DERNIÈRES SÉANCES

Rue Gît-le-Coeur, le cinéma d’art et d’essai qui portait ce nom est devenu une salle pour les Témoins de Jéhovah. Rue du Dragon, le vidéo gay s’est transformé en magasin de surgelés. Le Gaumont-Rive Gauche est une boutique de vêtements. La liste serait trop longue. Les villes sont désormais les cimetières de nos souvenirs. Le long de la Seine, les bouquinistes se réduisent à la portion congrue. Les Fnac vendent des cafetières. Au début, les livres y étaient proposés avec 20 % de réduction. On a l’impression de parler de l’Antiquité. Il est interdit de prendre un café au comptoir. Feuilleter un quotidien sur le zinc appartient à l’Histoire. Cet hiver, la rue de Rivoli sera déserte, avec toutes ses pistes cyclables qui ne serviront plus à rien. Audiard aurait eu 100 ans. Tout le monde cite ses répliques cultes. C’est oublier que dans les années 1970 on le traînait dans la boue. On va fêter les 60 ans d’À bout de souffle. Sur les Champs-Élysées, les contre-allées étaient remplies de voitures. Belmondo fumait comme un pompier, disait des gros mots. Jean Seberg distribuait le New York Herald Tribune. La nouvelle vague ne désignait pas une épidémie. On mourait d’une balle dans le dos, rue Campagne-Première, parce qu’une femme vous avait trahi. En Suisse, Jean-Luc Godard est toujours vivant. Il pense peut-être à Truffaut, à Chabrol, aux Cahiers du Cinéma.

Ou alors il s’en fout. Il ne nous expliquera jamais ce que c’est, dégueulasse.