enseigne dans un collège d’un quartier défavorisé à Toulouse. Le quotidien rugueux et les terrains très accidentés, elle ne les a que trop connus et ça ne lui fait pas peur. Sans pathos, avec lucidité et toujours avec cette touche d’humour portée en guise de carapace, elle revient sur son parcours chaotique mais aussi inspirant : « Je n’ai pas grandi dans une série Disney, ironise-t-elle. Je vivais dans la pauvreté et sans tendresse. J’étais fascinée par mes voisins qui, de temps en temps, s’achetaient un mille-feuille. Ça me paraissait tellement inaccessible. Au fond de moi, je m’interrogeais : comment font-ils ? » La jeune femme se souvient du seul et unique livre présent dans l’appartement familial, un roman de Barbara Cartland.
NE JAMAIS RECULER FACE AUX ISLAMISTES
De l’âpreté de sa jeunesse, Fatiha Agag-Boudjahlat ne garde aucune rancoeur. Au contraire, elle veut rendre un hommage appuyé à l’école et à certains professeurs à qui, dit-elle, elle doit tout, à commencer par sa capacité à se déterminer librement et à s’affranchir des diktats communautaristes. « Aujourd’hui, la situation est grave, s’insurge l’essayiste. Dans certains quartiers on ne fait que régresser. Malgré des conditions matérielles compliquées et des parents peu éduqués, je vis mieux que certaines filles, nées ici et françaises depuis plusieurs générations. Je suis aussi effrayée par les plus jeunes pour qui la religion est plus importante que l’excellence et la réussite. » Pour récupérer ces enfants orphelins de la République, la professeure prône la fermeté. Intransigeante, elle n’a, par exemple, pas accepté de composer avec l’attitude d’un élève refusant de respecter la minute de silence en hommage aux victimes des attentats de Paris. « Je lui ai signifié le sens de son choix. Cela veut dire tourner le dos à la nation mais aussi à mon cours, et ce, jusqu’à la fin de l’année. Il a finalement
“Dans les quartiers, je suis effrayée par les plus jeunes pour qui la religion est plus importante que l’excellence et la réussite”
cédé. Il est absolument nécessaire de convaincre, d’exiger le respect des principes républicains et de la loi, de transmettre aussi l’amour du drapeau tricolore à la jeunesse. La République doit marquer sa présence partout, tout le temps. Nous avons besoin d’imposer plus d’État et plus de contrôles partout et en particulier dans ces quartiers défavorisés, pour décloisonner et déghettoïser l’espace et les esprits. » La République partout, tout le temps, est aussi un leitmotiv de Najwa El Haïté. Cette jeune femme, solaire, ne se défait jamais d’un sourire communicatif et d’une énergie si positive qu’elle ferait presque oublier la gravité du sujet. Fière de porter son écharpe tricolore, l’élue n’a de cesse de travailler le terrain à Évry-Courcouronnes, en Essonne, où la problématique intégriste et communautariste se pose ici comme ailleurs en France. Un seul mot d’ordre pour cette militante féministe et laïque aguerrie : « Ne jamais reculer face aux islamistes. » Et depuis le plus jeune âge, Najwa El Haïté avance, puisant comme carburant la force de ses convictions. Ses premiers pas en politique, elle les fait dès l’âge de 18 ans dans le but d’oeuvrer pour ce pays qui a accueilli ses parents, originaires du Maroc, mais aussi, et surtout, pour faire rempart avec ses armes au communautarisme et à l’islamisme qu’elle a vus se distiller sournoisement dans la société française. « J’ai pris très tôt conscience du problème dans les quartiers populaires de Rouen, où j’ai grandi, puis au Havre, où j’étais élue, et enfin à ÉvryCourcouronnes. C’est Manuel Valls, alors maire de la ville, qui m’a alertée sur la situation. Aujourd’hui, je travaille en étroite collaboration sur ces sujets avec le député Francis Chouat et l’actuel maire Stéphane Beaudet. »
MACRON DOIT TRADUIRE SES PAROLES EN ACTES
Car les dérives religieuses sont une réalité sur ce territoire. En 2014, la préfecture et l’équipe municipale à laquelle elle appartient ont bataillé pour obtenir la fermeture de quatre écoles islamiques, dont l’une était totalement clandestine. « J’en suis témoin, affirme-t-elle. J’ai vu des salafistes, portant la barbe fournie, déposer chaque jour des enfants, dont des petites filles couvertes de noire de la tête aux pieds, se souvient-elle. Cette vision m’a donné la chair de poule. Ces établissements où l’islam rigoriste est enseigné sont un danger pour notre société. » Si elle agit sur le plan local, Najwa El Haïté, en vigie républicaine, travaille aussi au niveau national avec les anciens députés Yves Durand et Gilles Savary au sein de Territoires de progrès. Elle est la viceprésidente de ce groupe politique affilié à La République en marche. Marquée par une sensibilité à gauche et une volonté farouche de défendre l’égalité des chances, elle assume, pour autant, un discours de fermeté où il n’est pas question de transiger sur l’autorité. Intransigeance et fermeté, c’est le sens qu’a voulu donner Emmanuel Macron à son discours tenu dans la commune des Mureaux, le 2 octobre dernier, pour aborder la question du projet de loi sur le séparatisme. Sonia Mabrouk, en direct sur le plateau de son émission « Midi News », n’a rien manqué de l’allocution du chef de l’État, dont elle salue la
“Ces établissements où l’islam rigoriste est enseigné sont un danger pour notre société”
