“La France a déjà mis un genou à terre”
Ancienne secrétaire d’État sous le gouvernement Sarkozy et ancienne présidente de la Halde, Jeannette Bougrab a été l’une des premières à s’engager contre les dérives islamistes. Ses positions sans concession lui ont rendu la tâche difficile en politique mais aussi sur le plan personnel.
Vous êtes engagée depuis de nombreuses années contre l’islamisme radical et, de fait, aux avant-postes de cette problématique. Quel regard portez-vous sur la situation dans notre pays ?
Jeannette Bougrab – Je suis très pessimiste. La bataille est, je pense, perdue. Je suis consternée d’entendre ces débats sémantiques autour du séparatisme. Les élites ont fait le choix du relativisme culturel et nous sommes arrivés en France à une situation de soumission. En réalité, nous avons déjà mis un genou à terre. Nous n’osons plus dire et dénoncer des situations. Et, comme le disait Albert Camus : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. » Je ne suis pas défaitiste, juste réaliste. J’avais écrit en 2013 que Charb serait assassiné. C’est arrivé et l’attentat de Charlie Hebdo n’était que le début d’une longue série.
Vous n’avez, évidemment, pas renoncé à votre engagement. Comment s’exprime-t-il aujourd’hui ?
Quand on se bat sur ces sujets, le prix à payer est toujours bien trop lourd. Pour ma part, j’ai reçu des attaques d’une violence inouïe et je n’ai pas été soutenue. J’ai choisi le chemin de l’exil, en Finlande, où je suis allée vivre durant trois ans. Aujourd’hui, je me mets en retrait pour me préserver, mais je n’arrive pas à me résoudre à l’indifférence. Alors, je continue mon engagement par l’écriture. Je viens de publier un ouvrage intitulé Un silence de mort * où je traite de la guerre au Yémen, je prépare un documentaire sur l’excision et je suis très attentive à la situation des femmes en Iran. L’idéal de liberté est incarné là-bas par des femmes qui se battent contre le voile, comme ailleurs en Algérie et d’autres pays du Maghreb. En France, nous ne sommes pas à la hauteur de ces combats, nous agissons comme des enfants gâtés. Je reste persuadée que, pour combattre ces phénomènes chez nous, il faut agir au niveau international. Les 200 000 morts de la décennie noire islamiste ne sont pas une exception algérienne. Les frères Kouachi sont passés par le Yémen. Le terroriste responsable des récentes attaques devant Charlie Hebdo
venait du Pakistan. Ce qui se passe à l’étranger nous concerne.
La question du voile en France est une question épineuse qui enflamme systématiquement les débats. Quelle est votre position sur le sujet ?
Le voile que l’on rencontre aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui, traditionnel, porté par ma grand-mère. Il a pour objet de cacher les femmes, de contrôler leur corps. C’est d’ailleurs la première étape des islamistes pour leur permettre d’accéder au pouvoir. Personnellement, je considère qu’il n’y a ni de charia light ni d’islamisme modéré. Je refuse le voile même en terre d’islam. Je refuse d’être à genoux. Je veux être libre et je vais au bout de mes convictions et de mes valeurs. D’ailleurs, le simple fait d’accepter de se voiler sous prétexte de voyager dans un pays musulman, c’est trahir celles qui sont dans les geôles parce qu’elles refusent de le porter. Je pense, par exemple, à Nasrin Sotoudeh en grève de la faim depuis sa cellule à Téhéran et à tant d’autres femmes.