clarté. « Le discours du président de la République a permis de cibler la menace principale, commente-t-elle, à savoir le séparatisme islamiste. Les mots sont clairs, ils ne souffrent pas d’ambiguïté. L’école, les transports, les associations, les différents pans de notre société et de notre vie quotidienne seront concernés par cette future loi. Toute la question à présent est celle de la traduction de ces paroles en actes, puis de l’application effective de la loi sur le terrain. Cela suppose que le sursaut dont a parlé Emmanuel Macron soit effectif aussi dans les esprits. Le défi est immense. Mais je reste positive ou plutôt pragmatique. Nous n’avons d’autre choix que d’y arriver, sinon nous donnerons raison à tous ceux qui oeuvrent de l’intérieur et de l’extérieur pour un affrontement larvé dans notre pays. »
L’AMIF EST UN LOUP DANS LA BERGERIE
Najwa El Haïté, l’élue de terrain, salue « des mots forts pour nommer ce qui fracture entre autres choses l’unité de notre pays : l’islamisme ». Plus réservée, Zineb El Rhazoui s’inquiète de l’ambition affichée du gouvernement de travailler avec des organisations comme l’Association musulmane pour l’islam de France (Amif) : « Instituer l’Amif, c’est introduire le loup dans la bergerie, s’insurge la jeune femme. Cette organisation est composée en grande partie de Frères musulmans. Il faut le dire clairement : ce sont des isla
mistes partisans d’un islam politique et ils sont dangereux. » Dans le quotidien de Zineb El Rhazoui, il n’y a pas que la politique et l’engagement. Il y a la vie, les amis, la bonne humeur. Attablée à la terrasse d’un restaurant parisien, la jeune femme profite des derniers rayons du soleil automnal en compagnie de Dana Manouchehri, son amie norvégienne en visite à Paris. Ensemble, elles partagent le plaisir d’une bonne table, d’un bon verre de vin et celui si précieux des éclats de rire. La présence policière discrète rappelle à Zineb le prix à payer de son engagement, mais aussi celui de Dana Manouchehri. D’origine iranienne, la famille de Dana a fui, en 1985, les violences de la révolution islamique pour se réfugier en Norvège. Dana est aussi une combattante. Elle lutte, dans son pays d’adoption, contre l’obscurantisme islamiste. Comme son amie Zineb, elle vit sous la menace de ces « fous de Dieu » qui ont rattrapé son destin jusqu’à cette Europe qui n’a plus rien d’un sanctuaire pour les libertés. Alors, évidemment, dans leurs conversations, les deux se retrouvent forcément à évoquer ces sujets qui empoisonnent leurs jours et leurs nuits.
LE COMMUNAUTARISME, TERREAU DE L’ISLAMISME
Avocate, mère de deux enfants, secrétaire générale d’une ONG norvégienne pour la promotion de l’égalité et de l’intégration, Dana Manouchehri milite pour la laïcité dans un pays où « ce concept n’existe pas vraiment » et pour les libertés. « Mes parents ont fui l’Iran, raconte Dana. Ils ont tout laissé derrière eux, car ils savaient que, dans cette société régie par les mollahs et la charia, les filles sont moins libres que les garçons. Ils ne voulaient pas que je grandisse dans une cage. J’ai conscience de la valeur inestimable de la liberté. Mais, hélas, comme la France, la Norvège est gangrenée par ces phénomènes communautaristes qui font le terreau de l’islamisme. » Insultée, menacée, qualifiée de traître, de laquais ou de collabo, la jeune avocate affirme ne pas se laisser atteindre par ces attaques. Elle préfère les ignorer et les balayer d’un revers de la main en souriant. À la laideur de ces esprits malveillants, Dana a choisi d’opposer la résistance, mais, surtout, la beauté de sa féminité qu’elle assume, porte et use comme une arme contre ses ennemis. Crinière d’ébène, port altier, maquillage et manucure toujours impeccables, escarpins vertigineux de hauteur, la militante ne néglige aucun détail. « Les islamistes détestent la beauté et les femmes qui en jouent. Je leur résiste aussi en affichant ma féminité. Il n’est pas question pour moi de leur céder le moindre espace. Je préfère renoncer à ma sécurité plutôt qu’à ma liberté. Ce droit fondamental est mon moteur car je suis consciente d’être chanceuse. C’est vrai, quand on y pense, j’ai gagné le gros lot avec cette vie en démocratie. J’ai quitté la République islamique d’Iran pour être une femme libre en Europe. Il est de mon devoir de me battre pour cette liberté si précieuse. » Le ton se fait plus grave, son regard s’assombrit, se perd au loin dans ses pensées. Elle prend le temps de réfléchir et de peser la portée de chacun de ses mots avant de les livrer à notre attention. « Je ne veux pas mourir, précise-t-elle. Mais la pire des lâchetés serait de ne pas résister. Ce n’est pas toujours facile. Je me sens parfois comme un
Pour ces femmes, la pire des lâchetés serait de ne pas résister à cet ennemi invisible qui refuse nos modes de vie et nos libertés
soldat envoyé au front tout seul… J’y vais malgré tout parce que c’est vital. »
Son amie Zineb est de celles qui paient l’un des plus lourds tributs à l’exercice de cette liberté d’expression qu’elle a largement exprimée dans les colonnes du journal Charlie Hebdo et à laquelle elle refuse de renoncer. « Je préfère mourir debout que vivre à genoux. » Elle reprend avec un sourire empreint de chagrin cette formule répétée à l’envi par son ami Charb, assassiné ce jour de janvier 2015 par les frères Kouachi.
« Ma soif de liberté et mon combat sont liés à mon passé,
explique-t-elle. J’ai grandi au Maroc, où j’étais confrontée en permanence à la condition des femmes, bridées, empêchées par le poids des traditions et de la religion. Je ne voulais pas de ce destin pour moi. La lecture et l’éducation ont été les outils de mon émancipation. Beaucoup m’affublent de haine. Cela me laisse désemparée mais je n’ai pas de haine car je comprends ce qu’ils sont. Je l’ai été moi-même. J’ai été prisonnière d’un culte. Je veux croire plus à l’humain qu’aux musulmans qu’ils sont. Mais, plus que tout, je leur souhaite ce que je veux pour moi : la liberté, la dignité, l’émancipation. Je leur souhaite de se défaire de cette carapace identitaire dans laquelle, souvent, ils se sont emprisonnés euxmêmes. »
Zineb El Rhazoui et Dana Manouchehri sont des combattantes d’une noble cause, traquées par des soldats de l’ombre agissant souvent à la dérobée. Elles s’expriment sans détour et à visage découvert. Elles ne s’interdisent aucun sujet, osent la comparaison du voile islamique avec l’uniforme d’une idéologie fascisante et, d’une seule voix, elles réfutent les arguments selon lesquels le voile ne serait qu’une étoffe ou une tenue comme une autre. « Le levier le plus important dans le fascisme c’est l’uniforme, affirme Zineb El Rhazoui. Il s’agit d’une technique de marquage visuel employée par le fascisme islamiste. Le voile n’est pas qu’un bout de tissu, c’est une stratégie de conquête de l’espace public à travers l’invisibilisation du corps des femmes. »
DÉSORMAIS, IL Y A URGENCE
Contrairement à ces deux acolytes prolaïcité, Fatiha AgagBoudjahlat n’est pas frappée du sceau de l’apostasie. Musulmane, croyante, elle refuse l’hyperconformité, les injonctions et le contrôle imposés par certains religieux. Avec sa gouaille joyeuse, elle s’autorise même la critique de la religion et du voile, qu’elle décrit comme le symbole du patriarcat arabo-musulman et fustige ces religieux dont l’orthodoxie, dit-elle, n’est qu’hypocrisie. « Ils veulent se mettre en conformité avec un truc qui n’a jamais existé, raille l’enseignante. Ils se basent sur des textes datant du VIIe siècle, refusent le progrès ou de faire évoluer cette religion. Dans ce cas, ils n’ont qu’à vivre avec des chameaux dans le désert ! »
Malgré l’humour, la dérision ou les sourires, chacune de ces femmes sait l’urgence de la situation. Leur combat, elles le mènent à la fois ensemble et de façon singulière, en politique, à travers les médias, sur les bancs de l’école ou au sein d’organisations.
Pour Zineb El Rhazoui, l’enjeu majeur se joue en ce moment même, et jusqu’en novembre, au sein de la cour d’assises spéciale de Paris. Dans ce tribunal, 14 accusés doivent répondre de leur implication dans les attentats de janvier 2015 qui ont ensanglanté la capitale. L’ancienne journaliste de Charlie Hebdo y a été entendue longuement. Pour elle qui a perdu amis et collègues, ce procès est fondamental. « Il est nécessaire de dire les choses dans la solennité d’un tribunal, confie-t-elle. Les terroristes sont morts, leurs complices arrêtés, mais le problème dans notre pays n’est pas réglé pour autant. Je vis toujours sous protection policière. L’idéologie islamiste continue de sévir et de faire des victimes en France. Ce procès devrait être avant tout celui d’une idéologie. Mais, hélas, j’ai l’impression que l’assassin principal court toujours. » ■
Leur combat, elles le mènent ensemble ou individuellement, en politique, à travers les médias, sur les bancs de l’école ou au sein d’organisations